Still a stranger [ft. Kaira]

Still a stranger

Je ne serai jamais un Inondé. Je sais qu’il ne faut jamais dire jamais, mais je pense que suffisamment de temps a pu s’écouler pour que j’en fasse maintenant une certitude ; je ne serai jamais autre chose d’un fier membre de la Troupe Embrumée. Et qu’ils dilapident leurs sottises, qu’ils crachent leur venin : je sais qu’un jour elle renaîtra de ses cendres. Mon sang est celui de ma Troupe, rien ne pourra changer cela. Et nous ne sommes plus que quelques uns… Keyla, Dafuxi, Mi… Très peu, trop peu. Entre ceux qui ont péri entre les pattes des Escogriffes, ceux qui ont péri de maladie, ceux qui sont partis… Je repense à Trïco, avec qui nous aurions pu reprendre les rennes. Je repense à cette garce de La et cette charogne d’Hélios.

Ma gorge se crispe. Je ne sais pas s’il me manque ou si je suis furieux contre lui. Je lui en veux toujours à mort, quelque part. Quelque part, je ne comprends pas. Comment a-t-il pu me laisser, nous laisser, ici, sans nos terres ? Moi qui l’avais toujours pensé aussi résilient que je pouvais l’être. La douleur me brûlait à petit feu, doucement, chaque jour un peu plus. J’ai mis tellement de temps à ne serait-ce qu’accepter que reconstruire la Troupe Embrumée ne serait pas possible avant… Avant bien longtemps. Mais elle est toujours en moi. Elle l’est et elle le restera, et ça j’en suis convaincue. Je transmettrais les valeurs de notre Troupe jusqu’à ma mort.

Il y a du bien, quelque part. Dans tout ce bordel. Ça fait maintenant quelques lunes que j’y travaille. Je me suis résilié à vivre parmi eux. Parce que certes, vivre parmi les Inondés est un cauchemar, mais vivre parmi les Escogriffes, c’est le diable lui-même. Alors, doucement, je m’y fais, il faut croire. Je ne deviens pas un Inondé – ça, jamais. Mais ils sont moins diaboliques que ce qu’ils avaient l’air d’être avant. Ils sont toujours autant casse-couilles, par contre. À croire qu’ils se sont donné le mot. Et je fais avec. Je sais ce que je vaux, je sais d’où je viens, et je sais que je finirai par y retourner, un jour ou l’autre. Ça ne peut être autrement.

J’ai déjà commencé, d’ailleurs. Enfin, il m’arrive souvent de patrouiller vers les terres embrumées – il faut bien que quelqu’un s’assure qu’elles n’ont pas disparu du jour au lendemain. Je m’y rends souvent, peut-être une fois tous les cinq jours, ou quelque chose du genre. Il faut dire que tout me manque – du jardin des baies à la plaine du géant en passant par les marais. Et je m’y rends encore, aujourd’hui.

Sauf que je suis pas tout seul. Et ça, c’est pile ce qu’il me faut pour m’énerver, surtout quand l’autre chat en question n’est pas originaire de ces terres. C’est un Inondé pure souche, ça se sent à des kilomètres à la ronde. Je grogne. Je sais que je n’ai pu rien à gagner, mais je n’ai surtout plus rien à perdre. Et c’est alors que je le reconnais, le Botaniste de la Troupe. Je ne lui ai jamais adressé la parole de ma vie, mais là, tout m’y pousse. “Le paysage te plaît ?”