Survivre. Ft Encre

Quel temps agréable.. enfin la belle saison arrivée ! Ce foutu nuage blanc recouvrant entièrement le paysage avait finalement disparu et la brise habituellement glaciale était devenue fraîche et douce, apportant le fumet appétissant des proies sortant enfin de leur trou ! Enfin de toute manière, Encre n'avait pas eu le problème de la famine et du froid, ayant logé dans un bâtiment de bipède qui, il faut l'avouer, était vraiment parfait. Le gibier ne manquait pas ici, et malgré un hiver rude, les souris étaient assez dodues et le seraient encore plus maintenant. Puis, grâce à ces larges et hauts murs en pierre, le matou était protégé de bourrasques froides et de la neige. En bref, cet endroit était le paradis pour tous chats solitaires ou égarés. Le temps que les Troupes regagnent leur ancien territoire, il resterait là à profiter du confort.. même si il s'ennuyait quelque peu, chasser, dormir, chasser, dormir, etc.. ça devenait assez pénible mais pour le moment il n'avait rien à faire et il ne croisait que très rarement des chats dans le coin. Pas qu'il sautait sur le poils de tout ce qui bouge mais au moins tomber sur un chat qui voudrait lui chercher des puces, histoire qu'il se défoule un peu.

Bah ! Aller savoir si il y aura quelque chose de spécial aujourd'hui. Les rayons de l'aube filtraient déjà entre les fissures des murs, dardant cette herbe dorée et odorant sur laquelle dormait tranquillement Encre. Ce dernier poussa un grondement, n'appréciant toujours pas d'être ébloui dès le matin, se releva et s'étira de tout son long, ses muscles roulant sous ses larges épaules.  Son regard saphir se promena lentement de droite à gauche, n'étant pas encore très bien réveillé. Le crissement de la paille par le passage des rongeurs se fit tout de suite entendre aux oreilles du félin tacheté. Bon, eh bien.. il fallait chasser le petit déjeuner maintenant, même si il n'était pas pressé. Alors Encre se mit à la recherche d'une proie insouciante,  mais cette fois-ci pas celles dans le grand bâtiment, il avait envie de viande plus "fraîche" plus.. "sauvage" va-t-on dire. Les souris ici était molle et juteuse, la chair filandreuse et quelque peu dur à arracher lui manquait, il avait le sentiment qu'il vieillissait rapidement en mangeant un gibier si tendre, comme si ses dents étaient devenues trop sensibles pour celui plus ferme.

En sortant du bâtiment, une brise fraîche vint lui ébouriffé le pelage, Encre en profitant pour prendre une grande inspiration, une fois dehors il se demandait comment il faisait pour ne pas étouffer dans cette ferme. Puis il marcha jusqu'à trouver l'ombre de hauts arbres, là il s'arrêta net lorsqu'il entendit un frémissement dans les buissons d'ajoncs en face de lui, et il se plaqua rapidement au sol, ses yeux arrondis fixant sans ciller l'endroit d'où venait l'origine du son, son pelage d'un blanc pur marqué de-ci de-là par des tâches grises et noires se fondant assez mal dans la végétation. Il commença alors à s'en rapprocher à pas feutrés.. un.. deux.. trois.. quatre.. et encore un pas et il sera assez proche pour sauter sur sa proie sans que celle-ci ne s'en rende compte. Soudain une voix derrière lui le fit presque sursauté et au même moment le gibier s'était fait la malle :

- Encre ! Qu'est-ce que tu fais ? demanda un chaton qui se rapprochait silencieusement de lui, mais c'était trop tard car la proie s'était déjà enfuit.

L'intéressé se redressa et tourna un regard courroucé vers la boule de poils qui faisait à peine le quart de sa taille. Il semblait qu'Encre avait déjà vu cette demi-portion quelque part.. mais son nom ne lui revenait pas vraiment. Il s'assit alors en grommelant, le museau froncé et les oreilles pivotées en arrière de frustration d'avoir raté son petit déjeuner, répondant d'un ton froid :

- Je regardais ma proie se tirer par ta faute. gronda-t-il, sa queue frappant le sol.

Le matou ne savait pas ce que lui voulait ce chaton mais il n'avait pas le temps de jouer avec, il avait mieux à faire que de jouer les mères ! Ah mais.. son nom.. n'était-ce pas Topi.. heu.. Tupa.. non plus.. ah ! Topaze ! C'est vrai. Il ne savait pas ce que pouvait faire un chaton si petit et faible seul, sans personne pour le protéger mais ce n'était pas ses affaires après tout. Alors qu'il se décidait à s'en aller sans plus rien dire, la boule de poils miaula de nouveau :

— Dis, Encre, tu peux m’apprendre à chasser ? demanda-t-il.

Encre pivota la tête vers Topaze en le fixant d'un air déconcerté. Lui apprendre à chasser ? Et puis quoi encore ? Ce n'était ni sa mère, ni un membre des Troupes, quel intérêt d'apprendre à un chaton qui doit encore boire le lait de sa mère à chasser ? Le matou massif poussa alors un long soupir, peu d'humeur à perdre du temps avec un autre chat, et répondit sur le même ton que précédemment :

- Pourquoi devais-je apprendre à un chaton à chasser en sachant que, plus tard, il attrapera des proies qui devraient me permettre de survivre ? Les Clans et les Troupes sont déjà assez nombreux à manger le gibier ici alors je n'ai pas besoin qu'un autre en prenne d'avantage ! miaula-t-il de sa voix grave :- Aller, retourne donc voir ta mère et boire sagement ton lait.

Ce chaton est assez agaçant, malgré sa taille et peut être son âge, il est persistant. Même si il semble déjà avoir des muscles développés à son âge, il ne pourrait sûrement pas battre Encre mais de toute façon ça ne l'intéresserait en rien de s'attaquer à un chaton, certes il est un Escogriffe et en étant l'un deux il est souvent critiqué de lâche par les Troupes mais tout de même. Il n'hésiterait pas à tuer un chaton venant des Troupes mais venant de sa propre "famille", en quelque sorte, le mieux serait d'éviter et ça les affaiblirait. Enfin bref, Encre pouvait bien éviter de tuer un chaton tel que Topaze mais il ne l'aiderait pas pour autant à apprendre à chasser, lui, c'était sa mère qui lui avait tout enseignée, Tieth, mais c'est parce qu'elle était sa mère et pas une étrangère. Cependant, la boule de poils ne semblait pas vraiment d'accord avec le matou bicolore, répliquant :

— Eh bien, si tu refuses de m’apprendre, je vais m’entraîner tout seul. Et au lieu d’attraper une proie pour deux jours de repas, j’en ferai fuir dix pour aucun repas. Je suis pas sûr que ce soit rentable pour toi, mais tu vois. miaula-t-il.

Encre haussa un sourcil en fixant Topaze d'un œil mauvais. Il essayait de faire du chantage ou bien ? Il pensait faire fuir plus de proies que d'en attraper ? Fort bien, qu'il fasse ici ou ailleurs mais le matou ne laisserait jamais cette demi-portion chassait dans la ferme des bipèdes, alors qu'il fasse peur à quelques rongeurs maigrichons à l'extérieur ne le dérangeait pas le moins du monde. Alors Encre haussa brusquement les épaules en fixant de haut le chaton, loin d'être affecté par ses belles paroles, franchement.. les chatons sont bien prétentieux maintenant, même si il ne devait pas vraiment dire quoi que ce soit là-dessus car, ayant été aussi un chaton, il était assez orgueilleux et sûr de lui, harcelant toujours sa mère pour en apprendre encore plus. Habituellement il demandait avec excitation ce que Tieth et lui allait faire le jour-même, le plus souvent de la chasse et du combat, et lorsqu'il en demandait toujours plus elle refusait la plupart du temps. Alors il prenait un ton beaucoup plus sérieux et s'arrêtait de bouger pour fixer droit dans les yeux sa mère, et ça marchait souvent !

— Je suis un bon élève. Et tu sais où j’ai déjà commencé à m’entraîner ? Sur les territoires des Troupes. Juste me montrer l’approche, et après, tu me revois plus. continua-t-il en prenant un air plus sérieux.

Encre fixa un moment Topaze, réfléchissant, pesant le pour et le contre. En y repensant, c'est vrai que cette demi-portion lui faisait un peu penser à lui quand il était chaton. Ses pupilles saphirs s'arrondirent légèrement un court instant avant de s'étrécirent de nouveau, puis il poussa un long soupir avant de se relever et de faire volte-face, dos à Topaze. Certes, ce dernier apprendrait à chasser mais sûrement pas sur le territoire d'Encre, et si il l'y trouvait, chaton ou pas, il lui ferait payer au prix du sang. Il pivota alors sa tête vers la boule de poils, miaulant :

- Très bien, mais tu as intérêt à assimiler tout ce que je vais te dire et montrer en une seule fois, car je ne le referais pas une nouvelle fois. Compris ? maugréa-t-il.