Je veux que tu vives une vie heureuse FEAT BIKET

Vivez une vie heureuse

J’aimerai tellement pouvoir oublier. Oublier que j’ai perdu mon compagnon, celui que j’aimais et que je continuerai d’aimer quoi qu’il arrive. Oublier que je suis la mère de trois chatons. Oublier que je risque de mourir à chaque fois que je vais sur ce rocher. Je voudrais tout oublier, mais j’en suis incapable. Je ne fais que me rappeler chaque jour. C’est un cycle constant que je ne peux stopper. Je ne peux pas le faire, pourtant, je le souhaite chaque jour durant. Je ne peux oublier malgré toute la volonté du monde. Tout ce qui existe est fait pour que je me souvienne de toutes mes erreurs, de tous mes malheurs, de tout ce qui a détruit ma vie. Mais également de tout ce qui me permet de tenir. Je tiens à un fil. Sur une seule de mes griffes. La moindre impasse, et je tombe dans le trou infini qui est la mort. Je ne veux pas. Je ne veux pas tomber, mais il est pourtant si proche. Je le sens au plus profond de mon âme. Il est là, juste là, sous mes yeux. Il ne bouge pas, il se contente juste de m’observer, mais il est tellement proche que je sens son haleine sur mon museau. Ce vide est affamé, il ne demande que ma petite personne. Ou peut être d’autre aussi. Mais ça, ça ne m’intéresse pas. Sauf si ça concerne mes enfants. Je veux qu’ils vivent leur vie. Je veux qu’ils vivent plus heureux que je ne le suis. Je veux qu’ils vivent aussi longtemps qu’ils le pourront. Mais je ne veux pas qu’ils connaissent tous ces malheurs. Je suis contre. Faite qu’ils aient une vie pleine de bonheur, pour le père. Pour moi. Pour leur famille devenue inexistante. Je veux qu’ils connaissent l’amour et non la dureté d’une séparation brutale. Je veux qu’ils puissent mettre toute leur confiance en un ami qui leur est cher, et non qu’ils se fassent trahir à la moindre seconde à venir. Je ne veux pas qu’ils aient ma vie. Je veux qu’ils restent ensemble, soudés. Je ne veux pas qu’ils connaissent la perte d’un frère ou d’une soeur comme moi j’ai perdu Shy. Esprits, faite que leur vie soit douce, et je partirai le cœur tranquille au moment venu. Je ne demande que ça. Si vous voulez que je reste en vie, alors laissez-les vivre une vie heureuse et pleine de joie. C’est tout ce que je vous demande

« Hé, petite sœur ! Pourquoi est-ce que tu pleures ? »

Mes yeux embués de larmes se posent sur ma sœur. Elle est si forte comparée à moi. Je suis si faible. Je tente de lui sourire, mais c’est juste pour faire tomber les larmes de plus belles. Je ne les contrôle plus. Je n’arrive plus à me retenir. Je dois me délivrer, mais je n’y parviens pas. Le fil des larmes ne sert plus à rien, pourtant, il reste continu. Il reste là, tout ça pour que je me souvienne à jamais. Je ne sais pas si on peut dire qu’il est sadique, mais même s’il ne peut l’être, aujourd’hui, il l’est devenu. Il est aussi sadique que les esprits « veillant » sur nous. Si les esprits étaient vraiment là, jamais…

 « Tu penses encore à elle c’est ça ? Tu te dis que c’est injuste ? »

Elle me connait si bien. Elle sait tout. Elle a vécu la même chose que moi, même si je sais qu’elle ne portait pas Shy dans son cœur. Elle se contrôle pour nous deux. Elle reste dans la tristesse pour que je ne me sente pas seule, et pourtant, elle essaye de me remonter le moral du mieux qu’elle peut. Je ne sais pas comment je pourrais faire sans elle. Elle me permet de vivre, et je ne lui rends rien. Elle ne me demande rien en échange.

« Eïssa, regarde-moi. Est-ce que notre sœur voudrait que tu restes là, à toujours te lamenter contre les Esprits ? Elle voudrait que tu vives, tout en ne l’oubliant jamais. Elle voudrait que tu penses à elle pour que tu sois plus forte et non pour que tu faiblisses. Elle ne voulait que ton bonheur, alors fait ce qu’elle voudrait que tu fasses. Vis, et ne l’oublie pas. »

Elle me manque encore tellement. Chaque nuit, j’ai l’impression que la voir qui m’observe. Qui me rappelle combien elle m’aimait. Je la revois alors qu’elle vivait à mes côtés. Alors que la vie à ses côtés était si belle. Je la revois, et grâce à ça, je ne peux l’oublier. Même avec toute la volonté du monde, je ne pourrais pas.

J’observe ma sœur de mes grands yeux verts. De grands yeux pétillants de malice. Je reste avec ma sœur. Tout le temps. Tout le temps….. C’est bientôt la fin… Bientôt… Non, ne pense pas à ça ! peut être qu’ils se sont trompés ! Peut être…. Elle va vivre, j’en suis certaine ! Maman aussi ! Ma sœur aussi ! Tout le monde le sait !

« Eïssa ? »

Je penche la tête sur le côté, comme à mon habitude. « J’écoute » que ça veut dire ! Maman dit toujours que c’est quelque chose d’idiot. Que les grands me prendront pour une folle. Donc je le fais juste avec Shy. C’est notre langage rien qu’à nous ! Comme ça, personne ne le sait !

« Je veux que tu me promettes de ne jamais m’oublier. Je veux que tu rêves de moi la nuit. Je ne veux pas que tu penses que je t’abandonne. »

« Ne dit pas ça ! Tu ne vas pas mourir tu m’entends ? C’est juste une erreur, ils vont s’en rendre compte ! »

Une larme coule le long de sa joue. Une larme qui est bien trop souvent présente en ce moment.

« J’aimerai… j’aimerai tellement… Je ne veux pas te quitter. Je veux rester… Je veux jouer avec toi, je veux connaître tes chatons plus tard, en avoir… Mais je ne pense pas que… »

 « Alors reste avec moi. »

Un sanglot m’échappe. C’est toujours aussi dur. Je lèche le front d’une de mes chatonnes sans chercher à savoir laquelle c’est. Je ne veux pas qu’elles se perdent.