Nouvelle proie || Mistral Lointain

Comme à son habitude, on pouvait repérer Mistral Lointain allongé tranquillement dans un coin du camp, profitant de la tranquillité d’un vétéran, écoutant avec malheur les toussotements de ses camarades et supportant la peine de plus en plus dure habitant son âme lorsqu’un nouveau camarade s’envolait vers les Étoiles pour aller chasser paisiblement.
Une légère brise vint ébouriffer sa pelisse sombre tandis que son regard d’un bleu profond balayait le camp d’un air suspicieux. Il plissa les yeux en voyant la jeune Grâce du Cygne venir piocher dans le tas de gibier. Au même moment, son ventre gargouilla et les borborygmes de celui-ci fit se rendre compte au matou noir qu’il n’avait pas avalé une seule pièce de gibier depuis la cérémonie de partage du Midi durant laquelle il avait à peine pris un morceau de souris. Il finit par comprendre par la douleur que son estomac lui hurlait d’aller prendre quelque chose, d’aller rassasier cette faim insoutenable. Néanmoins, la saison froide était tombée et il était hors de question pour lui de se nourrir de proie qui pourrait permettre à un chaton de survivre ou à un malade de se guérir plus facilement.

En revanche, la féline blanche qui s’approchait de lui avait grâce n’avait pas l’air d’être du même avis. Accompagnée de paroles élégantes, elle déposa sa grive aux pattes de Mistral Lointain, lui proposant de partager cet oiseau. Le grand guerrier savait que la femelle n’était pas sans arrière pensée pourtant, il se voyait mal refuser cette offre alléchante tandis que la faim le tiraillait. Il déposa son regard intrigué sur la belle demoiselle avant de reporter son attention sur la proie qu’elle venait de diviser en deux. Avec le temps, il maigrissait à vue d’oeil. Il savait qu’il devait se remplumer avant de se faire sermonner.
Au moment où il voulut entreprendre son repas, ses yeux se perdirent à admirer Grâce du Cygne qui mangeait sa part avec tant d’élégance. Elle portait son nom fièrement et il savait que celui qui lui avait offert ce nom ne s’était pas trompé. Elle possédait en effet énormément de grâce mais aussi beaucoup de charme et de délicatesse.

Lorsque ses yeux croisèrent ceux de la demoiselle, il détourna le regard, incapable de le soutenir et s’empressa de s’emparer d’un morceau de grive, affamé. Il l’écouta parler, mâchant ce qu’il avait dans la gueule avec beaucoup de patience, dans l’espoir que cela remplirait davantage son estomac.
Il appréciait beaucoup les louanges de la belle, mais il sentait comme s’il y avait anguille sous roche. Et il savait ce qu’elle cherchait. Il la connaissait suffisamment, et il l’avait vu naître dans ce camp mais il l’avait surtout vu grandir et devenir une femelle très charmeuse. Il n’aimait pas ce genre de femelles. Les mâles n’avaient aucun mal à tomber à leurs pattes, mais pas lui. Du coin de l’oeil, il vit la fourrure aussi blanche que la neige d’Étoile Orangée dont l’amour qu’il lui portait traînait depuis de nombreuses lunes. Cela n’avançait pas et il en avait marre, pensant qu’elle ne souhaitait aucune relation depuis qu’elle était devenue meneuse et qu’elle n’était plus avec Étoile de Jaspe, peut-être trop occupée à penser à lui, Mistral Lointain dévisagea alors Grâce du Cygne, intéressé à l’idée de flirter avec elle si cela pouvait faire réagir celle dont il tombait amoureux. Et pour cela, il fallait entrer dans le jeu de la féline face à lui.

« — Tu n’as pas tort. Il serait temps que je sorte de l’ombre pour passer davantage de temps avec une féline à la beauté époustouflante. » lui répondit-il en lui coulant un regard charmeur. Au fond de lui, il se sentait mal, ayant l’impression de trahir Étoile Orangée. Tant pis pour elle ! « — Tu es peut-être une bonne compagnie, mais penses-tu que je le suis autant que tu l’es ? Sinon, pourquoi ne viendrais-tu pas d’allonger près de moi, que nous discutions. Arf, et j’aurai bien besoin d’un brin de toilette, si le coeur t’en dit, belle demoiselle. » ajouta-t-il, désormais pris au jeu. Étoile Orangée était toujours dehors, mais il doutait qu’elle l’ait remarqué.

Le premier qui tombe amoureux, a perdu.
Les deux félins jouaient au même stupide jeu ; sauf que Mistral Lointain se savait incapable de tomber amoureux de deux femelles. Son coeur allait à Étoile Orangée et à personne d’autre, bien qu’il n’en ait parlé à quiconque. En revanche, Grâce du Cygne avait encore le coeur libre. De ce qu’il en savait. Après tout, peut-être était-elle dans son cas, amoureuse secrètement d’un beau mâle du camp, sans qu’elle n’en ait parlé à quiconque. Mais en tentant de lire dans son regard, le guerrier noir n’y voyait que ce pari qu’ils venaient de se lancer. Il n’eut pas le temps de scruter quoique ce soit d’autre, car elle avait dors-et-déjà entrepris de se glisser doucement à son côté. Le regard bleu du mâle coula sur elle avec envie puis il reporta son attention sur Étoile Orangée mais rien à faire, elle semblait être devenue aveugle avec cette maladie. Insensible. Impassible. Indifférente. Et cela brisait le coeur du matou et le poussait davantage à se rapprocher de la belle demoiselle dont le pelage blanc se mêlait désormais au sien.

La belle féline commençait déjà à se soucier de lui et de sa santé, refusant une bonne toilette, de peur de le rendre malades. Ce qu’elle ne savait pas, c’était qu’il l’était déjà depuis un bon moment mais que son état stagnait depuis tant de temps qu’il savait qu’il ne chuterai pas plus bas. Son instinct avait parlé.

« — Oh, pas de panique, belle demoiselle. Nous sommes tous les deux atteint très légèrement par la maladie depuis un bon moment, je doute que cela empire désormais. Enfin, si tu ne veux pas t’y risquer, je ne t’imposerai rien. »
Et en ces temps maussades, Grâce du Cygne avait besoin de joie. Quelque chose qui pourrait leur changer les idées à tous les deux se révélaient être la meilleur chose à faire. Le matou prit le temps de réfléchir à une histoire croustillante à raconter.

« — Lorsque je n’étais encore qu’un chaton, je croyais que le soleil était le plus vieux chat des Étoiles qui poussait une boule de mousse lumineuse. Enfin, je n’étais qu’un chaton à ce moment-là. Aurais-tu quelque chose de plus amusant à raconter, Grâce du Cygne ? Je dois avouer que faire rire n’est pas mon point fort. »

Pendant que le matou au pelage ébène tentait d'adoucir l'atmosphère avec une simple histoire sans prétention, il sentait les coups de langue râpeux de la demoiselle qui glissaient le long de sa fourrure. Cette sensation lui fit du bien et pendant un instant, il crut voir Étoile Orangée à son côté mais se rendit bien vite compte qu’elle n’était pas là ; et il se demandait si un jour, elle serait là, allongé à son côté en train de faire sa toilette pendant qu’il serait en train de lui raconter une histoire. Il y croyait malheureusement peu.

« — Quand j'étais novice, je devais m'occuper des tiques des anciens mais détestant la saleté j'ai voulu courir pour m'en débarrasser le plus vites possible. J'ai trébuché tête la première et toute la bile de souris s'est retrouvé sur mon pelage, je me rappelle avoir dû plonger toute entière dans la rivière pour m'en débarrasser, depuis je n'approche plus de la bile, ce moment était horrible surtout que je ne ressemblait plus à rien toute mouillée ! »

L’histoire de la femelle leur arracha à tous les deux un ronronnement amusé ; Mistral Lointain imaginait bien la scène. Malgré son âge et surtout l’écart entre les deux félins, le guerrier noir ne se souvenait que de quelques bribes de cette incident, peut-être pas assez marquant pour sa petite mémoire ou tout simplement parce qu’à l’époque, il était bien trop occupé avec son père. La pensée de celui-ci voila le regard du matou qui, en repensant à lui, repensant à sa soeur, à son décès et à tout ce qu’il y avait autour. Sa promesse faite à l’âme envolée de Sourire Effacé, le chagrin qui envahissait son palpitant gardé d’une forteresse de glace et son regard qui venait se perdre dans le vague du monde, fixant un point inconnu. Une douleur, une vague de nostalgie vint affoler son coeur et il se leva avant de s’ébrouer.

« — Tu m’excuseras, j’ai à faire. »
Il laissa ses pupilles bleues pleines de tristesse se tourner un instant vers le visage de la demoiselle avant de laisser ses pattes le guider en dehors du camp pour aller passer la fin de sa journée dans la lande avant de pouvoir parler aux étoiles dans la nuit obscur qui envelopperait CerfBlanc. À ce moment-là, la Toison Argentée lui offrirait son oreille pour écouter ses tourmentes et le laisser cracher son venin si besoin est.

hrp | soit tu clôs, soit elle l'interpelle ou le rejoint le soir-même pour discuter avec lui et pourquoi pas relancer le jeu de séduction, comme tu veux. voire même, elle l'interpelle, ils chassent, discutent et le soir-même, ils font tu-sais-quoi uhuh

Le matou ébène était parti comme un voleur, laissant une belle demoiselle seule dans le camp. Mistral Lointain n’avait jamais été très bon dans ses relations. Il avait passé sa vie à harceler sa soeur, sa mère ne l’aimait pas, il avait été persécuté par son père durant toute sa vie, devenant presque comme son esclave. Et avant qu’il ne s’en rende compte, son père s’était envolé vers les étoiles, préférant sûrement chasser auprès des fantômes qu’auprès des vivants. Il n’avait peut-être plus rien à faire dans ce monde de mortels écervelés ; il ne savait pas non plus y faire avec les chatons. Peut-être était-ce parce qu’il n’en avait pas eu ou parce qu’il n’avait pas l’instinct paternel, mais il traitait souvent les chatons comme de simples chats et non comme de doux et minuscules créatures qu’il fallait protéger, qu’il fallait conserver dans un cocon, au moins jusqu’à leur six premières lunes. Il n’était pas d’accord avec cette idée mais il n’avait rien à en dire, ce n’était pas ses petits.
Il ne savait pas non plus y faire en amour. Apprenti, il avait fricoté avec une jeune demoiselle mais ils ne sont pas allés plus loin. Il est ensuite allé chercher jusque dans le Clan de l’Ombre. Au début, tout allait bien puis c’est son père ensuite qui s’est mêlé de ses affaires. Alors il a dû y mettre fin et il a subi les représailles de la magnifique féline qu’il aimait encore tant à l’époque. Aujourd’hui, il avait renoué avec Étoile Orangée et au lieu d’aller davantage vers elle, il cherchait à la rendre jalouse avec Grâce du Cygne, qu’il avait laissé en plan quelque temps plus tôt.

Alors que son regard se perdait parmi les cieux d’un bleu indigo, caressés de quelques nuages, d’un joli croissant de lune et de petites étoiles brillantes, le guerrier sombre entendit quelques bruissements derrière lui, sans pour autant y faire véritablement attention. Seules ses oreilles trahissaient son attention perturbée. Une voix s’éleva dans l’air et Mistral Lointain reconnut aussitôt celle de Grâce du Cygne. La façon dont elle l’approchait signifiait qu’elle avait été touchée par son départ précipité. Il ne fallait pourtant pas faire attention aux sautes d’humeur du matou. Mais elle ne le savait pas encore.
Une douce brise fraîche souleva le pelage des deux félins côte à côte, sous les étoiles. L’image était belle, de loin, idyllique, tandis que le vétéran aux yeux de saphir cherchait ses mots. Il n’avait pas de bonne raison, mais il ne voulait pas laisser passer l’occasion. Il allait reprendre là où ils s’étaient arrêtés. Ils étaient seuls. Ils pouvaient bien faire ce qu’ils voulaient.

« — J’avais besoin de prendre l’air, de réfléchir seul. Tu as beaucoup occupé mes pensées durant tout ce temps. » C’était à moitié vrai, mais il s’était surtout demandé si c’était une bonne idée, eux deux. Il n’avait pas trouvé de réponse. Mais ce soir peut-être, alors qu’il se perdait dans les yeux bleus de la demoiselle, il finirait par trouver une réponse. « — T’as d’beaux yeux, tu sais ? » À cet instant, Mistral Lointain plongea profondément son regard dans celui de la femelle blanche, comme captivé. Ce soir, il savait ce qu'il voulait.