My youth is yours

Elle se désespérait. Elle avait parfois l’impression de redevenir une jeune apprentie sans cervelle qui rêvait d’une vie haute en couleur avec une belle histoire d’amour, emballé c’est pesé, une belle petite famille, un coeur battant la chamade à chaque instant du jour et une lueur de bonheur dans les yeux. Et la revoilà qui se remettait à rêver de telles choses ces derniers temps. Elle s’emballait toujours. Elle avait beau être quelqu’un de patient, peut-être même un peu trop, elle n’était cependant pas le genre de personne à restreindre son esprit, son imagination débordante qui ne faisait sans doute que s’inventer des choses grandiloquentes à partir de minuscules détails qui ne signifiaient sans doute rien du tout. En bref, Reine des Neiges avait le béguin pour un guerrier qu’elle connaissait à peine, et elle ne savait pas vraiment si elle devrait s’en sentir enchantée ou plutôt désespérée. Pour le moment, elle penchait surtout pour le côté du désespoir.

Comble de malchance - ou de chance, lui soufflait d’ailleurs son petit coeur - elle était de patrouille ce jour-là et pas avec n’importe qui, non, avec Esprit du Tigre. Aka le guerrier sur lequel elle bav… craquait depuis peu de temps et qui ne la laissait pas indifférente, à sa grande exaspération. Parce qu’elle n’avait jamais été amoureuse, elle ne savait pas ce qu’elle ressentait et se doutait bien qu’il était trop tôt pour se prononcer. N’est-ce pas ? Elle n’en savait rien et n’avait pas envie d’en parler à qui que ce soit alors qu’elle n’ignorait absolument pas qu’elle avait désespérément besoin d’un avis extérieur et objectif. Mais c’était si humiliant ! Rien que d’imaginer en parler avec sa soeur, elle en avait des frissons, quand à Brume du Matin, ce n’était même pas la peine - il n’en aurait sans doute rien à faire - et Esprit des Songes… Par le Clan des Étoiles, elle préférait ne pas y penser. Aussi supportait-elle les assauts de son coeur vibrant d’une passion aussi mielleuse que ridicule chaque fois que son regard se posait sur le silhouette du beau mâle.

Mais c’était de sa faute à lui aussi, se dit-elle alors qu’elle se dirigeait vers l’entrée du camp en rechignant dans sa tête. On n’avait pas idée d’avoir un charisme pareil ! Et ces jeux de regards alors ! Parce que oui, d’accord, elle le regardait souvent à la dérobée mais elle n’était pas des plus douées, encore moins des plus discrètes, et son camarade ne se gênait pas pour offrir à ses oeillade une réciprocité qu’elle n’aurait jamais osé espérer. Elle ne savait pas quoi en penser et, plus elle retournait les choses dans sa tête, moins toute cette histoire ne trouvait de sens. C’était à s’en rendre dingue cette affaire ! Reine des Neiges secoua doucement la tête pour reprendre peu à peu pied dans la réalité et salua timidement le guerrier qu’elle avait rejoint à l’entrée du camp. Ainsi, ils débutèrent leur marche pour la patrouille quotidienne, d’abord en silence.

« Je dois avouer que je suis plutôt heureux que l'on nous ait associés… » fit finalement Esprit du Tigre une fois qu’ils furent à l’extérieur du camp, là où il n’y avait plus personne pour les déranger. Si elle avait pu rougir, Reine des Neiges l’aurait sans doute fait, or ce n’était pas le cas et elle en était bien contente. Aussi se contenta-t-elle d’un sourire qu’elle espérait assuré alors que, un peu trop indépendant à son goût, son coeur d’artichaut avait la tremblote. « Ah oui ? Je serais curieuse de savoir pourquoi, » répondit-elle sans réfléchir une seconde. Son coeur ? Hihihihihihi. Son cerveau ? Error 404. Sa conscience ? Hjcfvbvnlmcldsfhbgjkjr. Mais par le Clan des Étoiles, qu’est-ce qu’elle venait de dire encore ? Elle ne savait décidément pas comment se comporter lorsqu’elle était gênée, pire, lorsque l’on flirtait avec elle. Autant elle avait souvent rêvé d’amour lorsqu’elle était jeune, autant elle n’avait jamais pris le temps de s’entraîner à draguer ou à réagir à de la drague. Si un jour elle avait des enfants, elle ne manquerait pas de les encourager à le faire parce qu’il fallait savoir réagir à n’importe quelle situation. La preuve. Elle baissa les yeux vers ses pattes, mortifiée, et préféra ne rien ajouter le temps que l’autre réponde, trop craintive de ce qu’elle pourrait lâcher.