Je ne sais pas ce que tu fais là // KERZAK

Je ne sais pas ce que tu fais là

Mon regard se bloque sur ma sœur. Elle est en train de dormir, paisiblement. Dans le silence, laissant à peine entendre sa respiration. Je n’aime pas la savoir si silencieuse, même si je sais qu’elle ne pourra pas trahir sa présence de cette manière. Ma sœur ne doit pas être découverte. Beaucoup pensent que je suis le seul chat vivant dans cette grotte. Beaucoup m’ont vu me balader dans les environs à la recherche de mon père et des informations que l’on pourrait me donner sur lui. Mais personne n’a pu voir ma sœur, sauf Sirène qui est venue dans notre partie de chasse. Ce n’est pas que ce je ne veux pas qu’elle voit quiconque, non, c’est plutôt elle qui choisit la discrétion quant à sa personne. C’est elle qui choisit le silence, et je ne fais que respecter son choix. Ma sœur à le droit d’en faire, et ce n’est pas parce que je suis l’ainé que je la lui en priverai. Elle est un être à part entière, et je ne suis que le représentant de la famille que l’on forme. Nous sommes un tout, soit les descendants de Pegy et Chant du Matin, mais nous sommes aussi des individus séparés, seulement reliés par le sang. Je peux aussi la considérer comme ma meilleure amie, ou encore comme ma compagne de vie, mais ce n’est pas cela qui me donnera un droit sur elle. Elle vit sa vie, je vis la mienne. Si elle est encore dans cette grotte, c’est par choix. Je sais que je vivrai dedans jusqu’à ma mort, j’y suis né, j’y vivrai. Tout ce que je lui demande, c’est de me prévenir, pour ne pas que je m’inquiète. Je ne veux pas revenir pour ne pas la voir. Je ne veux pas la croire morte. Je veux la savoir en vie. Si elle veut partir, qu’elle me prévienne et je ne l’en empêcherai pas. Je ne suis pas comme ça, et je lui en ai fait la promesse. Ma sœur a le droit de vivre comme elle l’entend.

Les chasses que l’on faisait avant me manque. Ma sœur se fait de plus en plus solitaire, plus le temps passe. Je ne sais pas ce qui a pu provoquer ce changement, mais je n’arrive pas à me décider si je dois l’aimer ou non. Ma sœur avait plus tendance à me suivre durant les chasses, m’aidant à débusquer et attraper les proies. Elle les bloquait, ou les piégeait, de sorte à les attirer vers moi. Mais maintenant, je suis de plus en plus souvent seul dans ces chasses. Il y a aussi les jeux qui me manquent. Je me souviens encore des poursuites que l’on pouvait faire sans aucune gêne. J’ai l’impression de la voir mourir plus le temps passe. Elle reste là, dans le fond de la grotte, limite pour laisser la nature prendre possession d’elle. Elle attend, comme si des lianes allaient pousser sur elle. Comme si elle voulait se faire ensevelir par la grotte elle-même. Même si cela prendra plusieurs décennies, je suis certaine qu’elle sera toujours là, à attendre. Je ne sais pas ce qu’elle veut faire de sa vie. Ma sœur ne me l’a jamais dit. Elle reste silencieuse quant à ses envies futures, préférant ne pas l’imaginer. De mon côté, je ne sais pas exactement ce que je ferai quand j’aurai mes réponses au niveau de mon père. Je ne sais pas, pour le moment c’est le seul but que j’ai. Je veux seulement avoir les réponses que je cherche depuis petit. Je veux enfin avoir réussi l’objectif de ma vie. Le seul que je n’ai jamais eu, enfin si on retire le fait d’avoir une sœur en bonne santé.

Je fais deux pas vers ma sœur pour réduire totalement la distance qui nous séparait. Elle est belle, endormie de cette façon. Elle ressemble à un petit ange venu du ciel, une innocence pure. C’est peut être pour cette raison que je veux la protéger. Parce qu’elle est fragile. Parce qu’elle est la personne la plus douce et innocente que je connais. Ses fines rayures blanches de son dos se soulèvent au fur et à mesure de sa respiration, la seule preuve qu’elle est vivante. J’observe quelques secondes ses yeux fermés, avant de me détourner d’elle. Je dois aller chasser, à nouveau, puisque le tas de gibier est presque vide. La dernière fois, j’y suis allé après la visite de Mouette. Il y avait beaucoup de prises, mais là, cela fait plus d’une semaine, et il faut refaire les stocks. Il est encore tot, je le sens, et la chaleur de la saison chaude se fait de plus en plus absente. On commence à ressentir le froid, et il est mordant vu que le soleil ne se lève qu’à peine. Cette saison des feuilles mortes va être rude, et celle des neiges encore pire. Je la sens mal.

Mon museau sort de la grotte. Un nuage de vapeur sort de mon corps quand j’expire. Le froid est vraiment mordant, bien que nous ayons connu pire bien plus tot. Mais bon, je n’ai pas le choix, et mon poil de saison ne devrait tarder à pousser. Enfin, j’aurai un peu plus chaud ! Je descends la pente qui amène à la grotte pour rejoindre le terrain de chasse juste en bas. Cette grande forêt de pins, ouverte aux chats de tous les environs. C’est un point de passage pour rejoindre les troupes, tandis que la colline, à ma droite, amène aux Clans. Je connais les deux directions, vu que j’ai beaucoup voyagé aux alentours quand la femelle est morte. Je connais tout ce qui nous entoure, si bien que je peux deviner d’où peut venir la menace. Sauf que là, rien ne peut trahir la présence d’un autre chat. Je peux voir les collines d’ici, et je sais qu’elles ne sont pas protectrices d’intrus. La forêt, c’est une autre histoire, mais je serai placé d’une telle façon, qu’ils devront passer devant moi avant de rejoindre la grotte.

En attendant, continuons de descendre la pente raide.

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