Why am I crazy ? ¤ Nuage de Bruyère/Brubru.

Nuage de Bruyère se fraya un chemin à travers les roseaux qui bordaient l’entrée du camp, un paquet de plantes médicinales entre les crocs. Elle se traîna jusqu’à son antre où elle cracha furieusement les feuilles sur le sol. Elle avait trimbaler ce fardeaux en long et en large du territoire. Sa bouche était asséchée et conservait un arrière goût âcre. Il lui restait même des tiges entre les dents !

C’est en faisant une formidable grimace que l’apprentie parvint à déloger les morceaux de plantes restés coincés. Elle observa ensuite les feuilles éparpillées au centre de la tanière en soupirant. Masque Ebréché n’étant pas rentrée de la cueillette, elle allait devoir se taper le tri toute seule. Il fallait avouer que l’insolente l’avait bien cherché. Une cueillette en compagnie de son mentor n’avait rien d'excitant. C’était littéralement parcourir le territoire en s’arrêtant à chaque brin d’herbe pour s’assurer qu’on ne manquait pas une précieuse plante. Autant vous dire que ca durait une éternité ! Il était hors de question pour la jeune guérisseuse de subir ca jusqu’à la fin de l’après-midi. Elle ne s’était donc pas gênée pour se plaindre, s’amuser dans la rivière ou encore faire la morte. Ce comportement lui valut une sacrée engueulade et un retour au camp immédiat.

Nuage de Bruyère était donc rentrée triomphante, jusqu’à se rappeler qu’il lui restait la deuxième partie du boulot à faire. Peu motivée, la femelle tigrée aurait largement préféré piquer un somme. Après tout, pourquoi pas ?  Masque Ebreché ne serait pas rentrée avant des heures. Dans le cas contraire, elle se ferait crier dessus, cela n’avait rien d’inhabituel. L’apprentie opta donc pour une petite sieste. Alors qu’elle s'apprêtait à rejoindre son nid, un félin fit son entrée dans la tanière : 

- Je crois que j'ai un problème, depuis plus d'une douzaine de lunes. J'entends des voix et je les vois, ces voix. Je veux dire que, je vois leurs physiques et… j'aimerais comprendre ce qu'il m'arrive. Est-ce que je suis taré ?

Nuage de Bruyère reconnut la voix angoissée de Regard Amer. Elle ne lui avait jamais adressé la parole, mais de sacrées rumeurs tournaient à propos de ce félin. Selon certains c’était un fou, un aliéné qui voyait et parlait à des fantômes. D’autres, plus rationnels, pensaient simplement qu’il recherchait de l’attention. L’apprentie guérisseuse, quant à elle, n’avait pas d’avis sur la question. Elle se souciait peu de ce qui pouvait se dire ou même se passer dans l’enceinte du Clan. Alors si Regard Amer souhaitait passer sa vie à parler à un mur, grand bien lui fasse.

- Oh, c’est sans doute le Clan des Etoiles qui tente de communiquer avec toi. lâcha l’apprentie sans le moindre intérêt.

Elle n’avait qu’une envie : que le matou lui fiche la paix afin qu’elle puisse aller se reposer en paix. L’excuse du Clan des Etoiles lui semblait une bonne idée. Le guerrier serait sans doute flatté de s’imaginer que leurs nobles ancêtres puissent avoir un quelconque intérêt pour lui. Balivernes, évidemment. La guérisseuse était incapable de comprendre comment des félins pouvaient croire à ces histoires d’esprits surpuissants ? La vie serait loin d’être si rude s'ils existaient réellement.

Nuage de Bruyère jeta un regard à son patient. Celui-ci avait toujours le visage déformé par la peur, il semblait au bord des larmes. Il ne va pas me lâcher jusqu’à ce que je lui résolve son problème, l’imbécile !

C’est en lâchant un long soupir que la guérisseuse s’approcha de lui :

- Ecoute, Regard Amer, je suis guérisseuse moi, pas magicienne. Mon rôle c’est de te soigner si tu deviens un déchet inutile au Clan. Ces voix, ça fait 12 lunes que tu les entends. C’est quoi le problème ? Ca te donne mal à la tête ? T’as qu’à bouffer de la camomille.

L’apprentie fouetta l’air de la queue. Qu’on ne lui demande plus de faire preuve de patience pour traiter des cas comme ça ! Etre guérisseuse ne signifiait pas écouter les petites inquiétudes de tous les pauvres guerriers du clan. Qu’est ce qu’on pouvait lui faire perdre son temps !

- Je ne comprends pas. On t’a pas foutu chez les anciens, donc c’est que tu sais toujours te rendre utile. Elles t'empêchent pas de vivre ces voix. Pourquoi tu viens m’emmerder ?

Nuage de Bruyère se tourna vers son patient, les yeux ronds comme des ballons. Elle ne s’attendait pas à le voir craquer ainsi. Eberluée, elle le regarda s’effondrer au sol, larmoyant. Malgré ses reniflements et sa respiration saccadée, il parvint à articuler :

- Bien sûr que si, qu’elles m’empêchent de vivre ces voix, je ne serais pas venu te voir sinon ! Je ne veux plus les côtoyer. Je veux réellement vivre et avec ses voix dans ma tête, c’est impossible ! Je te demande juste de trouver une solution, je t’en prie…

Le malheur profond dans lequel Regard Amer semblait prisonnier déstabilisait l’apprentie. Jamais personne n’était venu lui compter ses problèmes personnels. C’était sans doute même la première fois qu’un félin s’autorisait à se montrer si vulnérable auprès d’elle. Il fallait dire que Nuage de Bruyère n’était pas une référence en matière de tact et d’empathie. Cette discussion avec le matou noir en était bien la preuve. Pour le coup, la tigrée s’en voulait. Si Regard Amer s’était tourné vers elle, c’est sans doute car il avait touché le fond. Et même si son problème lui semblait très abstrait, elle concevait son besoin d’être écouté et compris.

Un silence pesant commençait à s’installer. Nuage de Bruyère sentit le stress la gagner. Il lui fallait prendre la parole. Mais pour quoi dire ? Pourquoi faire ? L’apprentie était désemparée, elle ne savait comment gérer la situation. Qu’est ce que Masque Ebréché aurait fait à sa place ? Il n’y avait aucune plante capable de soigner un chat malheureux !

- Calme toi, Regard Amer. Je...je veux bien essayé de t’aider…

La tigrée marqua une pause. Voilà qu’elle ne pouvait plus que compter sur ses incroyables compétences sociales. C’était bien la preuve qu’elle n’était pas faite pour le métier de guérisseuse ça ! Déjà qu’elle n’avait pas la patience pour soigner une pauvre plaie, on lui demandait désormais d’avoir assez de compassion pour résoudre des problèmes qu’elle comprenait à peine. La bonne blague !

Ne sachant que faire, Nuage de Bruyère passa en revue son entourage. Elle pensa dans un premier temps à sa mère, Moustache de Sauge. L’ancienne reine était tellement sensible qu’elle aurait sans doute éclaté en sanglot au même moment que Regard Amer. Honnêtement, l’apprentie se voyait mal s’étaler sur le sol et pleurer à son tour le malheur de son patient. Le second félin qui lui vint à l’esprit fut Nuage Marin. La tigrée avait rarement évoqué ses problèmes auprès de son amie. Pourtant, celle-ci ne l’avait jamais incriminé, et surtout, elle l’avait toujours écouté. Voilà qui semblait être une première piste. Si Nuage de Bruyère ne savait que dire, peut-être que Regard Amer, lui, avait besoin de vider son sac.

- Je t’avoue que j’ai un peu de mal à comprendre ton problème. Je n’ai jamais entendu de voix, et on ne m’a appris qu’à soigner des problèmes physiques… Mais, peut-être que tu peux m’expliquer ? Ces voix, tu...tu les entends depuis toujours ? Est ce que ce sont des voix familières à celles d’autres membres du clan ?

L’apprentie guérisseuse avait vraiment l’impression de parler à un chaton qui avait fait un cauchemar. Elle avait beau y mettre de la bonne volonté, pour elle qui n’avait jamais cru au Clan des Etoiles et autres fantômes, cette histoires lui semblait tout sauf rationnelle. Si ce félin s’imaginait entendre des paroles, c’était peut être pour échapper à quelque chose. C’était peut-être une simple manifestation de ses angoisses ?

- Est-ce que tu as des peurs dans la vie ? Des choses qui t’angoisses ? A part ces voix, je veux dire… Peut-être qu’elles se manifestent pour t’éviter de penser à tes problèmes ?

Durant son interrogatoire, l’apprentie guérisseuse s’était assise auprès de Regard Amer. Elle ne prenait pas la peine de cacher son malaise. Le guerrier ne s’était pas caché et s’était montré très honnête avec elle. Elle tentait de lui rendre la pareille pour montrer sa bonne volonté.