Let me help you

Reine des Neiges s’inquiétait. Bien sûr, dans d’autres circonstances, cela aurait pu être considéré comme une chose plutôt normale, quotidienne même. Elle s’inquiétait tout le temps après tout. Pour tout le monde et pour tout, pour sa famille, pour ses camarades, pour les reines pleines ou qui avaient déjà mis bas, pour les chatons qui grandissaient autour d’elle, pour ceux qui étaient là-bas, dehors, seuls, pour la santé des anciens, pour celle de ses frères et de sa soeur, oui, elle s’inquiétait tous les jours à longueur de journée parce que c’était ainsi qu’elle s’occupait, ainsi qu’elle était, altruiste jusqu’au bout des coussinets. Mais aujourd’hui, c’était différent. Non, depuis quelques jours, c’était différent. Un félin en particulier l’inquiétait quelque peu, un félin qu’elle avait vu grandir mais qu’elle ne connaissait pas vraiment, à qui elle n’avait peut-être pas adressé plus d’une vingtaine de mots alors qu’il était enfant et qu’il ne devait même pas s’en souvenir.

Morsure de Serpent n’allait pas bien, elle le voyait parfaitement. Bon, d’accord, peut-être pas parfaitement, mais elle le voyait quand même. Elle avait trop bien connu la douleur d’un coeur brisé pour ne pas reconnaître ses symptômes, cette lueur éteinte dans le regard, cette démarche comme engourdie, ces épaules affaissées par mégarde et ces brèves fractions de seconde où un sourire se craquelait irrémédiablement, oui, elle connaissait tout ça parce qu’elle l’avait vécu elle-même et qu’elle avait voulu que personne ne s’inquiète de son sort. Maintenant qu’elle était un peu plus âgée, elle réalisait que cela avait été tout le contraire. Oui, sur le moment elle n’avait voulu de l’aide et du soutien de personne mais dans le fond, elle n’avait réellement désiré que ça. Du soutien. Des mots doux. Ou même simplement une présence à ses côtés, une présence silencieuse pour lui signifier qu’elle ne serait jamais seule, qu’elle ne se sentirait plus jamais aussi abandonnée qu’elle l’avait été le jour où son fils était mort, le jour où son compagnon l’avait laissée.

Aussi, de voir le jeune guerrier être seul la chiffonnait plus que de raison. Elle se souvenait encore de ses lunes d’enfance avec sa soeur, Boule Marine. Elle se souvenait encore de la jeunesse de leur mère qui n’était encore qu’une apprentie lors de sa grossesse, Nuage Céleste, se souvenait comment elle avait fini par se lier d’amitié avec la jeune mère, comment elle avait fait en sorte de l’aider à se sentir bien dans sa grossesse, avec elle-même et avec l’idée d’être responsable de petites vies supplémentaires qui auraient tôt fait de la rendre plus heureuse que quiconque. Elle se souvenait de la jalousie qui l’avait étreinte, vite balayée par une bienveillance qui n’avait jamais faillie. Une bienveillance qu’elle éprouvait toujours envers la désormais guerrière ainsi qu’envers ses enfants. Mais voilà qu’Encre Marine, la femelle de la portée, était partie. Et Morsure de Serpent était seul. En un sens, la situation était semblable à ce que la sienne avait été. Certes, il n’avait pas perdu sa compagne mais le lien qui unissait un frère à une soeur était aussi fort qu’un lien amoureux, bien que totalement différent.

Alors, le voyant seul et à l’écart dans un coin quelque peu isolé du camp et ce, pour la énième fois, Reine des Neiges prit sa décision. Lentement, elle se leva, sourit avec bienveillance en voyant les chatons jouer avec une balle de mousse et poursuivit son chemin jusqu’au jeune guerrier dont les yeux semblaient plongés dans le vague, son esprit étant sans doute, lui, plongé dans les souvenirs. Était-ce une expérience agréable ? Elle en doutait fort. « Bonjour, Morsure de Serpent, » le salua-t-elle avec un sourire avenant une fois qu’elle se fut postée devant lui, à une distance raisonnable pour qu’aucun curieux mal avisé ne vienne à leur rencontre mais assez éloignée pour ne pas envahir son espace personnel. « Pardonne-moi si je suis trop intrusive mais je me demandais si tu allais bien. Vraiment, est-ce que ça va ? » demanda-t-elle finalement d’une voix douce, ne souhaitant ni le brusquer ni le voir se braquer. Elle savait que peu de gens se sentaient à l’aise à l’idée de se confier à quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas mais elle n’en avait que faire. Comment pourrait-elle se supporter si elle n’essayait pas de faire quelque chose pour remonter le moral du guerrier ?