Garder la tête haute. C’est ce que Cicatrice de Ronce m’aurait conseillé. Ça fait une éternité que je n’ai pas eu l’occasion de lui parler. Je m’en veux. Je m’en veux de ne pas avoir le temps, de ne pas trouver le temps de passer du temps avec ceux qui me sont proches. Avec ceux que j’aime. Il faut que j’en trouve, du temps. On ne sait pas ce qui peut arriver. Tout peut arriver. Trop rapidement. Je pense encore à Tyran des Ombres et Fatale Espérance. Trop vite, oui. Tout peut arriver bien trop vite. Je secoue la tête, tente de chasser ces pensées de mon esprit ; impossible. Evidemment. A quoi m’attendais-je ? Est-ce que je pensais vraiment que tout allait partir, comme ça, en un clin d’oeil ? Je suis idiot. Idiot et désespéré. Et j’essaye, pourtant, j’essaye. Mais je n’y arrive pas. Tout me paraît si compliqué. Me lever, le matin, me paraît compliqué. Demander à Feuille de Poirier de s’occuper des patrouilles – et donc ne même pas m’en occuper moi-même – me paraît compliqué. La vie se jonche d’obstacles qui n’en avaient pas été jusque là.

Garder la tête haute. J’essaye, j’essaye, mais elle finit toujours par se rabattre, mes yeux fixant le sol sans réel but, perdus dans le vide de mon coeur. Le vide qu’ils ont laissé. Je la relève encore une fois, prends une grande inspiration. Il faut que je sorte. Je ne suis pas encore sortie, et midi est déjà passé depuis longtemps. Il faut que je sorte, que je vois des chats. J’aimerais aller parler à quelques uns, peut-être même. Ma fille serait la personne idéale, mais depuis qu’elle est revenue – saine et sauve, Clan des Etoiles merci – de la patrouille envoyée aux Troupes, elle ne m’adresse plus la parole. Je ne sais pas encore ce que j’ai fait. Et ça me tue, de la voir s’éloigner de moi. Je ne le veux pas. Je ne veux pas la perdre, elle aussi. Je ne peux l’approcher sans qu’elle me crache dessus. Et puis, de toute façon, elle n’est pas au camp. Cicatrice de Ronce non plus, d’ailleurs. Personne n’est là. Ils me fuient tous, comme d’habitude. Je soupire, et m’apprête à baisser la tête, à nouveau, mais parviens à me retenir.

Garder la tête haute. Je parcours rapidement le camp des yeux et tombe sur la fourrure noire de Volcan Ardent. Pardon, Volcan, tout court. Je la regarde quelques secondes, suis ses mouvements des yeux, sans rien dire. Lui parler ? A elle ? Pour lui dire quoi ? Nous n’avons rien à nous dire. En vérité, si. En tant que chef exemplaire, je devrais aller lui demander comment elle va. Comment se passe son retour au Clan de l’Ombre, comment ses enfants se débrouillent (même si je l’avoue, je le sais bien, ils ont du mal à suivre le rythme, bien différent de celui des Troupes), mais je ne le fais pas. Je ne l’ai pas encore fait, du moins. Et pourtant, ça fait un moment qu’elle est revenue. Un long moment. Alors, je prends mon courage à deux pattes. Je prends mon courage à deux pattes, oui, et je m’avance vers la doyenne. Nous devons parler, de toute façon. Depuis bien longtemps. Depuis avant son départ du Clan de l’Ombre, même. Il y a des choses que je n’ai jamais su lui pardonner.

“Volcan Ardent… Pardon, Volcan ? Dis-moi, tout se passe bien ?” Je n’arrive pas à me défaire de ce tic.