Découvrir. À nouveau [ft. Aurore Boréale]

Monotone. Ma vie était monotone.
Et bien triste. Les heures, les jours, les lunes passaient devant moi sans même que j'y prête attention. Mais j'étais heureux. Plus ou moins. J'avais ma Colombe, et c'était la seule qui m'importait. La seule chose qui me poussait à vivre. Je ne vivais que pour elle, pour cette chatte folle et tordue que j'aimais tant. Pour cette chatte qui me cachait tant de choses. Pour cette chatte à qui je ne refusais rien, et à qui je pardonnais tout. Je donnerai ma vie pour elle. Elle était une des rares qui avaient su s'ouvrir à moi, sans prendre en compte mon physique. Ce physique ingrat qui me suivait partout où j'allais. Ce physique qui m'avait tant fait souffrir durant des lunes et des lunes. Elle avait été là, là où personne n'était quand j'en avais besoin. Elle m'avait sauvé de la mort, du suicide. Elle m'avait redonné goût à la vie. Même si beaucoup considéraient ses erreurs comme irréparables, pour moi elles n'étaient qu'une simple bousculade dans cette vie que j'adorais.

Elle avait abandonné notre fille. Notre seule et unique fille. Elle l'avait délaissé, loin d'ici. Elle n'osait pas me dire où elle l'avait laissée. Ma pauvre petite fille. Mon si petit chaton, la perle de mes yeux. Je me forçais à croire qu'elle avait survécu, dans cette forêt si hostile. Qu'elle avait continué à vivre, entourée de bêtes cruelles, qu'elle avait résisté à tous ces dangers. Mais il fallait que je fasse face à la réalité : comment un nouveau-né pouvait-il vivre plus de quelques heures ici ? Elle devait être partie depuis bien longtemps. Au Clan des Étoiles, bien-sûr. Où pouvait-elle se réfugier, si ce n'était qu'au ciel ? Le meurtre de ma seule et unique fille. Et pourtant. Et pourtant j'aimais toujours Chant de la Colombe comme au premier jour. Comme une jeunesse idyllique. J'avais été là. J'avais toujours fait de mon mieux pour être à ses côtés, avec et contre le monde entier. Contre son Clan. J'avais été là alors que chaque chat du Clan du Vent voulait la détrôner de son rang de chef. J'avais été là contre son lieutenant, Jaspe Sanguin, aujourd'hui chef.

Je lui devais tout. Et pourtant j'étais si absent. Si fade. Si lâche. Je pensais que je faisais de mon mieux, alors que nombreux chats avaient fait bien plus mémorable et épatant que moi par simple amour. Mais Chant de la Colombe m'aimait ainsi. C'était ce que je croyais. Ou peut-être alors n'étais-je pas ce que je pensais être à ses yeux. Moi qui lui vouais tout l'amour que je possédais et dont je débordais. Je l'avais connue lieutenante, chef, et maintenant guerrière. À nouveau. J'en voulais à Étoile de Jaspe de la faire souffrir ainsi. J'en voulais à ce chat comme j'en voulais à tout ceux qui se dressaient contre ma Colombe. Et, oh Clan des Étoiles, je savais à quel point ils étaient nombreux. J'espérais que cette rétro-gradation de rang les fassent changer. Qu'ils oublient mon pauvre petit oiseau et qu'il trouve un autre chat à persécuter. Je n'avais pas d'autres solutions. Ou bien je me refusais de croire qu'il y en avait d'autres. J'étais bien trop faible pour faire face.

J'avais tendance à ne pas mettre tout le monde dans le même panier, bizarrement. Peut-être car je savais ce que cela faisait, d'être agressé, amalgamé ? J'essayais, comme Chant de la Colombe me l'avait conseillé, d'ignorer les remarques des autres, et de m'assumer comme j'étais. Inapte au combat. Vieillissant. Mais je n'avais pas envie. À 40 lunes, j'avais d'autres projets. Mon œil était toujours aveugle. Ça, il m'était difficile de l'oublier. Mes cicatrices, en tant de temps, ne s'étaient pas refermées. Elles ne se refermeraient jamais. Celles dans mon cœur, se rétrécissaient petit à petit. Doucement. Elles disparaissaient avec le temps et l'amour, aussi minime soit-il, qu'on me vouait. Mais j'étais reconnaissant, envers toutes ces personnes qui avait su voir par-delà mon physique ingrat. Je n'étais pas beau. J'étais défiguré. Mais cela, plus la peine de me le dire, je le savais. Je l'avais appris, j'en avais souffert. J'en souffrais encore aujourd'hui. Cette souffrance accolée à de la timidité n'arrangeait pas les choses.

Et pourtant, il fallait que j'aille de l'avant. Que je fasse avec. C'était dur. Je n'aimais pas devoir me présenter aux autres. Devoir faire mes preuves dans ce monde où pourtant tant d'autres n'en avaient pas besoin. J'observais tous ces chats. Tous ces chats qui n'avaient pas eu la même vie que moi. Certes, ils avaient d'autres problèmes, mais comment comprendre la douleur d'un autre quand on ne l'a pas vécue ? Essayer de reprendre goût à la réalité. Lentement, sans se brusquer. S'introduire, tel un liquide débordant d'un récipient, dans la vie du camp. Parler aux autres, échanger. Se mettre au courant. Je pris mon courage à deux pattes : il était temps. Demander à quelqu'un de m'accompagner pour une patrouille de chasse. C'était banal, trop banal. Peut-être même pathétique. Je me retrouvais au stade d'apprenti essayant de se faire des amis dans sa nouvelle tanière, arraché de la Pouponnière. Mais je ne trouvais pas d'autres idées. Rien d'original. L'imagination me manquait.

Et alors, avec mon plus beau sourire, je m'approchai d'une femelle aux yeux ambrés, dont le nom me revint : Aurore Boréale. "Je m'apprête à partir chasser, tu m'accompagnes ?"

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