Silence ! (ft. Cascade de la Liberté)

L'aube. L'aube traversait la tanière, plaquant ses rayons sur les corps des guerriers pas encore levés et endormis par l'heure très matinale. Ma nuit avait été moins agitée. Mes cauchemars s'étaient dissipés pour laisser place à un chat noir. Ce chat noir qui revenait presque systématiquement dans mes rêves. Je savais très bien de qui il s'agissait, mais je niais de le reconnaître. J'aimais ce chat; enfin, je l'appréciais. J'aimais sa façon de s'exprimer, j'aimais le soin avec lequel il choisissait ses mots. C'était l'un des seuls chats que je tolérais, et honte à moi, il n'était même pas du Clan de la Rivière. Non, je ne trahissais pas le clan, enfin c'est ce qu'il me semblait. J'avais classé Salem, ce chat noir, dans la catégorie "connaissances". Mais c'était plus que ça, et je ne voulais pas l'admettre, pourquoi créerais-je des problèmes au Clan ? J'y étais fidèle, je me dévouais pour lui, et il passait avant tout. Je cessais de remuer mes pensées et finissais par me lever, les longs poils épais de ma fourrure sans dessus-dessous, mélangés et ébouriffées comme si je ne les avais pas nettoyé depuis des lunes, alors que ma dernière toilette ne remontait qu'à la veille.

Je quittais le tronc des guerriers, sa chaleur et son obscurité pour rejoindre la clairière, où les couleurs si spéciales de l'aube illuminaient les touffes d'herbes ça et là, les proies de la pile de gibier, aussi petite fut elle. Équinoxe du Printemps, qui prenait très au sérieux la tâche de lieutenant depuis qu'Étoile du Lynx fatiguait, s'était posté sur le promontoire, sa fourrure tigrée peignée et le poitrail bien lissé, il était beau sur son rocher. Sa voix résonnait dans le camp, et j'appris qu'il annonçait la patrouille de l'aube. Je fus surprise d'entendre mon nom ricocher entre ses mâchoires. J'étais le plus souvent assignée à la patrouille de nuit, ou bien celle du crépuscule, et presque jamais à celle de l'aube.  J'acceptais cela sans difficulté, bien que je ne puisse pas patrouiller avec mes camarades habituels. Mes camarades silencieux et inexpressifs, ceux que je préférais. Je ne les aimais pas, mais c'étaient, pour moi, les moins pires guerriers.

Pelage de Givre. Ce serait ma coéquipière. J'espérais juste ne pas retourner de si tôt avec la patrouille de l'Aube. Une guerrière turbulente, peut-être avait-elle changé, peut-être avait-elle mûri depuis. C'était une chatonne et une apprentie indisciplinée. Plusieurs fois des guerriers, dont moi, l'avaient retrouvée à l'extérieur du camp, jouant à la grande guerrière exploratrice de buissons. Pathétique. Elle n'avait pas été facile, et je me réjouissais de ne pas avoir été désignée comme sa mentor. Le pauvre chat qui en avait hérité avait dû se faire bien du mal. Je l'avais grondé, à maintes reprises, mais elle finissait toujours par recommencer les mêmes sottises. Qui avaient donc été ses parents pour l'éduquer ainsi, ou plutôt pour ne pas l'éduquer, car je n'avais aucune idée de qui avaient pu être le couple de guerriers qui l'avaient élevé. Quelle chatonne malpolie ! Certes, je n'étais moi-même pas très aimable, mais je savais garder la bouche fermée quand il le fallait.

La guerrière beige me dévisageait. Elle était toujours indisciplinée, elle n'avait même pas écouter les paroles d'Equinoxe du Printemps. Cette jeune chatte n'avait donc aucun respect pour ses aînés ? Je soupirais, laissant clairement entendre mon mécontentement et mon agacement. M'avait-elle entendu ? Cela m'était égal. Ses yeux me fixaient comme si je venais d'une autre planète. Se souvenait-elle de moi ? Ça ne faisait pas si longtemps qu'elle avait quitté la tanière des apprentis.
"Salutations Cascade de la Liberté ! Es-tu prête à te mettre en route ? Passe devant, je te suis." dit-elle, sa voix trahissant son caractère nerveux. J'avais l'oreille pour déceler les sentiments, après quelques lunes à l'écoute on pouvait les reconnaître facilement. Mais je croyais reconnaître, en plus de sa nervosité, une pointe de défi dans le fond des ses yeux. Elle ne voulait pas se faire marcher sur les pattes, la gamine ! Qu'elle continue de me titiller ainsi et notre patrouille de paire se transformer en patrouille solo ! Je cachais cette flamme ardente d'esprit vengeur au fond de moi, et traduisais ce sentiment par un simple haussement de sourcil.

Bien sûr que j'étais prête à me mettre en route, pour qui me prenait-elle ? Les frontières que nous devions visiter étaient celles qui bordaient le Champ de Roseaux, partie du territoire que je ne connaissais que trop bien. En cette saison les roseaux se revigoraient, et commençaient à s'accrocher au fourrure. J'avais ma botte secrète, moi, après m'être rendue tant de lunes vers les roseaux. Je léchais rapidement mais soigneusement les poils de mes flancs, afin qu'ils soient plaqués contre ma peau. Certes ce n'était pas très élégant, mais qu'a vais-je à faire de ce que les gens juger de mon physique ? Moi je n'aurai pas à passer l'après-midi à enlever les tiges de ces maudites plantes de mes poils. Ces trucs collaient comme la bile de souris ! Une fois cette rapide action achevée, je faisais signe à la guerrière beige de me suivre. Elle m'avait laissé devant, je guidais donc la marche. J'entamais un pas rapide, franchissant la délimitation du camp, et prenais la direction du Champ de Roseaux, sans même vérifier que la jeune guerrière me suivait, c'était son problème si elle avait la tête trop haut perchée dans les nuages. Je partais, sans aucun mot.