It was just a routine day; nothing special happened

FEAT LUNY

Toujours la même routine.
Se lever.
Se toiletter.
Manger.
Chasser ou patrouiller.
Manger.
Se coucher.
Dormir.
Se lever.
C’était facile, de se complaire dans la routine. De se cantonner à celle-ci. Parce qu’il n’y avait pas d’imprévus, de cette manière. Il n’y avait rien qui pouvait le faire penser à autre chose. Le faire penser à quoique ce fût. Cette routine, elle lui permettait de ne pas penser. De devoir parler quelques fois. Mais avec elle, il éteignait son cerveau. Il ne s’autorisait pas à penser, parce que penser le faisait souffrir. Penser à elle le faisait souffrir. À Illusion du Passé. À son ancienne compagne. Celle qu’il avait aimée, tendrement aimée. Celle qui portait ses chatons, à ce moment-là. Morts, eux aussi. Il était seul, désormais. Si seul. Il n’avait plus que Bulle Éclatante. Mais elle ne pouvait pas combler ce vide immense. C’était impossible. Elle comblait déjà celui qu’avait laissé sa mère en n’entrant jamais dans sa vie. Et celui qu’avait laissé son père, qu’il ne connaissait pas. Personne ne le lui en avait jamais parlé. Personne ne savait qui il était. Et sa mère ? Avait-elle su qui il était ? Ou étaient-ils simplement des chatons non désirés ? Issus d’un viol ? D’un foutu viol ? Ç’aurait expliqué beaucoup de choses. Ç’aurait tout expliqué, en fait. Mais bon.
Au final, Brisure du Temps ne le saura jamais.
Mais avait-il seulement envie de savoir que sa naissance n’était que le fruit d’une union sale ?
Pas vraiment, non. L’ignorance ne pouvait pas blesser.
Elle préservait les âmes faibles et innocentes. Innocent, il ne l’était plus depuis que sa mère a été bannie, du moins, c’était ce qu’il pensait. Mais Faible ? Oh, oui, faible, ça, il l’était bel et bien.

On lui demanda d’aller chasser et de prendre quelqu’un avec lui. Bon. Il ne voulait pas se casser la tête. Il allait prendre n’importe qui, n’importe quel félin qui ne faisait rien actuellement. Ils n’allaient pas parler ensemble, de toute manière. À quoi bon ? Il n’avait plus rien à raconter, il ne voulait même pas raconter quoi que ce fût. Pour dire quoi, hein ? “Oh, comment j’vis le décès de ma compagne ? Mal. Mais bon, on fait avec. On peut pas la ressusciter, de toute manière. Et même si on pouvait ? Peut-être qu’elle s’y plaisait, dans son monde des morts. Peut-être qu’il était plus agréable que le monde des vivants. Peut-être qu’elle aimait beaucoup, être dans la Toison Argentée. Il n’en savait rien. Il ne voulait pas savoir. Parce que savoir cela ne ferait que le torturer un peu plus.
Il en avait marre, de toute cette douleur.

Un maelstrom continuel. Dans sa tête et dans son coeur. Que devait-il faire ? Il ne savait pas. Les idées s’entrechoquaient, se fracassaient, certaines étaient plus violentes que d’autres. Certaines étaient plus importantes que d’autres. Alors elles noyaient les moins urgentes. Même si au final, toutes avaient de l’importance, seulement, pas à la même échelle. Mais différencier tout cela, c’était impossible pour lui. Parce qu’on ne lui avait pas donné cette capacité à la naissance. Depuis tout petit, il luttait contre lui-même, contre ces pensées qui le déconcentraient. Contre ces images qui détournaient son attention. Ses sens ne l’aimaient pas. Ses pensées ne l’aimaient pas. Il avait du mal, avec tout ça, à penser normalement, à se focaliser sur une seule et même chose.
Même encore maintenant, il n’y arrivait pas.

Il se traîna vers un guerrier. Qui était-ce ? Il ne le savait pas, il n’avait pas la force, pas l’envie d’y réfléchir. Cependant, vous, lecteur, vous méritez peut-être de savoir qui c’était. Il s’appelait Cri de l’Agonie. Et peut-être que si vous êtes intéressés par lui, vous lirez la suite, vous lirez son histoire. Mais voilà, Brisure du Temps ne la connaissait pas, cette histoire, alors, nous allons faire impasse sur ce détail.
D’autres la raconteront mieux que lui, même si on la lui confiait quelques minutes plus tôt.

Il lui demanda de l’accompagner et ils sortirent en silence du camp. Le silence rythmait sa vie, désormais. Seulement quelques paroles échangées, des “veux-tu bien m’accompagner à la chasse” et autres sortaient de sa bouche. Il ne voyait plus l’intérêt de parler, comme dit plus tôt. Et puis, le silence, c’était beau. C’était apaisant, relaxant. Il aimait ça. Et puis, il pouvait simplement écouter. Écouter le chant des oiseaux. Écouter les bruissements de feuilles. Écouter le vent qui s’engouffrait dans les arbres. Écouter la pluie qui s’abattait avec violence sur le sol. Écouter les slursh slursh de ses pattes quand il devait marcher dans la boue. Écouter la vie, alors que tous ceux qu’il aimait n’étaient plus. Enfin, une majeure partie, du moins.
Pourquoi était-elle morte ?
Pourquoi ?

Ils se séparèrent quand ils furent arrivés à un bon endroit de chasse, un lieu giboyeux où remplir le tas de gibier ne serait pas complexe. Brisure du Temps courut. Traqua les proies. Les tua sans aucune hésitation. C’était un geste machinal, désormais. Abomination de la Vie avait beaucoup bataillé contre son esprit, elle aussi. Mais elle avait fini par y arriver. Elle avait fini par lui faire comprendre ce qu’il devait faire, comment s’en souvenir. Elle lui avait fait répéter ces mouvements des centaines et des centaines de fois, jusqu’à ce qu’il n’eût plus besoin de réfléchir, jusqu’à ce que cela devint instinctif.
Elle avait fait de lui un bon guerrier.