Ils n'étaient pas du même monde, et pourtant, il lui arrive encore régulièrement d'en douter. Douter de sa même méchanceté profonde, de son lui intérieur qu'il pensait jusqu'ici aussi clairvoyant qu'une goutte d'eau. Qu'on pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert. Sauf que non, il se leurrait depuis toujours, faisait la sourde oreille et avait finit par s'en mordre les pattes. Un monstre, voilà ce qu'il était devenu... Ou plutôt, voilà ce qu'il avait toujours été. Et pourtant, il avait connu plusieurs personnes qui lui avaient donné de nombreux avertissements. Son géniteur fut le premier à le faire. Depuis jeunot, il n'arrêtait pas de le bassiner avec ses règles à suivre pour ne pas devenir quelqu'un de mauvais. Il disait sans relâche que la voie du juste était également celui qui était le plus dur à emprunter, et qu'il ne fallait sous aucun prétexte s'en écarter, faute de quoi, on était condamné à errer dans l'obscurité. Le corbeau n'était à l'époque qu'un gamin stupide, et n'avait pas comprit l'essence de ses paroles. Mais aujourd'hui, il y voyait un peu plus clair. Peut-être que le chuchoteur était parti en sentant que lui-même devenait un monstre... Peut-être que tout cela était génétique ? Avait il toujours été condamner à devenir un être abject, quoi qu'il fasse ? De nombreuses questions le taraudaient sans cesse, même la nuit. Ces derniers jours, le guerrier de l'ombre dormait si mal qu'il avait fini par renoncer temporairement à le faire. Il quittait donc sa couchette tard et revenait qu'au petit matin. Il avait donc un certain décalage comparé aux autres. Ce qui énervait plus d'un félin, mais trop craintif de ce dernier, se contentèrent de blasphémer sur lui sans vergogne.

Masque du Corbeau soupira, sortant de cette rêverie mélodramatique pour se concentrer sur l'essentiel. Car oui, pour être essentiel à son meneur, il devait le devenir par tous les moyens, quitte à passer pour un bourrue du travail auprès des autres. Il avait toujours le projet d'être guérisseur, et travailler dure pour y arriver. Il avait pris connaissance des différentes variétés de plantes médicinales et leurs rôles. Il les connaissait toutes sur le bout des pattes. Il avait donc accepté d'aider le guérisseur le matin même qui cherchait à se procurer l'une de ces nombreuses plantes qui soulageaient les maux de ventre. Partant avant même que l'aube ne pointe le bout de son nez, le corbeau partit en direction du sentier de la forêt. C'était un endroit sombre et dangereux, et la pénombre actuelle donnait encore plus de difficulté au niveau de la vision. Forte heureusement, les félins peuvent voir en toute circonstance, même enfermée dans une boîte sans lumière. Le guerrier de l'ombre parcourut le chemin d'un pas méfiant. Il connaissait les risques, ceux de rencontrer malencontreusement des bipèdes ou pires, les chiens qui les accompagnent. Il en avait croisé deux la dernière fois, forte heureusement, les bipèdes n'accordent que très peu d'importances aux chats sauvages, on l'avait donc ignoré quand on l'avait remarqué sur une branche d'un arbre. Tant qu'il ne venait pas directement à leurs rencontres... Le corbeau chercha du regard l'une de ces petites baies caractérisées par leur couleur verte. Il fut satisfait d'en trouver un buisson bien équipé. Il s'apprêta à les poser sur une feuille quand un craquement le fit se raidirent, ses poils se hérissant sous le coup de la surprise. Il s'affaissa quand il en reconnut l'odeur, soupirant tout en s'adressant à l’intrus tapis dans les fourrées :

« Décidément... Ma chance n'est pas si grande finalement... Moi qui espérais tant ne pas te croiser.. Encore... »

Il enroula les baies dans la feuille, posant un regard las sur le guerrier de l'ombre, en l’occurrence Gardien des Ténèbres, un guerrier qu'il connaissait depuis toujours. Il essayait depuis un moment d'enterrer tout ces souvenirs liés à lui, mais maintenant qu'il le revoyait,il avait de plus en plus de mal à le faire...