Prédilection Mortelle venait d’envoyer une patrouille vérifier la frontière au niveau de la rivière, en face des Rochers du Soleil, lorsqu’il trouva enfin le temps de souffler. Depuis très tôt ce matin, il n’arrêtait pas. Il avait envoyé la patrouille de l’aube et deux équipes de chasseurs pour essayer de ramener du poisson en allant aux endroits où la rivière n’était pas trop gelée, il avait dû s’occuper d’un cas d’un apprenti dont le mentor était parti sans lui donner aucune instruction, ce genre de choses qui faisaient désormais partie de son quotidien depuis un bon moment. Ce fut donc avec un léger soulagement qu’il alla se poser pour prendre le temps de souffler un peu et quelle ne fut pas sa surprise lorsque son ancien apprenti, Coeur Gelé, vint le trouver. Cela faisait bien longtemps qu’ils ne s’étaient pas parlé ce qui était dommage compte tenu de la complicité qu’ils avaient pu partager lors de l’apprentissage du plus jeune.

« Salut Prédilection Mortelle. Euh, j’ai une question… »

Le lieutenant haussa un sourcil interrogateur. Il se demandait bien ce qui avait pu pousser son ancien apprenti, qui n’était pas le guerrier le plus bavard et amical qui soit, à venir le voir pour lui poser une question. Oh, cela ne le dérangeait en rien, il aimait beaucoup Coeur Gelé et était ravi de pouvoir conserver un lien avec lui, bien que moindre par rapport à celui qu’ils partageaient lorsqu’ils étaient encore mentor et apprenti.

« Oui ?
- C’est quoi le bien ? »

Prédilection Mortelle eut une expression de surprise avant de se ressaisir aussitôt. Le bien ? Que voulait-il dire par là ? La différence entre le bien et le mal ? La façon de juger ce qui était bien et ce qui, au contraire, ne l’était pas ? C’est que c’était très abstrait, ce genre de chose. Chacun avait son avis personnel sur la question et le mâle écaille avait tendance à penser qu’il valait mieux se forger son propre avis quant au bien et au mal parce que la définition différait toujours selon les personnes. Pour lui, le bien était quelque chose de complexe et de pur à la fois. Un objectif qu’il était difficile d’entretenir et de maintenir mais aussi un choix de vie important qui dirigeait la plupart de ses actions.

« Je… C’est assez compliqué, tu sais. Pour moi le bien c’est essayer de rendre les autres aussi heureux que possible, y compris soi-même. Essayer de faire ce qui est juste et ne pas se laisser avoir par des tentations qui, on le sait, ça se sent, sont néfastes. »

Il s’arrêta là dans son explication, peu sûr de lui. Lui-même était-il quelqu’un de bien ? Il s’était efforcé de l’être, ça c’était sûr, mais avait-il réussi ? Il se souvenait de sa hargne et de sa jalousie alors qu’Étoile du Lynx semblait l’oublier lune après lune. Il se souvenait de cette apprentie du Clan du Tonnerre avec qui il s’était comporté comme un gamin arrogant, tant et si bien que la haine l’avait mené à tuer un innocent dont il ignorait toujours le nom. Cette haine, il la craignait encore aujourd’hui même s’il savait qu’elle n’était pas que négative. Il se souvenait de l’amour qui avait pu s’y mêler lorsque Fleur d’Ambre avait été enlevée par les Escogriffes, sa rage lors du combat final et ce soulagement libérateur lorsqu’il l’avait vue, affaiblie mais en vie. Elle qui avait été sa compagne avait su faire ressortir tous ses bons côtés, toutes ses envies de voir un monde juste se dessiner autour de lui. Elle l’avait aidé à tenir et à s’accrocher à cette volonté de se racheter, d’être bon et droit pour aider les autres, pour être un pilier fondamental pour son entourage. Même s’ils n’étaient plus rien l’un pour l’autre et qu’elle-même n’était plus à présent rien d’autre qu’un souvenir, elle avait toujours une importance énorme dans son coeur et dans son esprit. Elle ne l’avait pas changé, non, elle l’avait simplement aidé à se retrouver, à savoir quelle facette de lui-même il désirait montrer au monde.

« Après je pense que c’est quelque chose de différent pour tout le monde, tout dépend de la vie que l’on mène. Tu ne vivras pas les mêmes expériences que moi tout comme je ne saurais jamais ce que c’est que de vivre comme tu le fais malgré les points communs que nous partageons. Pourquoi, quelque chose te tracasse ? » finit-il par demander, la voix teintée d’une légère inquiétude.