Shake the Disease ft. Gone

Depuis sa conversation avec Mistral Lointain, Petite Cime s'était retranchée dans une profonde réflexion.
Elle en avait déjà entendu parler, l'avait deviné entre ses parents, savait ce que c'était, bref, elle était donc au courant que ça existait et, de loin, de ce que ça représentait. Quelque chose de semblable à ce qu'elle éprouvait pour sa mère. Mais différent. Semblable à ce qu'elle éprouvait pour son oncle, mais différent. Semblable à ce que les chatons ayant des frères et sœurs devaient éprouver les uns pour les autres.
Mais elle ne comprenait pas que l'on puisse autant se torturer l'esprit.

D'accord, c'était une .. affection qui ressemblait à l'affection familiale, mais ç'avait l'air tellement moins certain, moins sûr, moins solide que celle-ci, si Mistral Lointain semblait aussi dépité après une dispute. Quand la chatonne se disputait avec sa mère, elle savait qu'elle n'avait pas perdu son affection. Alors pourquoi, entre son oncle et celle qu'il aimait, pensait-il qu'après une dispute elle pourrait ne plus l'aimer ?
Et non, elle ne comprenait vraiment pas en quoi on pouvait autant se prendre la tête. Il avait fait une bêtise, d'accord. Il avait simplement à aller s'excuser, non ? Et si elle refusait ses excuses, elle pouvait ne pas pardonner au début, mais ça ne changeait rien, non ?
Elle essaya d'imaginer que sa mère dise quelque chose qui la vexe tellement qu'elle ne pourrait pas lui pardonner. Oui, ça ferait mal parce que ce serait sa mère. Mais elle n'arrêterait pas de l'aimer pour autant. Sauf si elle faisait quelque chose d'horrible, comme, heu ... Tuer Mistral Lointain ? Mais ça n'arriverait jamais. Et son oncle, lui, ne pouvait pas avoir tué quelqu'un que son amoureuse aimait, si ? Ce n'était pas un tueur.
Elle réfléchissait, mais n'arrivait même pas à se dire que le jeu en valait la chandelle. Comment pourrait-il la valoir ? Elle n'avait vu que de la culpabilité, de l'inquiétude, de la douleur sur le visage de son oncle. Aucun bonheur.

Puis elle repensa à l'expression de sa mère lorsqu'Aiguilles de Sapin lui apportait un lapin rien que pour elle. Son sourire éclatant, différent de celui qu'elle adressait à sa fille. Un sourire plus timide, mais plus .. joyeux, aussi. Et ses ronronnements, différents aussi. Si ça modifiait juste le bonheur, l'amour, ça ne devait pas être si intéressant.
Cela faisait simplement faire des chatons.
Elle se dit qu'elle ne connaissait pas ce que c'était, qu'elle ne pouvait pas savoir. Mistral Lointain avait l'air de penser que ça valait le coup. Il fallait qu'elle se trouve un autre avis. Elle n'allait pas demander à sa mère. Celle-ci lui demanderait si elle était amoureuse, et il était hors de question que Petite Cime tombe amoureuse, ah ça. Hors de question. Elle avait suffisamment questionné Citron Vert pour la semaine, elle avait passé ses derniers jours dans sa grotte. Elle adorait le guérisseur, mais elle n'allait pas l'embêter à rester tout le temps dans ses pattes, non plus.
Non, il fallait qu'elle demande à quelqu'un qu'elle était certaine de ne pas déranger. Mais quelqu'un qui accepterait de répondre à ses questions, également.

Elle sortit de la pouponnière un peu plus calmement que d'habitude, perdue dans ses pensées. Elle voulait aller voir les anciens. Eux avaient vécu longtemps, et si ils étaient dans un bon jour, elle aurait bien plus de précisions qu'elle n'aurait pu en avoir avec un guerrier, parce qu'ils étaient fichtrement bavards, tout de même.
Puis elle remarqua un guerrier tout seul dans un coin à l'ombre. Habituellement, ils mangeaient en groupe. Là, c'était sa chance. Elle courut presque vers le guerrier, déterminée. Il eut l'air surpris de la voir apparaître. Il n'avait pas l'air revêche, alors elle n'hésita pas.
"B-bonjour Petite Cime, que se passe-t-il ?" Il n'avait pas l'air assuré du tout non plus. Elle faillit lui demander ce qu'il avait, puis se dit que ce n'étaient pas ses affaires. Elle pourrait lui poser la question plus tard. Elle prit une inspiration. "Mon oncle est amoureux mais il a l'air malheureux et puis je trouve qu'il réfléchit trop, et que normalement il réfléchirait pas comme ça, et puis il m'a dit que l'amour ça en valait le coup, mais vu sa tête ... enfin ... Non, attends." Elle ne savait pas par où commencer. Autant partir sur des bases stables, parce que sinon, cela ne servirait à rien de le questionner.
"Tu es déjà tombé amoureux ?", lui demanda-t-elle effrontément, sans se douter une seule seconde qu'il s'agissait d'une question personnelle. Elle le fixa dans les yeux, retenant son impatience.

La réaction du guerrier prit la petite chatte au dépourvu. Il écarquilla les yeux, bégaya, se recroquevilla, marmonna des syllabes sans sens et sans raison... Elle se retint de le questionner. Il avait déjà l'air assez mal à l'aise comme cela. Au moment où elle allait tout de même craquer et poser une nouvelle question, il se redressa, s'assit, semblant reprendre un peu contenance. Elle referma sa petite gueule, serra les dents pour s'empêcher de le harceler pendant qu'il fermait les yeux pour se concentrer et répondre à sa question.
Elle laissa ses pensées dériver en repensant à son oncle, sa mine triste, dépitée, ses soupirs empreints d'une émotion, d'une tristesse qu'elle ne connaissait pas, et qui semblait si prenante. Comme si ses petri s'étaient nouées en un noeud si serré, qu'il lui faisait un mal de ouf. Le guerrier en face d'elle finit par baisser à nouveau ses yeux sur sa chetron.

“ Non, d-désolé. Je … Je ne suis pas trop doué pour ça. Euh … C’est un sujet qui fait peur, tu sais ? Je pense… que tu es trop jeune. ”
Génial, elle n'était pas plus avancée. Elle avait cependant un élément de plus. Donc, l'amour était embrouillant, l'amour modifiait nos réactions, rendait tout compliqué et pouvait faire souffrir, tout ceci d'après ses propres réflexions. Ensuite, l'amour était merveilleux lorsqu'il était rendu, d'après Mistral lointain. Enfin, selon le guerrier en face d'elle, il faisait peur.
Sauf qu'il avait dit qu'elle était trop jeune pour cela. Et ça, elle le refusait. Ce n'était pas parce qu'elle était jeune qu'elle ne pouvait pas comprendre. Peut-être qu'elle ne pouvait pas appréhender ou imaginer, mais comprendre, apprendre ce que c'était, ça elle pouvait. Il suffisait de le lui dire. Tout simplement.

Eh, mais.. S'il lui avait dit qu'il n'était jamais tombé amoureux, que c'était effrayant et que - selon lui du moins - elle était trop jeune pour comprendre, ça voulait dire qu'il savait ce que c'était alors. Qu'il savait en quoi tout le monde le voulait, et en quoi c'était effrayant, changeant, douloureux, et surtout, pourquoi cela valait quand même le coup. Elle n'abandonna donc pas sa proie.

"Mais tu sais ce que c'est ?"
Elle se leva pour plonger ses iris pâles dans ceux du guerrier, qui n'avait toujours pas l'air à l'aise. Elle se demandait si il était malade. S'il était souffrant, elle devrait le laisser tranquille.
"Pourquoi, si ça fait peur et que ça fait mal, pourquoi vous aimez ça ?" Par vous, elle entendait les adultes, les guerriers, les apprentis, le monde en général. "Comment on peut y échapper ?" Elle se rendit compte que sa dernière question validait l'affirmation du guerrier devant elle. Que l'amour faisait peur. Moi, je n'ai peur de rien ! Sauf que sa question la rendait bel et bien anxieuse. En même temps, au vu de ce qu'elle savait dessus...

Le guerrier parut encore plus mal à l'aise. Petite Cime se retint de montrer son impatience. Elle avait simplement hâte d'obtenir ses réponses. Elle ne comprenait pas. L'amour, en quoi était-ce merveilleux ? Elle ne voyait que les conséquences négatives. La peur, la douleur. Elle voyait aussi que ça rendait sa mère aussi vive et intelligente qu'un lapin étourdi. Parce que, franchement, pour lancer à son père un regard aussi admiratif alors qu'il n'était rien d'autre qu'un crétin fini, il fallait vraiment avoir un petit retard.

Le chasseur ferma les yeux, et elle sentit l'espoir renaître. Il va réfléchir et me donner une réponse complète, c'est sûr. "N-Non, je ne sais pas vraiment ce que c’est. J’ai juste vu … les autres. Je ne pense pas que je le ressentirais un jour et c’est pour ça que ... je ne peux pas dire pourquoi on peut apprécier ça. Si on accepte ce qui fait mal et ce qui fait peur, c’est qu’il y a quelque chose en échange ? Se sentir mieux que les autres ? Et … Pour y échapper, i-il faut ne connaître personne." Elle déchanta. Elle retint d'abord une question qui avait faillit jaillir de ses lèvres, Pourquoi tu bafouilles ? pour essayer de remettre en ordre les paroles du guerrier. Il n'avait pas connu non plus, mais il avait vu les autres. Les autres chats, donc ? Et donc, il y avait quelque chose à gagner de l'amour, selon lui ? Malgré la douleur, malgré la peur ?

Et c'était si certain que ça ? On tomberait forcément amoureux dans sa vie ? Parce que, selon lui, il fallait ne connaître personne pour ne pas tomber amoureux. Mais on ne pouvait pas vivre une vie entière sans connaître d'autres chats, non ? Donc, on tomberait un jour sur l'amour, de manière sûre ?
On ne pouvait pas y échapper ?

Ses réponses soulevaient de plus en plus de questions, comme si les rouages de son cerveau accéléraient. Elle prit une inspiration pour continuer, mais le chat en face d'elle la prit de vitesse, en lui posant cette fois une question lui-même. "Mais … P-pourquoi tu veux tout comprendre ? A quoi cela va te servir ?" Elle était surprise. Elle ne savait même pas comment répondre à cette question. Pourquoi tout comprendre ? C'était, pour elle, tellement normal de vivre avec cette soif de savoir, qu'elle n'arrivait pas à poser des mots sur la raison. Elle ouvrit la gueule, toujours les yeux écarquillés de surprise, mais aucun son ne s'en échappa.

Elle réfléchissait à toute vitesse, les yeux sur un point fixe, sans trouver de réponse constructive. C'était la première fois qu'elle était muette. Le grand guerrier brun pourrait se vanter d'être le seul à avoir réussi à couper le chiqué à la petite chatte.
Elle secoua sa tête, agita une oreille, se racla la gorge, ne trouva toujours pas de réponse suffisamment constructive.

"Eh bien.." Elle fronça les sourcils pour se concentrer. Puis finit par grogner, agacée d'elle-même. "En fait, je ne sais pas ! Je ne sais pas l'expliquer. Pour moi, c'est normal. Comprendre." Elle chercha un moyen de décrire l'impressionnante fièvre qui la prenait face à quelque chose d'inconnu et intéressant. "J'en ai.. envie. Besoin. Je." Elle finit par trouver, non pas une raison, mais une réponse logique. "Et puis, comment on peut se défendre face à quelque chose qu'on ne connaît pas ?"
C'était une phrase compliquée, et elle avait faillit ne pas trouver ses mots. Mais c'était vrai. Quand on ne sait pas, on ne peut pas. C'était vrai, c'était logique. C'était simple.