C'est comment, chez toi ? (EVENT ft Aska)

Je regarde le ciel. Il fait jour encore, alors je ne peux pas voir les étoiles. Je n’ai pas vu les étoiles depuis des jours, il y a trop de nuages. Pourquoi m’ont-elles abandonné ? Elles sont peut-être méchantes. Nieza a dit que les étoiles sont méchantes, et je ne voulais pas la croire. Mais elle a raison, sinon elles ne m’auraient pas abandonné ici. Je suis une étoile moi, et elles m’ont laissé sur terre. Et puis, je dois aider ici, les Bipèdes ont encore fait des trucs sur le territoire et plein de membres des deux Troupes sont malades. D’une maladie inconnue. A cause des proies je crois, et de la rivière, mais ça on le savait. Maintenant tout le monde est malade. Moi ça va, parce que je ne mange pas beaucoup.

Et puis moi, je sais pas pourquoi je suis là. C'est comme ça après tout, j'aurais aussi bien pu être au ciel ou dans mon camp, mais j'ai pas choisi d'être en territoire adverse. C'est mes pattes qui ont voulu être à une queue de la frontière. Donc je suis en territoire adverse mais à côté du mien, comme si je les narguais. Je nargue personne, je veux juste voir les étoiles. Je veux juste qu'on me dise que ma place n'est pas ici, et qu'on me dise que j'ai autre chose à faire qu'attendre de voir celles qui m'ont lâchement abandonné. Sauf que voilà, personne ne me parle et je ne parle à personne. Trois jours que je suis muet comme une tombe. Le temps passe et moi, j'ai arrêté de vivre. Car je ne suis rien sans elles.

Je me sens tellement perdu. Seul. Personne ne me comprend. Sauf Seleth peut-être, lui aussi il ne parle pas beaucoup. Mais moi je suis fou. Ils me l'ont dit. Tout le monde me le répète sans cesse. Mais au fond, qu'est-ce que la folie ? Je ne sais plus qui je suis. Je sais, je ne suis que moi. Un chat taré dont personne ne veut s'encombrer à aimer. Mbugi réfléchissant la Lumière. Je ne la réfléchis pas, je l'aspire. Je m'en nourris. Je ne suis qu'un étoile qui émet de la lumière, qu'un Diamant qui la réfléchit. Je ne suis plus Mbugi. Je suis... Je ne sais pas. Je me suis perdu, il y a bien des lunes que je ne sais plus qui je suis. Je ne veux plus maintenant. Je veux être moi. Je ne suis plus une étoile. Les étoiles sont méchantes.

Comme le Vent. Il souffle. Et moi je dois courber l'échine, et mes yeux pleurent un peu à cause du vent qui vient dedans. Et peut-être aussi que je suis triste de tous les êtres que j'ai perdus. Je ne ressens rien. Je n'ai jamais rien ressenti. À part que j'aime beaucoup mon frère. C'est la seule chose dont je peux être sûr. L'amour je ne connais pas. Ni rien. La haine, les regrets, tous ces mots je les ai entendus. Mais je ne les connais pas. Je ne les ai jamais ressentis. Ça ne me manque pas plus que ça finalement. Alors que je regarde le ciel, espérant y voir quelque chose qui pourrait m'aider, je sens l'odeur de la Troupe Inondée. Ils vont peut-être encore me chasser. Ou peut-être pas. Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Je suis une étoile. Non. Un chat au pelage de neige. Ou je ne sais plus. Je regarde une forme s'avancer. Elle est petite. C'est une Novice de la Troupe adverse. Enfin, je crois. Je crois que je m'en fiche. Que si ça avait été un Chasseur, je n'aurais pas bougé parce que je n'en avais pas envie. Alors mes yeux rencontrent les siens et je détourne le regard. Et je fixe le ciel puisque les étoiles n'y sont plus. Et les Bipèdes nous tuent. Et la Nature est morte elle aussi. Et puis, les étoiles laissent faire ce massacre. Lyrielle a dû partir pour parler à la Troupe Inondée. Ils veulent partir. Je le sais. Je le sens. Moi je m'en fiche. J'irai, je suivrai. Je ne veux pas mourir. Je ne veux plus. Mais je ne veux plus souffrir. Je souffrirai en silence et je continuerai.

Mes pattes. Je me mords violemment et je me déchiquète la peau. Ma souffrance extérieure n'égalera jamais ce que je ressens en moi. Alors je me contente de fixer le ciel. De fixer autre chose et de laisser mon esprit vagabonder. Penser à autre chose. Puisque plus rien n'a d'importance pour moi, je préfère encore m'évader et oublier tout ça. C'est trop dur de voir dans quel état je suis, je préfère encore oublier et faire comme si de rien n'était. Comme si je n'étais qu'un Novice comme un autre. Je ne suis rien en réalité. Mais ça, personne ne le sait. Personne ne sait que au final, nous ne sommes rien.

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Perdu entre ciel et terre. C'est tellement génial de se sentir ainsi, dans un état second sans rien ressentir. Ça évite bien des souffrances. Ou peut-être que la cause de cet état est la souffrance justement. Je ne sais pas et je m'en fiche. Je veux juste qu'on me laisse tranquille. Je dois avoir un don, à rester immobile aussi longtemps. Personne d'autre de ma connaissance n'en est capable. Ce n'est peut-être pas si mal que ça d'être fou. Du moment où l'on arrive à s'en rendre compte. En tout cas tout le monde me l'a déjà dit. C'est que ça doit être vrai puisque la majorité l'emporte. De toute façon moi je ne suis pas comme eux. Je ne veux pas l'être. Je veux juste être moi.

Personne ne le comprend. Et voilà encore que quelqu'un me dérange dans mes pensées. Je déteste être dérangé et je déteste encore plus parler. J'abhorre les autres chats en général. Et les Novices comme les Chasseurs. Alors cette chatte qui me parle sans que ses paroles ne puissent m'atteindre, je m'en fiche. Je sais que je dois arrêter de penser et écouter quand on me parle, mais je n'en ai pas envie. Je ne suis qu'un fou après tout. Je crois qu'elle veut se battre. Je sais que juste pour le plaisir, enfin, juste pour ressentir quelque chose d'autre que du vide, je la laisserais me mordre et me griffer jusqu'à ce que la douleur devienne insupportable. C'est ce que parfois, je m'inflige. Parce que personne n'arrive à me comprendre et que je me sens seul. Le sang et les cicatrices sont ma seule compagnie.

J'ai envie qu'on me sorte de là. Je reconnais que j'ai besoin d'aide. Mais je nie le fait d'être fou. Aidez moi. C'est un appel. Je ne veux plus me faire souffrir, me mutiler. Empêchez moi d'approcher mes crocs si près de ma chair. Je veux manger correctement. Donnez moi une proie non contaminée, obligez moi à la finir même si je ne le veux pas. Apprenez moi à écouter, à me concentrer sur autre chose que mon cerveau qui pense. Je n'ai besoin que d'une personne pour m'aider. Je vois mon monde mourir. Je n'ai plus de refuge. Les étoiles ne sont plus là. Ma Troupe dépérit à cause de la maladie. Et sommes nous les seuls à être malades ? Je ne crois pas.

— Est-ce que les étoiles vous ont aussi abandonnés ?

Mes yeux bleus restent rivés sur le ciel et je ne la regarde pas. J'attends qu'elle m'en foute une. Elle ne comprendra sans doute pas ce que je veux dire. Personne ne m'a jamais compris à part Koï, un peu. J'attends cette personne qui y arrivera. Mais jamais je ne demanderais ça de la chatte adverse. Pas par loyauté. Non, ce n'est pas parce que je la méprise. Je ne la connais pas. L'autre Troupe est comme nous. Simplement, parce que je ne demande rien de tel à personne. C'est bien trop compliqué. De toute façon je vais mourir, je n'ai pas eu peur de manger un morceau de proie. Je n'ai pas peur de la mort non plus. Ou peut-être que si.

En réalité, je suis terrorisé. Je veux vivre encore, juste ne plus souffrir. J'ai peur qu'on abandonne, j'ai peur quand il y a trop de monde. J'ai peur de ne pas être à la hauteur de ce qu'on attend de moi. Je déçois tout le monde et j'en ai honte. Je n'ose plus faire un seul pas sans avoir peur que tout le monde me regarde et se jette sur moi. Je sais que les étoiles m'en veulent. Puisque le monde entier m'en veut d'être moi. Je ne suis qu'un chat. Un mortel. Pourquoi ils me regardent ? Pourquoi ils se moquent ? Sont-ils mieux que moi ? Pourquoi suis-je différent, pourquoi pensent-ils que je suis fou ? Mes griffes s'enfoncent dans la terre. Je crois que j'ai gémi mais je ne sais pas. Je ne regarde pas l'autre chatte, je ne veux pas qu'elle me juge elle aussi.

Je ne juge personne. On est comme on est et c'est comme ça. C'est mieux. Différents et pourtant, la plupart se ressemblent tellement. Moi je suis trop différent d'eux, ils ne me comprennent plus. Ils ne comprennent pas ma façon de penser et de voir les choses. Aska. C'est son nom. Je ne sais plus comment je le sais, peut-être l'ai-je déjà entendu quelque part. Parfois j'entends des choses, et mon cerveau les retient, mais je ne le veux pas. Je ne regarde pas Aska. Seulement le ciel, et puis le sol maintenant, et je pense que je vais partir mais mes pattes ne veulent plus. Elles veulent que je reste alors je reste.

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Je continue à fixer les étoiles. Peut-être que la Novice s’en ira, vexée par mon silence, ou agacée par mon impassibilité. Moi je ne ressens rien, mes yeux sont bloqués. Le vide m’envahit et cela me fait du bien de ne plus ressentir de haine pour le monde et les étoiles. Je fixe les étoiles mais elles ne sont plus là. Un ciel étrangement grisâtre se dessine au dessus de nous. Nous allons mourir et cela devient une évidence telle que personne ne me chassera de ce territoire ennemi. C’est la fin et il va falloir partir, je le sais. Nous le savons tous et pourtant aucun n’ose se l’admettre. Ils refusent qu’une telle chose puisse arriver.

Les Bipèdes sont cruels. Mais ils ne savent pas penser. Moi je passe mes journées à penser. C’est fatigant. Mais faut pas en vouloir aux Bipèdes. J’ai pensé que bientôt on allait mourir et ça m’a fait du bien. Parce que la paix est hors d’atteinte à moins de mourir, ou de trop courte durée. Et j’aimerais avoir la paix éternelle. Donc j’attends la mort, et j’attends aussi les étoiles et aucun des deux n’arrivent. Et puis elle finit par parle mais ce n’est pas ce que j’attendais. Je ne sais plus ce que j’attends. J’ai froid. Mes pattes sont en mauvais état, mais ce n’est pas grave parce que la mort ne garde pas les corps. Seulement les âmes. Le seul problème c’est que mon âme est aussi couturée de cicatrices que mes pattes.

— Je m’appelle Aska née dans le reflet de la Lune.


J’ai l’impression de connaître son nom. Il résonne clairement dans ma tête, comme un écho de la Caverne qui n’est pas sur notre territoire. Je ne l’ai jamais visitée. Un jour j’irai, le jour où je ne serai pas mort. Avant de mourir et ça veut dire dans pas longtemps, puisque nous sommes tous en train. De toute façon, la mort c’est sur long terme pour moi, je crève à petit feu depuis plus de dix lunes. Je ne sais plus quel âge j’ai, mais sans doute celui d’un Chasseur, sauf que personne ne veut s’occuper de moi. Mon père est mon mentor, et les autres je n’en veux pas. Je suis peut-être un chaton capricieux. Mais dans tous les cas je préfère être un chaton plutôt que fou.

Je ne sais pas quoi dire. J’ai parlé et elle ne m’a pas répondu. Peut-être que je devrais me présenter moi aussi ? Lui dire mon nom, et puis lui reposer ma question ensuite ? Je ne sais pas, je ne parle jamais moi. Personne ne vient me poser de questions ou me dire leur nom, et je n’ai aucune réponses à leur apporter. Je suis bien tout seul. Parfois, je suis bien avec mon frère aussi, mais sinon je préfère rester seul. La compagnie des autres me fait peur. Je ne veux pas les entendre, ni même les voir. Alors je m’en vais dans la forêt, tant pis pour mes devoirs de Novice. C’est sans doute pour ça que je ne suis pas encore Chasseur.

Mais il ne faut pas croire que je suis con ou taré, je suis juste dispersé et je n’arrive pas à me concentrer. Mes yeux regardent rapidement autre chose, mes oreilles écoutent les bruits de la forêt, ou encore les étoiles qui me chuchotent doucement des choses… Bon, dit comme ça, c’est vrai que je perds de ma crédibilité mais je pourrais jurer que c’est vrai. Croyez moi si vous le voulez, moi je n’en ai plus rien à faire. Je suis trop fatigué pour ça, trop fatigué pour me battre encore. Je ne suis pas fait pour ça, tout simplement. Je ne suis pas fait pour vivre mais seulement pour mourir, et je laisserai celui qui voudra me tuer le faire. Sauf que personne ne veut me tuer.

Je regarde Aska. Et lentement mon regard dérive vers les terres au loin. C’est là que nous partirons, c’est là-bas que nous pourrons, puisqu’ils ne veulent pas qu’on meure ici. C’est peut-être triste, mais après tout, je ne suis pas pessimiste. Seulement réaliste. Moi j’aurais voulu mourir à l’endroit où je suis né, c’est mieux. C’est moins triste et plus facile de trouver son chemin jusqu’aux étoiles. Mais je marcherai même dans le ciel des ténèbres, si je meurs loin et que je dois revenir. Je ne réponds pas à Aska, j’attends juste sa réponse à ma question d’avant, et puis je n’ai pas envie de parler. Elle semble mieux me connaitre que quiconque.

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Je continuais à fixer l’immensité du ciel incolore et bien triste, car il n’y avait plus une seule étoile, et je ressens à nouveau quelque chose. Depuis que je suis assis ici, en territoire adverse, j’ai ressenti plein d’émotions. Je suis passé par la haine, la douleur, le vide absolu, même l’amour, et maintenant la tristesse. Je suis triste, je me sens abandonné de tous. C’est vrai, que me reste-t-il, à moi ? Mon père m’a abandonné, et alors que je pensais qu’il était parti rejoindre les étoiles, il n’y a plus rien. Il m’a abandonné de son vivant, comment peut-il me faire une chose pareille en étant mort ?

Je crois que je désespère. J’attends des réponses qui ne viendront jamais. Qui peut encore me répondre ? Personne n’a de réponses. Qui peut me dire ce que sont vraiment les étoiles ? Ils ne font que des suppositions. Personne ne sait, et en réalité, nous cherchons nos propres réponses, mais ça ne sert à rien. Je ne veux plus de “peut-être”. Je ne veux plus de cette incertitude qui nous poignarde. Je ne veux qu’une seule réponse, une réponse qui sera la vérité. Une réponse à ce “pourquoi ?” Pourquoi vivons-nous, pourquoi mourons-nous, pourquoi souffrons-nous et pourquoi on m’a abandonné. Une seule réponse.

Aska. J’ai entendu son nom. Il résonne encore dans ma tête. Qu’est-ce qu’elle me veut ? Pourquoi est-ce qu’elle ne me fuit pas, elle comme tous ceux qui m’ont connu ? Elle a vu mes pattes couvertes de ces cicatrices, de ces mutilations, des morsures que je m’inflige pour souffrir un peu plus physiquement, mais un peu moins mentalement. Elle a vu mes côtes saillantes sous mon pelage immaculé. Plus maigre encore que les autres qui pourtant ne mangent plus à leur faim. Je ne mange plus. Je ne suis pas malade encore. Aska donc, elle m’a regardé et elle ne m’a pas jugé. Et elle répond même à ma question.

— Les étoiles sont parties, peut-être reviendront-elles... ou peut-être pas. Mais nous pouvons devenir nos propres étoiles, il suffit juste de trouver comment briller assez fort.

Est-elle assez naïve pour parler à un chat comme moi, que tous traitent de fou ? Est-elle assez sage pour répondre à la seule question que je me pose ? Éléa est parti. Mais elle a raison. Je peux le remplacer, je peux devenir une étoile, comme quand j’étais avec Nieza. Avec elle, je brillais assez fort. Je dois retrouver cette force, même si c’est difficile. Les autres ont besoin de nous. Moi, je n’ai besoin de personne à part mon frère, mais les autres, les malades, les blessés, même s’ils ne le savent pas, ils ont besoin de moi et aussi de Aska, chez elle. Même si elle est jeune.

Je hoche doucement la tête et mes yeux brillent. Je ne sais plus ce que je ressens mais j’aime bien cette chatte. Elle ne m’a pas jugé sans me connaître, elle veut apprendre à me connaître. Un jour, peut-être que je lui dévoilerai des choses. Mais pas aujourd’hui, le silence est un ami bien trop précieux pour que je le fasse disparaître. Un jour elle sera mon amie aussi, j’aurai deux amis, mon silence et Aska. C’est bien. C’est suffisant pour moi qui ne voulais pour amie seulement la mort. Son refus fait mal, mais j’ai d’autres amis alors je ne me préoccupe plus d’elle, et puis j’aime trop mon frère pour mourir.

— Nous brillerons.

Je me lève et c’est tout, je ne dis jamais au revoir, je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu’on ne m’a jamais appris et que je n’ose plus maintenant. Mais ma queue tressaille comme pour la saluer. Mes yeux bleus fixent ma forêt. Ma plaine, mon territoire. Je dois rentrer, chasser, aider les miens et quand nous partirons, pour pouvoir vivre, car nous n’avons plus le choix, on se reverra peut-être avec Aska. Et je lui parlerai un peu, pour qu’on devienne amis. Et puis elle deviendra aussi amie avec le silence et les étoiles. Je lui montrerai mon monde, et je veux bien découvrir le sien aussi. Un jour.

HRP : Fini :D

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