De l'autre côté de l'eau | ft. Plume Givrée

Ce jour là, la neige était définitivement plus fine. Moins gelée. Plus... humide. Comme si le climat donnait un instant, juste un instant de répit à Soleil Noir, qui n'en pouvait plus de cette maudite neige. Qui n'en pouvait plus de se réveiller et de ne voir que du blanc, partout, tout le temps. Il n'en pouvait plus que ses capacités à la chasse, déjà extrêmement réduites, le soient encore plus par le manque de proies et par la présence du linceul blanc. Il attendait la nouvelle saison avec grande impatience, rythmant sa vie de quelques prières silencieuses au Clan des Etoiles. Soleil Noir n'était pas du genre pieux, ni trop superstitieux. Mais la neige... Je vais la faire bouffer à celui qui nous l'envoie, se disait-il souvent, dès qu'un flocon le faisait éternuer, en fait. De plus, la proximité avec ses camarades se faisait plus rude. Tout énervait le mâle gris, grognon de nature. Le fait que les guérisseurs ne trouvent pas de remède énervait aussi le matou. Fleur Rouge, sa mère, se mourrait. Et il ne pouvait rien y faire.

Pour son Clan, il était cependant prêt à surpasser son désir de zigouiller tous les flocons et tous les félins qui lui disaient « bonjour ! » avec un regard qu'il jugeait mal placé, ou avec un ton un peu trop enthousiaste. Soleil Noir détestait les enthousiastes - sauf Nuage Rocheux, son apprenti ; parce qu'il les trouvait louches. Nuage Rocheux était dans un semblant de ses faveurs uniquement parce qu'il était le tout premier novice dont on lui avait confié l'apprentissage. Mais il avait du mal avec ceux qui étaient trop excité de passer une « bonne journée » de chasse. Une bonne journée de chasse, pour Soleil Noir, c'était déjà éviter de se ridiculiser en tombant la tête la première contre une souche d'arbre en ratant un mulot. Avec cette unique pensée en tête - celle d'éviter toutes les souches d'arbres ; Soleil Noir se dirigea vers la sortie du campement. Pourquoi ne pas faire un détour vers la rivière ? Il adorait narguer les « faces de tanches », comme il les appelait. L'hiver rendait les félins nerveux. La quête de nourriture était plus rude, les étincelles naissaient plus facilement et plus rapidement entre les habitants de la forêt. Autant ne pas faire de vagues, je vais simplement... Rester chez moi. Mais rien ne m'empêche de... faire un tour vers la rivière...

Alors Soleil Noir fila vers la rivière d'un pas convaincu. Il l'approcha par les bois qui longeaient cette dernière, non loin des Quatre Chênes, là où il était certain qu'on ne l'ennuierait pas. Malheureusement, aucune proie ne daigna sortir son museau de la neige. Aussi Soleil Noir décida-t-il de se rapprocher de la rivière, dont il pouvait entendre l'eau couler depuis l'endroit où il se tenait. Le mâle aux yeux vairons attendait avec espoir qu'un animal vienne boire à la rivière. Etant proche du coude de celle-ci, il était plus facile pour les animaux d'avoir un coin d'eau calme pour se désaltérer. Fier de son idée, le matou attendit ainsi de longues minutes, sans que rien ne se produisit. Et alors que sa patience était mise à rude épreuve, un buisson proche de l'eau s'agita doucement. Un minuscule rongeur sortit alors du buisson blanc. Ni une ni deux, le guerrier fit de même, adoptant la position du chasseur et essayant de faire le moins de bruit possible pour ne pas attirer l'attention de sa proie, qui était visiblement occupée à tirer quelque chose vers son point de départ. Ni une ni deux, Soleil Noir effectua un bond pour emprisonner la proie entre ses pattes. Pour une fois, le matou avait réussi son coup. Un coup de crocs plus tard, il remercia le Clan des Etoiles. La proie était ridicule. Mais le ventre du guerrier criait famine... Non, le Clan d'abord.

Ainsi tiraillé entre sa faim et son devoir, Soleil Noir emporta la proie tout près de la rive, pour se désaltérer un instant. De l'autre côté, le territoire du Clan du Vent s'offrait à lui. Pourquoi la rivière était-elle au Clan de la Rivière si les clans qui bordaient cette dernière n'était pas le Clan en question ? Le matou gronda tout haut.

« Ces bouffeurs de poiscaille se croient vraiment tout permis. »

Un instant, Soleil Noir perdit son regard de l'autre côté de la rivière, qui dévoilait prairies et collines. La traverser était tentant... mais il ne savait pas nager. Et bien que peu profonde... l'eau était trompeuse. Les mystères de l'autre côté de la rivière risquaient de rester, pour Soleil Noir, plus qu'opaques.