i'll teach you everything ♗ Nuage de Serpent

La maladie régnait toujours dans le camp, et rien ne s’arrangeait pour le moment. Les morts pouvaient en témoigner. Enfin, non, pas tellement, disons plutôt de manière indirecte. Parmi eux, tu en connaissais pas mal. Pas des gens avec qui t’étais particulièrement proche, mais plutôt des gens que tu avais côtoyés pendant un moment ou avec qui tu avais un lien spécial. Fallait pas se leurrer, t’étais proche que de ton frère, hein, fallait pas déconner non plus. Tiens, lui aussi était malade. Son état n’allait pas en s’arrangeant. Tu n’osais pas le formuler à voix haute, mais ça commençait à t’inquiéter un peu. Il commençait à choper sérieusement les symptômes du mal rouge. T’avais vu comment les autres avaient fini. Argus Bleu était lui aussi à un moment au même stade que Scarabée Sacré, et il avait fini dans un bien piètre état, à cracher du sang et à s’étouffer. Il en était mort. Personnellement, t’en avais rien à foutre. Tu avais toujours profondément haï ce chat qui te dégoûtait au delà des mots. C’était juste…. un déchet, y’avait vraiment pas d’autre mot. Il n’avait rien à foutre ici, et ce au même titre que tous ces bâtards qui traînaient encore ici. Limite, t’étais juste un peu déçu de pas l’avoir achevé toi-même. T’aurais bien voulu lui faire peur, te débarrasser de lui à ta manière. Enfin, il n’avait pas dû passer une fin de vie paisible. C’était toujours ça.

Une autre était morte également. Arabesque du Temps. Elle, ce n’était pas de la maladie. Elle avait été retrouvée morte sur votre propre territoire, méconnaissable et recouverte de sang. Et ça, c’était putain d’ironique. C’était bien la seule guerrière qui ne sortait absolument jamais du camp et qui, en sortant pour la première fois, se faisait immédiatement assassiner. Manque de chance ? Ou manque de talent ? Elle ne sortait jamais, elle ne connaissait les dangers que de nom, pas d’expérience. Ça, elle avait zéro en matière d’expérience. C’était peut-être pour ça aussi, même si elle n’était pas la première à crever sur votre propre territoire. Étais-tu déçu ? En quelque sorte. T’aurais préféré que ce soit un sang impur qui crève, pas ta sœur. Enfin, t’éprouvais rien pour elle, c’était juste que t’avais l’habitude de sentir son regard sur toi, un regard plein de jugement parce qu’elle était la seule à avoir connaissance de vos petits jeux avec Scarabée Sacré. C’était pas une grosse perte, elle aurait pu s’avérer dangereuse. récemment, tu avais bien cru qu’elle allait finir par l’ouvrir et qu’il faudrait agir avant qu’elle ne sème le chaos. Mais non, elle avait gardé le silence, et maintenant elle avait emporté le secret dans sa tombe. C’était largement mieux ainsi. Maintenant, vous étiez quasiment libres, et ça aussi c’était beau.

Tu sortis du repaire des guerriers, t’étirant longuement dans la clairière baignée par les rayons de soleil matinaux. Ta journée était déjà toute tracée. Tu irais entraîner Nuage de Serpent, ton neveu et apprenti, accessoirement. Aujourd’hui, il deviendrait un vrai membre du Clan de la Rivière : il apprendrait la pêche et la nage. Du moins, les bases. C’était la saison des neiges, y’avait clairement mieux niveau conditions pour apprendre, mais il faudrait faire avec. Il ne faisait pas ultra froid aujourd’hui non plus, alors autant en profiter. Tu te dirigeas vers la tanière des apprentis et repéra celui qui te concernait. Tu l’agitas du bout de la patte :

« Debout, aujourd’hui tu vas devenir un vrai apprenti du Clan de la Rivière. »

Sur ces paroles un peu étrange, tu sortis de la tanière, attendant que l’apprenti fasse de même. Il apprécierait sûrement cette petite journée.

C’était clairement pas la meilleure saison pour se mouiller, mais vous étiez des types forts, pas de soucis à se faire là-dessus. Et puis, au final, c’était mieux d’apprendre dans de ‘mauvaises’ conditions. Une fois que tu maîtrises la pêche dans les pires conditions possibles et la nage en pleine tempête, en eau glacée et tumultueuse - ce qui, on ne va pas se le cacher, n’arrivera pas aujourd’hui - tu maîtrises tout. Donc autant apprendre maintenant et être tranquille.

Nuage de Serpent ne discutait pas et te suivait docilement. Tu ne pouvais rêver d’un meilleur apprenti. Non pas parce qu’il était obéissant - bon c’était un plus, c’était clairement mieux pour enseigner - mais surtout parce qu’il était intelligent. Il était pas abruti et long à la détente comme d’autres apprentis, voire même comme certaines guerriers - tu ne viseras personne bien sûr. Et surtout c’était ton neveu. Le fils de Scarabée Sacré. T’avais observé ses trois rejetons, et celui qui vous ressemblait le plus et qui avait le plus de potentiel, c’était lui, assurément. Heureusement qu’il t’avait été confié, et non pas à ta sœur ou un autre guignol du Clan. Ç’aurait été une perte de temps et d’efficacité totale puisque vous auriez dû rattraper toutes les bourdes qu’aurait fait son mentor incompétent, donc l’entraîner à votre façon, etc, ce genre de choses. Enfin, ça n’était pas arrivé.

Tu oscillais entre les arbres, te dirigeant machinalement vers le lieu principal de votre territoire. Enfin, lieu, ce n’était peut-être pas le bon mot puisque la Rivière longeait l’intégralité de vos terres. Tu avais tellement emprunté ce chemin que tu ne réfléchissais même plus à ce que tu faisais. À la place, tu observais la neige qui commençait à fondre et les oiseaux qui revenaient tout doucement. Peut-être qu’il y aurait un petit peu plus de poissons aujourd’hui.

« Très bien, qu’est ce qu’on va faire alors ? »

Tu allais lui répondre quand tu entendis le fameux clapotis de l’eau. Tu t’approchas de la source du bruit. La Rivière n’était évidemment pas gelée, mais elle n’était pas calme pour autant. Enfin, tu t’attendais à pire. Il y avait du courant mais sans plus. Tu étais presque déçu. Enfin, le dégel ne faisait que commencer, ce serait bientôt plus intéressant ! Tu te retournas pour regarder Nuage de Serpent.

« Ce que les autres guerriers de la forêt détestent faire et qui fait notre force. » Il valait mieux pour lui qu’il fût prêt psychologiquement parlant. Tu ne doutais pas de lui. « Montre moi tes talents de nageur ! »

Tu lui demandais littéralement de se jeter à l’eau. Le seul truc qui pouvait le faire rechigner c’était la température. Mais ça, fallait s’y faire. En pleine bataille, si tu dois traverser la rivière pour chercher des renforts, tu vas la contourner parce qu’elle est un peu plus fraîche que d’habitude. Non, il fallait juste sauter. De toute façon, tu n’avais pas grand chose à lui apprendre. Tant qu’il gardait la tête hors de l’eau et qu’il agitait ses pattes, tout allait bien. L’instinct était présent, après tout, non ? Et au pire des cas, t’étais là.

« Oh, et, juste un conseil : ne réfléchis pas trop. »

Plus tu réfléchis, moins t’y vas. Au cas où il hésiterait.

L’apprenti tricolore regardait l’eau tumultueuse qui tourbillonnait sous ses yeux. T’avais pas choisi le meilleur moment, mais t’allais pas non plus gentiment attendre la prochaine lune que l’eau se soit calmé pour commencer les cours de pêche et de nage. La survie ne connaissait pas de pause, on n’allait pas mettre un combat en pause sous prétexte que le temps n’était pas idéal. La guerre se soucie peu de la météo et c’est bien normal. Et puis, comme ça, s’il sait nager dans une eau agitée, il n’aura aucun souci à nager dans une eau calme. C’est comme ça que l’on forme les excellents nageurs. C’est là que se fait la distinction entre les bons nageurs et les très bons, et ton neveu ne pouvait se contenter d’être un bon nageur.

Il hésitait. Non, il réfléchissait pour être plus exact. C’est exactement ce que t’avais fait la première fois, toi aussi, mais l’expérience t’avait appris que dans ce genre de situation, il fallait poser son cerveau et se jeter. C’est bien de réfléchir, mais parfois la raison l’emporte et nous limite. Il faut se libérer de tout frein et se jeter. On ne s’en sent que mieux après. Et si on rate, tant pis, on n’aura qu’à recommencer. Finalement, le jeune félin décida de suivre ton conseil et s’avança. Il posa d’abord une patte et frémit. Elle devait être bien fraîche. Tu t’approchas à ton tour et tu le vis s’immerger entièrement et se faire emporter par le courant. Tout était normal, jusqu’à présent. Maintenant, tout dépendrait de ce qu’il ferait. Tu avais confiance. Il ne te décevrait pas. Il ne pouvait pas. Tu le vis battre des pattes, luttant pour garder sa tête hors de l’eau. C’était les deux seuls trucs à faire. Agiter ses pattes et ne pas oublier de respirer. C’était instinctif, mais il fallait tout de même travailler ces mouvements pour se perfectionner. Nuage de Serpent finit par atteindre l’autre rive et tu ne pus t’empêcher de lâcher un sourire. Il était parfait. Il s’ébroua avant de s’exclamer, visiblement fier de lui - et peut-être un peu surpris :

« J’ai réussi ! »

Tu plongeas à ton tour dans l’eau qui était glaciale, il fallait l’admettre. Mais quelque part, c’était vivifiant. T’aimais cette sensation quoique étrange au début. En quelques battements vigoureux de pattes, tu parvins également à la berge et tu montas sur la rive aux côtés de l’apprenti. Tu fis quelques pas pour t’ébrouer à ton tour et tu te léchas un coup le poitrail. Un réflexe bien inutile au vu de l’état général de ta fourrure. Au début tu voulais lui faire pratiquer un peu la pêche mais au vu de la Rivière, la session serait peu intéressante. En tout cas, moins intéressante que ce que tu t’étais imaginé. Et en tournant le regard t’avais vu que vous n’étiez pas loin des Rochers du Soleil. Ça te ferait mal de voir ce lieu, mais t’étais comme attiré par ces cailloux ensoleillés. Du coup, tu tournas vers ton neveu pour lui donner la suite des consignes, qui était plutôt simple :

« On va avancer un peu par là, ça te réchauffera. »

Tu passas sous silence le passage à gué un peu plus loin. Vous longiez la Rivière, le territoire du Clan du Tonnerre se trouvant à quelques longueurs de queue sur votre droite. Leur puanteur était là pour en témoigner. Puis tu les vis enfin. Les Rochers du Soleil, dans toute leur splendeur. Heureusement, il n’y avait personne, ça t’aurait fait encore plus de mal sinon. Tu t’arrêtas pour les fixer du regard. L’odeur des bouffeurs d’écureuil était là pour te rappeler qu’ils n’étaient pas les tiens. Ils auraient pu, ils auraient dû appartenir à votre Clan. Ils étaient vôtres, c’était indéniable. C’était la raison même qui poussait les guerriers du Tonnerre à vouloir jalousement les garder. C’était des voleurs et ils semblaient se plaire à le rester.

« Tu vois, ça ? Si le clan n’avait pas un chef et un lieutenant aussi faibles, ces rochers seraient nôtres et on aurait pu en profiter pour se sécher au soleil et chasser les rongeurs qui y traînent. » Tu laissas tes paroles flotter dans les airs, l’air fataliste. Parce que l’apprentissage, ce n’était pas seulement apprendre à nager, à se battre et à chasser. C’était également enseigner des valeurs, faire passer des idées. « La stratégie d’Étoile d’Équinoxe étant de recruter un maximum de chats domestiques pour intimider le Clan du Tonnerre pour qu’il finisse par céder ce qui nous revient de droit, tu n’es malheureusement pas prêt de poser une seule patte dessus. »

Quel gâchis.