Tu es le plus sombre de mes songes. || Akito

N'ayez pas peur. Je suis là, je serais toujours là pour veiller sur vous. Il y a peu de promesses qui peuvent se tenir éternellement. L'on finit toujours par échouer, même si c'est contre notre gré. Pourtant, Prince du Temps ne doutait pas. Il n'a jamais un seul instant arrêté de croire que sa mère était là-haut, continuant de protéger ses précieux petits. Il persiste à penser qu'elle les observe continuellement, qu'elle est fière d'eux, et qu'elle les aime inconditionnellement. Certains le prendraient peut être pour un fou dans les nuages. Mais sans cette force qui le guide, sans cette certitude qui l'habite, que serait devenu le guerrier ? Qui serait resté pour veiller sur ses sœurs ? Même si aujourd'hui, Ritournelle Réminiscente a rejoint le Clan des Etoiles, elle continue de guider les pas de son fils. Malgré le destin capricieux, elle continue de marcher à ses côtés. Peut être est-ce vraiment ça, le pouvoir de l'amour.

Lové entre ses deux sœurs, leurs fourrures chaudes contre la sienne, Prince du Temps ne pouvait être plus paisible. La fratrie se tenait chaud en cette matinée de la Saison des Neiges. L'aube était proche, et déjà certains guerriers du Clan de la Rivière s'étiraient pour rejoindre la première patrouille de la journée. A ses côtés, le jeune mâle sentit Envol d'Alouettes remuer, et la chaleur de son corps contre le sien disparut aussitôt. Entrouvrant un œil, il comprit que sa sœur avait quitté sa litière pour partir patrouiller dès les première lueurs. Étouffant un bâillement, il se tourna vers Eveil du Nénuphar et la lécha tendrement entre les deux oreilles. Celle-ci lui répondit par un ronron heureux, émergeant doucement de son profond sommeil.

▬ Rendors toi, lui murmura-t-il, je sais que tu as participé à la Patrouille du Crépuscule. Équinoxe du Printemps ne t'en voudra pas si tu te lèves un peu plus tard.

La guerrière hocha la tête faiblement avant de se rouler en boule, sa respiration de nouveau plus lente. Se levant lentement, Prince du Temps rejoignit la clairière du camp, soudainement aveuglé par la lumière de l'aube. S'étirant longuement les pattes, il se dirigea vers son lieutenant pour savoir ce qu'il allait lui confier. Les patrouilles toutes déjà faites, il avait la matinée de libre, mais rejoindrait la Patrouille de Midi. Cependant, il savait qu'il n'allait pas en profiter pour se reposer. Même si la Saison des Feuilles Nouvelles approchait, le Clan avait toujours plus que besoin de gibier, il partirait donc à la chasse. Il alla se chercher une truite avant de partir, et hésita à aller réveiller sa sœur pour lui proposer de l'accompagner. Mais finalement, il choisi de partir seul, et se mit en route dès qu'il eu enterré les arrêtes de son poisson.

Se léchant les babines, le guerrier s'engagea sur le chemin des Quatre Chênes. Il n'avait pas envie de s'essayer à la pêche, où il pouvait être dérangé par une patrouille, ou un apprenti trop bruyant. Autant se diriger vers un endroit peu fréquenté en journée, et où les proies ne l'attendraient pas. Comme il était parti tôt, il pourrait être de retour avant midi, en ayant peut être attrapé un ou deux rongeur, avec chance. Plus rapidement qu'il ne l'aurait cru, les grands arbres se dressèrent devant lui. En plein jour, cet endroit n'était plus aussi impressionnant que durant les Assemblées. Il perdait de sa prestance. Mais il n'était pas venu pour admirer le paysage, et Prince du Temps se mit immédiatement en chasse. Silencieux comme un serpent, il se faufila vers les arbres, espérant trouver une souris sortie pour grignoter. Mais au lieu de sentir le précieux rongeur, une toute autre odeur vint à lui. Odeur qu'il n'aurait préféré par rencontrer. Se redressant aussitôt et gonflant de volume, il guetta l'arrivée du félin non-désiré. Prince du Temps connaissait déjà cette odeur, et il savait qu'il n'appréciait pas le malotru, pour le peu qu'ils se connaissaient. Il pourrait très bien se cacher et le laisser passer pour ne pas avoir à affronter ses jacasseries, mais il ne pouvait pas le laisser rester dans le coin, alors qu'il pouvait menacer les Clans, peu importait lequel.

▬ Mon flair ne me trompe jamais, je sens ta présence vaurien. Montre toi.

Prince du Temps ne comptait pas se jeter sur l’intrus pour le réduire en charpie, loin de lui cette idée. Mais au moins s'il pouvait le faire se retourner et s'en aller, ça suffirait. Ah, mais ça risquait d'être difficile, il savait à quel point le matou pouvait se montrer agaçant et surtout, difficilement influençable. Non vraiment, Prince du Temps n'aimait pas cet incapable.

C'est doucement que se levait le soleil sur la Forêt, sous le regard attentif de ce félin au pelage de sable et de crème. Il observait le lever du soleil d'un œil passif, sans bouger, étendu sur un petit rocher quelque part qui était nommé par les Clans les Hautes Pierres. Akito devait bien admettre que l'endroit méritait son nom parfaitement, ayant des pierres bien hautes. Il avait même entendu que ce qui se trouvait à l'intérieur, la grotte, portait le nom de la Grotte de la Vie, ou quelque chose comme ça et qu'il y avait une Pierre de Lune, mais il n'était jamais entré. Il n'en avait pas vu l'intérêt. On ne peut pas jouer avec une pierre, après tout. On peut seulement jouer avec les félins, et forcément, la pierre n'était pas un félin. Alors il s'était étendu sur une partie de la pierre, une partie basse, et avait regardé le soleil se levait. Levé au crépuscule et ayant dormi une bonne partie de la journée, le vagabond ne souffrait point de fatigue, et il pouvait observer le soleil colorer le ciel de plus nuances d'orange, de jaune, et même du rose, du violet. Certains nuages abordaient ces deux dernières nuances. C'était beau et Akito ne pouvait nier cela. Aussi cruel qu'il pouvait être, il savait reconnaître la beauté des choses. D'ailleurs, l'âme des félins était belle, et c'était la tout le plaisir : détruire ce qui était beau, enlaidir la beauté.

Il se leva finalement, le regard scrutant un peu partout, et bâilla longuement avant d'entreprendre, distraitement, une toilette. Distraitement, certes, mais appliqué. Son pelage crème, sable, était toujours bien entretenu. Il était un vagabond, mais cela ne voulait pas dire que son apparence devait être dégradée. Il était suffisamment beau pour attirer l'attention, mais il s'en fichait. L'attention qu'il désirait attirer n'était rien d'autre que celle de l'âme pour pouvoir attaquer. Parce que pour attaquer, il fallait que l'âme s'approche et laisse apparaître une faiblesse, sans quoi les mots ne servaient à rien et le jeu était vite ciblé. Akito le savait bien, et il était devenu rapidement maître dans l'art de décerner les failles des cœurs. Après tout, cela faisait bien longtemps que le vagabond vaguait dans cette cruauté, n'était-ce donc pas normal qu'il ait l'habitude d'être ainsi ? Il s'ébroua, sa toilette finit et sauta sur le sol, souplement, le regard brillant d'une lueur indéchiffrable.  

Akito avait toujours ce regard où brillait quelque chose sur quoi on ne pouvait apposer aucun mot. Une lueur, un éclat, un reflet ? On ne pouvait pas définir ce qui demeurait ancré dans le regard de ce vagabond, celui né escogriffe, mais qui se plaisait à dire à présent qu'aucun titre ne lui convenait. Aucun autre que vagabond. Il était ce vagabond, après tout, pourquoi tenterait-il ou même accepterait-il qu'on le nomme autrement ? Il s'étira un moment avant de se mettre à marcher, pour se dégourdir les pattes, pour juste agir, faire quelque chose, l'immobilité le rendant terriblement apathique, et ce n'était pas pratique lorsqu'on désirait jouer. Et lui, c'était tout ce qu'il désirait, après tout, jouer. Ses pattes le menèrent un peu plus loin, mais toujours sur des Terres qui n'appartenaient à aucun Clan. Des Terres Libres, comme les Terres sans appartenance des Troupes. Il s'arrêta lorsqu'il remarqua quatre grands arbres. Son esprit sembla chercher quelque chose, un souvenir, tandis que son regard curieux parcourait les chênes. Il se souvint du nom, les Quatre-Chênes. C'était un lieu de réunion des Quatre Clans... facile d'écouter les chats parler, non ?

Akito sauta sur un arbre, s'accrocha à l'aide des ses griffes, puis grimpa pour se trouver au sommet de l'arbre. Son regard put alors cibler une silhouette féline. Une expression de joie passa rapidement sur le visage du solitaire, de l'escogriffe, expression renforcée lorsqu'il reconnut celui qui approchait. Un chat de ce Clan qui pêchait et mangeait les poissons, qui savait nager même. Le Clan... de la Rivière, non ? Akito était sûr que c'était ce nom. L'autre semblait chercher quelque chose, sûrement quelque chose à manger, quand, légèrement près des arbres, le nouvel arrivant donna l'impression d'avoir senti une odeur qui ne lui plaisait pas. Le vagabond crème attendait seulement de l'entendre parler. Akito attendrait. Il savait très bien attendre, le démon, parce qu'il était tant patient lorsqu'il s'agissait de ça. Alors, au bout de quelques instants, la voix de ce guerrier retentit dans les airs. Le félin sans attache sauta souplement sur le sol, derrière le guerrier, se réceptionnant habilement. Son regard était joueur, son regard était lumineux. Mais regardez profondément au fond de ce regard et vous pourriez parfaitement voir cette froideur mortelle.

« Ainsi, on ne reconnaît pas l'odeur, lorsqu'elle provient des hauteurs ? Oh, quel surnom affectueux vous m'avez donné. J'en suis flatté ! »