Il pleut des cordes dans mon paradis noir ♪ Avec Petite Chèvre
Le personnage
Sexe du perso: Mâle
Âge du perso: 35 lunes
Mentor / apprenti : /
Maman m’a apporté une proie, tantôt, mais je l’ai à peine grignotée, avant de la refiler à Petite Pierre. J’ai pas trop faim. Pas trop sommeil, non plus. Je peux même pas dire que j’ai trop de trucs qui tournent dans ma tête, c’est genre… le vide. C’est le vide qui m’aspire et m’empêche de m’assoupir. C’est le vide qui m’oblige à garder les yeux fixés sur lui. Ma vie n’est que ça. Une montagne de vide entassé. J’ai rien vécu, en vrai. Et je fais rien. Tout est vide, il se passe rien. Et juste… je comprends pas comment les autres chatons, genre Petite Clémentine, Petit Champignon et Petit Océan, bah ils peuvent se satisfaire de ce vide et de cette monotonie. Si au moins j’étais utile… Je suis juste un gros boulet.
Je tourne la tête, d’un coup, et je vois Petite Chèvre. Elle fixe le vide aussi, enfin je crois. Elle est seule, perdue dans son vide et sa solitude, comme moi. Je crois qu’elle me ressemble un peu. Comme Petite Pierre aussi, même si Petite Pierre ne sort pas d’un “long épisode dépressif”. Tellement bizarre comme formulation. Mais c’est maman qui dit ça, quand elle s’inquiète pour moi. Finalement, je me lève, et m’approche de Petite Chèvre.
« ‘Lut. »
C’est tout, oui. Qu’est-ce que je pourrais dire de plus ? Je me rassois près d’elle, je me laisse tomber, comme si le poids de la vie m’écrasait d’un coup. Haha. C’était pas drôle. Je m’auto-exaspère. J’observe Petite Chèvre, en fait je sais pas quoi faire, ni quoi dire. Ni même pourquoi je suis venu. Peut-être l’instinct grégaire, qui m’a donné envie de me rapprocher de quelqu’un qui me ressemble un peu plus que les autres.
« Toi aussi, t’as l’impression qu’on t’a balancé dans un monde qu’est pas le bon ? Genre comme si t’étais fait pour autre chose, mais pas ça, et qu’on s’était planté à ta naissance ? »
J’avoue, cette formulation est quelque peu étrange. Mais j’ai rien trouvé de mieux pour mettre des mots sur ce que je ressens.
And you feelin' like you ain't got a purpose
Une lune plus tard, elle deviendrait Nuage de Chèvre, une apprentie du Clan du Tonnerre sur la bonne voie pour devenir une guerrière à part entière. Une membre du Clan à part entière. Cela la terrifiait. Ça ne devrait pas pourtant, tout le monde semblait se contenter de ce destin qui s’annonçait à l’horizon pour toute la bande ou même, pour généraliser, pour tout chaton de leur âge. Cela leur semblait à tous quelque chose de logique. Pour elle qui avait pu témoigner d’une vie toute autre, celle vécue au sein de la grotte aux mille éclats, ce n’était pas forcément logique, plus maintenant. La voie des guerriers ne s’imposait plus à elle avec autant d’évidence que ça n’avait été le cas auparavant. Désormais, elle avait un peu trop tendance à tout remettre en question, à tout critiquer en essayant d’exprimer son avis, des solutions. Elle avait peur d’ennuyer ses amis alors souvent, elle ne se faisait ce genre de réflexions qu’à elle-même. Parce qu’elle avait peur. Elle était terrifiée de dire la mauvaise chose, faire un mauvais pas dans la mauvaise direction, d’être encore plus en retrait par rapport autres qu’elle n’avait déjà l’impression de l’être.
Elle en arrivait même à se demander de temps en temps si devenir guerrière était vraiment ce qu’elle avait envie de faire. Elle savait très bien qu’elle n’avait, en outre, pas le choix mais en avait-elle seulement envie ? Elle n’avait plus personne pour la pousser à faire quelque chose qu’elle n’aimait pas, dont elle n’avait pas vraiment envie, ses parents n’étaient plus là, ils étaient partis. Ils étaient partis et parfois, elle se demandait si c’était de sa faute. Si elle n’avait pas été assez là pour qu’ils s’attachent à elle, si sa fratrie et elle avaient fait quelque chose de mal. Ses parents étaient partis et elle n’avait plus personne pour la guider au travers de la vie, plus personne pour effacer ses peurs, raisonner ses doutes, sécher ses larmes la nuit. Peut-être étaient-ils partis car la vie au sein du Clan ne leur convenait plus. Partir et tout quitter, même ses propres enfants, était-il donc le seul moyen de se détacher de la vie de guerrier ? Petite Chèvre n’avait pas envie de devoir partir simplement parce que le poste de guerrière ne lui disait rien qui vaille, pas encore. Elle ne voulait pas perdre sa famille, ses amis, ce lien qui les unissait tous. Elle voulait rester même si elle avait beau faire des efforts, elle se sentait toujours comme si elle n’avait plus sa place avec eux. Comme si, au final, elle ne l’avait jamais vraiment eue.
« ‘Lut, » résonne alors une voix près d’elle. La petite hoche la tête en guise de salut en essayant de camoufler son léger sursaut. À l’odeur, elle a reconnu Petit Soleil, à défaut de l’avoir entendu approcher, trop plongée dans ses pensées qu’elle était. Elle l’entendit s’effondrer tout contre le sol, comme écrasé par le poids du ciel. Est-ce que le ciel avait un poids ? Ce n’était pas très important. Petite Chèvre tourne doucement la tête pour essayer de poser ses yeux aveugles sur son ami et frère de lait même si elle ne sait pas vraiment si elle y parvient. Elle regardera toujours le vide, de toute façon, les yeux dans le vague, n’exprimant aucune émotion parce qu’ils en étaient bien incapables. Aujourd’hui, pour le moment, ce n’était pas grave. Parfois, cela lui donnait envie de pleurer. Plus souvent, cela lui donnait envie de casser quelque chose. « Toi aussi, t’as l’impression qu’on t’a balancé dans un monde qu’est pas le bon ? Genre comme si t’étais fait pour autre chose, mais pas ça, et qu’on s’était planté à ta naissance ? » continue Petit Soleil après un instant de silence.
« Oui. Un peu, » répond spontanément Petite Chèvre sans réfléchir. Beaucoup. Beaucoup trop. Son ami venait de mettre des mots sur ce qu’elle ressentait depuis son retour. Peut-être même depuis sa naissance, au fond. Après tout, pourquoi avait-elle ressenti le besoin de s’échapper du camp en pleine nuit de la saison des neiges alors qu’elle n’avait qu’à peine une lune ? Quelque chose clochait chez elle ou peut-être que quelque chose clochait chez le monde, elle ne le savait pas très bien. Elle n’en parlait jamais, à personne, alors entendre Petit Soleil mettre des mots sur ce qu’elle ressentait était comme un baume au coeur pour elle, malgré la tristesse de ses paroles. Pourquoi ? Ils étaient si jeunes, encore si jeunes, pourquoi pensaient-ils tous deux des choses pareilles ? L’enfance était synonyme d’insouciance non ? Pourquoi pensaient-ils des choses pareilles ? C’était à s’en rendre malade.
« J’ai l’impression de plus avoir ma place ici, d’être une étrangère même à mes propres yeux. » Et j’te jure que parfois, j’ai envie de tout envoyer en l’air, j’ai envie de m’en aller et de plus penser à rien, j’te jure des fois j’aimerais arrêter de pleurer pour un rien et simplement aller de l’avant, j’ai envie de dire ‘merde !’ à tout ça et d’arrêter de me prendre la tête avec des tas de trucs qui ne semblent inquiéter personne d’autre que moi. Mais j’y arrive pas, j’y arrive jamais. Elle ne dit pas tout ça. Parce qu’elle a peur. Elle a confiance en Petit Soleil, évidemment qu’elle lui fait confiance, ce n’est pas ça le problème. Mais elle n’est déjà pas sûre d’accepter complètement cette vérité, ces sentiments qui font d’elle la personne qu’elle est, comment pourrait-elle énoncer à haute voix tout ce qui lui traverse l’esprit. Peut-être que dans deux jours ça ira mieux, peut-être qu’elle voudra vraiment être une guerrière et qu’elle s’en fait pour rien, qu’elle surréagit, comme d’habitude. « Tu crois que ça s’arrange un jour ? J’aimerais bien que ça s’arrange, je veux pas me sentir comme une intruse toute ma vie. »