Un somnifère pour ne jamais me réveiller [ft Zaadum]

Mbugi ne dormait pas. Il était étendu, sur le dos, les yeux grands ouverts. Bleus dans la nuit noire, le mâle semblait comme mort ; il ne bougeait pas, sa respiration s'était ralentie au point où ses flancs ne bougeaient presque plus. Ses yeux fixaient quelque chose, sur le plafond de la tanière, sans ciller ni cligner. Seul le vent faisait bouger un peu ses poils blancs.

Il resta ainsi une éternité, puis d'un seul coup il se retourna, bondissant sur ses pattes. Il bouscula Koï au passage, qui grogna, et Mbugi le toucha délicatement de la truffe pour lui demander pardon. Lentement, il sortit, ses pas étaient saccadés, un peu titubants. Mbugi était fatigué mais il n'arrivait pas à dormir. Depuis des jours, il était en prise à des insomnies. Les nuits étaient infinies.

Mbugi hésita avant de franchir la séparation entre la mousse chaude et la neige qui recouvrait le camp. Mais finalement, il posa une patte, une deuxième, planta les griffes dans le sol gelé, et s'aventura prudemment dans le camp. Il savait où était la tanière des guérisseurs, et celle des Botanistes. Mais Mbugi n'aimait pas Seleth. Sans savoir pourquoi, le mâle blanc n'aimait pas la façon d'être du Novice Botaniste, tout simplement.

Mais arrivé dans la tanière, Mbugi constata qu'il n'y avait que Zaadum. La chatte, réputée pour être un peu folle, et bavarde, ne déplaisait pas à Mbugi. Il préférait juste lorsqu'elle se taisait, mais il ne pouvait pas lui demander de faire le silence. Alors il se taisait et se renfermait dans sa bulle, avec sa Conscience qui lui parlait, et n'écoutait qu'elle. Insensible au reste du monde, autour de lui.

Il chercha du regard la chatte bicolore. Dehors, l'aube se levait déjà, mais Mbugi n'avait jamais compris la beauté d'un lever de soleil. Car le soleil recommençait la même chose tous les matins. Un lever de soleil parmi tant d'autres, c'était insignifiant... Comme lui n'était qu'un chaton parmi tant d'autres.

— Zaadum ?

Dormait-elle ? Mbugi l'ignorait, et même s'il avait chuchoté cette phrase, elle se répercutait en écho dans la tanière. Pourtant ce n'était pas une caverne de pierres... Ou alors était-ce les oreilles du Novice qui faisaient des siennes. Mbugi voulait juste dormir, prendre un somnifère, ne jamais se réveiller.

Mais cela aurait été trop beau. Non, il allait vivre, vivre encore de nombreuses lunes dans sa souffrance, et endurer. Et si Mbugi avait cru en l'enfer et au paradis, il aurait répondu que l'enfer était la vie, et le paradis la mort.

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Mbugi entendait des choses dans sa tête. Une voix, sans doute, qui chuchotait une phrase incompréhensible en boucle. Mais Mbugi ne l'écoutait pas, il n'écoutait plus rien ; il avait, une fois de plus, décroché du monde réel pour se plonger dans sa bulle. Ses yeux bleus ne reflétaient rien, seulement un vide étrange et qui faisait presque peur.

Et puis le mâle blanc entendit une voix, qui venait de la tanière. Sortant lentement de ses pensées, il tourna son regard de glace vers la chatte, Zaadum, qui venait vers lui. Il n'avait pas remarqué qu'il n'avait pas bougé, qu'il était toujours dans le froid sous la neige. Quelques flocons tombaient, mais rien de méchant. Et Mbugi décida d'écouter la femelle bicolore, qu'il aimait bien parfois comme aujourd'hui.

— Bouh ! Alors jeune fauve, que fais-tu si tôt dans mon antre ?

Mbugi sourit. Pas ce sourire sadique, méchant que parfois il faisait, malgré son expression sur son visage un peu inexpressive, c'était un sourire franc. Mais lorsqu'il réfléchit à la question posée par la Botaniste, il ne se rappela plus la raison pour laquelle il était venu là.

Et puis il se souvint. Sa vie, son insomnie. Il voulait mourir. Non. Il voulait dormir. Juste dormir un peu, et que tout ce qu'il voyait, ce qu'il entendait, toutes ces choses bizarres qu'il était le seul à sentir disparaissent le temps d'un instant...

Il ne répondit pas tout de suite. Que pourrait-il demander ? Zaadum était bien trop gentille avec lui, elle ne méritait pas de connaître un pareil chat. Et lui aurait mieux fait de ne pas s'approcher d'elle. Il l'aimait bien, cette chatte. Il ne voulait pas lui faire de mal. Malheureusement, il ne choisissait pas, seul le destin déciderait. Alors Mbugi demanda simplement, calmement, de sa voix un peu aiguë de chaton :

— Je voudrais un somnifère... Pour aider à m'endormir.

Sans doute se demanderait-elle pourquoi un chaton n'arrivait pas à dormir. Certains, ceux qui avaient vécu des choses traumatisantes durant leur jeune existence, faisaient des cauchemars. Mais lui, il n'avait aucune raison d'en faire. Et d'ailleurs il n'en faisait pas.

Il n'arrivait pas à dormir. Mais si quelqu'un lui demandait pourquoi, il ne répondrait pas. Ou peut-être autre chose, complètement à côté de la plaque. Car si Mbugi disait souvent ce qu'il pensait, dans sa tête c'était trop complexe. Il ne pouvait pas l'expliquer, et encore moins il ne voulait l'expliquer.

Alors il se contentait de fixer en silence Zaadum, et il sentit dans son cœur qu'il l'aimait bien même si elle ne faisait pas partie de sa famille. Mbugi aimait bien Koï, Thanatos et Renian. Il admirait Ancre, sa tante, et Eléa son père. Et maintenant, il aimait bien Zaadum aussi. Un jour peut-être qu'il finirait par apprécier la majorité de sa Troupe. Ou au moins accepter. Pour l'instant, il préférait ignorer les Chasseurs, et se renfermer sur lui-même lorsque quelqu'un lui parlait.

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