Patininoire

ft. Sanguy

Je frissonne. Il fait un froid de canard. J’espère sérieusement qu’on va pas passer toute la journée dehors, parce qu’il fait vraiment hyper froid. Je veux pas mourir congelé, moi, j’ai toute une vie à vivre. Le soleil se lève à peine mais je suis déjà debout. Esprit des Songes m’a donné rendez-vous très tôt, ce matin. Pourquoi ? Je sais pas vraiment. Bon, c’est agréable, c’est beau, le soleil qui se lève dans la brume de la saison des feuilles mortes mais … C’est froid. On fait un rapide repérage des patrouilles avec mon mentor. Décidément, je l’aime bien. J’espère que lui aussi, il m’aime bien. Je veux pas qu’il me voit comme un boulet … Ce qui pourrait être le cas, vu le peu de réussite que j’ai, à la chasse, surtout. Comment ça se fait que je sois aussi nul ? Franchement, je comprends pas. Je m’applique, je fais attention, j’écoute ses conseils mais … Rien. J’y arrive pas. Bon, ça va venir. Avec de l’entraînement et des exercices. Je vais bien finir par attraper quelque chose ! Il faut juste que je persévère. Et bientôt, je serais le plus grand chasseur que la forêt ait jamais connu !

Un large sourire se dresse sur mes lèvres à cette pensée. Maman et Papa seraient fiers de moi, non ? Je suis sûr qu’ils le seraient, si je parvenais à rapporter une souris, un campagnol, n’importe quoi … Oui, je suis sûr qu’ils le seraient. Ils seraient fiers de moi, et d’Apo, et de tout ce qu’on a fait jusqu’ici. Je crois que je regrette, parfois, qu’ils ne soient plus là. Mais pas trop, hein, je suis pas dépressif non plus. Mais ça pourrait être agréable, qu’ils soient encore là. Oh, c’est le camp que je vois, là-bas. On est pas parti si longtemps, et pas si loin, alors. Le soleil s’est levé, et entre temps, il s’est mis à neiger. Ça alors ! De la neige ! Dis-donc, il en tombe pas mal, en plus ! Woaw ! Mais c’est trop bien ! Je tire la langue, laissant un flocon se déposer sur celle-ci. Brrr, c’est froid. Mais pas désagréable. On dirait juste … De l’eau. Normal quoi. Oh, c’est marrant, mes empreintes restent dans la neige. Ça, ça veut dire que n’importe qui peut me suivre, s’il le décide. Je suis sûr que les guerriers ont une technique pour empêcher cela. Je demanderais à Esprit des Songes, demain, s’il neige encore et qu’il m’emmène m’entraîner.

On rentre au camp. C’est beau, la neige. Elle a eu le temps de se déposer en fine couche sur le sol. Je commence à chercher Apo du regard avant de tomber sur Nuage de Diamant et Nuage de Rivière. Ils sortent du camp, l’un derrière l’autre. Apo n’est pas là, et je ne veux pas rester seul. Alors, je décide de les suivre. Discrètement. Enfin, le plus discret que je puisse faire. C’est pas facile, pour moi. Mais je me mets à les suivre. Où est-ce qu’ils vont ? Jusqu’à la rivière, je crois. Oh, quelle bonne idée ! Ça doit être spécial de voir la rivière gelée. Nous y sommes, ils s’arrêtent. Nuage de Rivière s’avance sur la surface gelée comme si de rien n’était, comme si elle ne courait aucun danger. Elle glisse ! Ça a l’air amusant, ça ! Je m’avance, me laissant à découvert, et pose une première patte sur la rivière, puis une deuxième, et ainsi de suite, pour que finalement, mes quatre pattes reposent sur la surface froide de la glace, me laissant dériver sur celle-ci.

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Patininoire

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C’est agréable, comme sensation. Enfin, je veux dire, c’est assez amusant. Glisser, comme ça. J’avais jamais essayé avant, ce qui est assez logique étant donné que je n’ai que six lunes et que je suis né au début de la saisons des feuilles nouvelles. Bref. J’ai même pas à faire d’efforts supplémentaires, mon poids à lui seul me fait progresser sur l’étendue de glace. Je ne m’intéresse absolument pas aux deux autres, ils sont totalement sortis de mon esprit. Je ne fais que profiter de ce moment. Ce moment entre moi et moi-même, et personne d’autre. Je continue de dériver, observe l’eau qui continue de s’agiter sous la glace, perçant mon reflet. Je suis ailleurs, dans un autre monde. C’est … Magique. Je n’arrive pas à l’expliquer.

Il y a du bruit, autour de moi. Des paroles qui sont prononcées, des paroles échangées, sûrement entre Nuage de Rivière et son frère. Je ne m’y intéresse pas, ne les écoute même pas. Il faudrait que je montre la rivière à Apo. Ça l’amuserait sûrement. On ferait des courses tout le long. Oh oui, ça c’est une bonne idée. Peut-être même que je le battrais. Ce serait super, ça, que je puisse enfin lui mettre la misère. Il me bat partout, aussi ! Dans tous les domaines ! Faut bien que j’arrive à le battre dans quelque chose ! Ouais, ça pourrait être une idée. Bon, il est plus rapide que moi, mais si j’arrive à m’approprier le terrain, je pourrais faire des étincelles !

“Sortons vite de là c'est en train de casser !” La voix que j’identifie comme étant celle de Nuage de Rivière me sort de mes pensées. Je relève la tête, lâche du regard la glace. Hein ? Comment ça, casser ? Je regarde dans leur direction, un air interrogateur sur le visage. Puis je le vois, lui, son frère, trempé à plusieurs endroits. Qu’est-ce qu’il a fait ? Il a eu envie de prendre un petit bain ? Et qu’est-ce qu’elle raconte, elle ? Pour moi, tout va bien, je … Oh merde. Je viens de comprendre. La glace, elle se fissure. Je regarde sous mes pattes avant de voir que la glace à cet endroit-même commence à se fissurer. Non non non ! Je veux pas finir dans l’eau, moi, surtout pas sous cette température ! Je sens la panique monter en moi. Doucement, il faut que je reste calme. Non ! Mais je suis trop lourd ! Comme à chaque fois, je suis trop lourd ! Je sens sous mes pattes la glace qui se ramollie, qui se fragilise. Je peux pas rester ici, définitivement.

Je regarde à nouveau la berge et les deux apprentis qui y sont déjà, en sécurité. Et moi, je suis là, ici, perdu au milieu de l’étendue blanche. Mon corps est paralysé par la peur. Il faut que je réagisse. Je ne peux pas rester ici, à ne rien faire. Je soupire, prends mon courage à deux pattes. Une fois le calme retrouvé, je m’apprête à taper le plus gros sprint que j’ai pu faire jusqu’ici. Le plus gros sprint de ma vie. Alors je me mets à courir, à galoper, aussi vite que mes pattes me le permettent, aussi vite que je puisse sur le sol glissant. Je sens, je devine que la glace cède à l’endroit où mes pattes viennent de passer. La berge n’est plus très loin. Quelques mètres, quelques petites queues de renard encore … Non, les fissures me rattrapent. Je suis trop jeune pour mourir !

Alors, dans un énième bond, je me propulse vers la berge, haletant, et parviens à m’accrocher à la terre meuble, mais mon arrière-train et ma queue sont restés à la traîne, si bien que je n’arrive pas à me hisser au sec. “Nuage de Rivière ! Aide-moi !” Je miaule, appelant avec peur l’apprentie.

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J’ai peur. J’ai terriblement peur. La peur me paralyse. J’ai mal, j’ai mal partout. Mes muscles sont contractés. J’ai fait le plus dur, j’ai fait le plus dur, oui, je ne veux pas, je ne peux pas lâcher maintenant. Pas maintenant, non. Ce serait gâché mes efforts. Je ne veux pas avoir fait tout ça pour rien. Je serre les dents. Je tiens encore, mais je sens que je vais lâcher. À tout moment, je sens que mes pattes vont céder et que mes griffes vont m’abandonner. Je ne veux pas tomber. Je glisse, lentement, doucement, le long de la berge. Je sens mes forces me quitter progressivement. Je lance un regard plein de peur à Nuage de Rivière. Qu’attend-t-elle ? Elle ne va pas me venir en aide ? Elle va me laisser là, en plan, me faire avaler par les flots de la rivière qui se dévoilent sous la glace cassante ? Non ! Elle ne peut pas me laisser ! Mon visage est figé, crispé par la peur. Je suis trop jeune pour mourir !

Elle me regarde, se précipite vers moi. Je suis à moitié soulagé. Elle ne va pas m’abandonner. Mais le travail n’est pas encore totalement accompli. Je pèse mon poids, alors j’espère qu’elle arriverai à me tirer hors de là. Je sens ses crocs se planter dans la peau de mon cou sans avoir mal. Est-ce que je n’ai vraiment pas mal ou est-ce simplement la peur qui neutralise toute la douleur ? Je ne sais pas, et je ne veux pas savoir. Je veux juste qu’elle me tire de là. Alors, dès qu’elle commence à m’attirer vers elle, je puise mes dernières forces, appuie sur mes pattes du mieux que je puisse et l’aide à me sortir de là.

J’y suis. J’ai eu la peur de ma vie. Vraiment, je n’avais aucune envie de faire une petite virée nautique. Pas maintenant, pas par ce froid. Ni jamais, d’ailleurs. Non, décidement, je veux éviter au maximum un tel voyage. Parce que là, vu comment c’était parti, c’était un aller direct pour les chutes. Et personnellement, je compte pas faire le grand saut maintenant. Ni plus tard, d’ailleurs. Je m’avance sur la berge, m’éloigne un peu du large, par simples mesures de sécurité. Je veux pas glisser malencontreusement et me retrouver à nouveau dans l’eau. Non merci, vraiment. Je m’ébroue, chasse l’eau qui s’est accrochée à ma fourrure noire et blanche et commence une rapide toilette juste histoire de ne pas dégouliner de partout. Mon coeur bat à plus de 200 battements par seconde. Je souffle, inspire et expire, essaye de calmer ce rythme endiablé.

Je relève la tête, regarde Nuage de Rivière et son frère. “Est-ce que ça va ?” Je ne sais pas si elle s’adresse à moi ou à son frère. À nous deux, peut-être. Nuage du Diamant lui répond par un simple hochement de tête, et elle semble s’attendre à une réponse de ma part. J’imite son frère, hoche moi aussi la tête. “Évite juste le bain de glace la prochaine fois… Enfin en espérant qu'il n'y en ait pas…” elle continue, ironique. Je souris à sa blague. Je ne lui en veux pas. Moi aussi, je me moquerais de moi-même. Mieux vaut en rire qu’en pleurer. Je jette un nouveau coup d’oeil aux deux autres apprentis, et souris franchement avant de lui répondre : “J'essaierai … Mais je ne te promets rien !” Je réponds, sur le même ton ironique, avant de continuer, moi aussi, plus sérieusement : “Merci de m’avoir aidé … Je ne sais pas où je serais si tu ne m’avais pas aidé à me hisser sur la berge.” Voilà, c’est tout, de simples remerciements. Je ne sais pas quoi dire d’autre, aussi. En fait, oui, je ne veux pas savoir où je serais si elle ne m’avait pas aidé.

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ft. Sanguy

Nuage de Rivière sourit timidement à mes réponses. J’aime bien, ça, qu’on sourisse à mes blagues. Ça me donne confiance en moi, je me sens mieux, après. Je pourrais faire des blagues toute la journée, si ça ne fatiguait pas autant les gens au bout d’un moment. Enfin, je crois que ça les fatigue déjà. J’essaye de me retenir, mais c’est pas facile ; c’est comme ça, aussi, je suis comme ça, j’aime bien rire. Elle lève les sourcils, je ne sais pas ce que ça signifie. Est-ce qu’elle est étonnée ? Étonnée que je la remercie ? Bah je sais pas, moi ça me paraît normal … Je sais pas pourquoi elle semble si interloquée. J’ai rien dit de bizarre, de mal, si ? Non, je suis pratiquement sûr que non. Bah, je comprends juste pas sa réaction. “J'aurais eu l'air de quoi avec ton cadavre ? J'aurais dit, oh désolée mais il est tombé tout seul dans l'eau et je suis restée plantée à le regarder se noyer… Ben de rien… après tout c'est un peu de ma faute si tu t'es retrouvé là… ” Elle accompagne ses mots d’une grimace. Je ne vois pas en quoi ça pourrait être de sa faute. Elle ne m’a rien proposé, elle ne m’a forcé à rien, c’est moi et moi seul qui me suis décidé à la rejoindre. J’aurais du moins faire le con et vérifier que la glace supporterait bien moins poids… Il faut dire que je ne suis pas aussi léger que Nuage de Rivière.

Nuag de Diamant s’improvise guérisseur et commence à me renifler. Ça gène, je ne sais pas quoi faire. Une légère grimace s’installe sur mes babines. Je ne sais pas comment il arrive à voir que je ne suis malade, juste comme ça. C’est pas que je ne lui fais pas confiance mais… Si, en fait, je ne lui fais pas confiance. Je pense que je vais plutôt aller faire un tour chez un véritable guérisseur. J’ai pas envie de passer la saison à être malade, moi. Il se diagnostique lui-même une maladie et ses propres remèdes. Je sais pas si je dois me sentir impressionné, mais comment il arrive à faire ça aussi facilement ?

“Je pense que je vais aller faire un tour chez le guérisseur, pour ma part… Je vais vous laisser, c’était marrant quand même, à une prochaine fois !” Je les salue d’un geste de la tête et d’un franc sourire avant de reprendre le chemin du camp.

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