L’air doux, le vent frais ; un jour agréable à l’horizon. Pour une fois, Griffe de Boue se sentait bien, à l’aise. On pourrait même avancer qu’il se sentait … Joyeux. Oh oui, il allait passer une bonne journée, à travailler pour son clan ; il aurait un bon repas à la fin, une souris malingre ou un reste de lapin, c’était bien pour la fin de la saison des feuilles mortes.
Il était sorti de bonne heure du camp. Il s’était un peu baladé sur les terres plates, les yeux dans le ciel bleu-gris, la température goût givre lui rafraîchissant la peau sous son pelage épars. Il voulait accomplir une bonne action , une particulièrement sympathique pour ses "pairs" ; et quoi de plus sympathique que de s’assurer de leur bonne santé ?
Bon très bien, il chassait quasiment tous les jours, avec l’exception de la patrouille occasionnelle. Mais il avait envie de varier, pour une fois. Il n’avait jamais ramassé de plantes médicinales. Peut-être que ça l’aiderait quelque jour futur. Ses pensées étaient blanches de négativité ; il ne pensait pas à cet abattement quotidien de la honte, des jugements, de son échec social ; il voulait profiter de cet esprit propre de tout cauchemar personnel.
Il parcourut le territoire de long et en large, ramassant chaque herbe qui lui semblait sentir comme celles qu’on appliquait sur les blessures des guerriers après une bataille, ou qui avait le même relent que la médecine contre le mal blanc. Des odeurs qu’il avait humées cent fois. Il les prit dans sa gueule, emplissant sa gorge de vapeurs curatives. Il se mit à accélérer vers le camp ; et si ces brumes atteignaient son esprit, et s’il s’évanouissait à cause d’elle, et toute autre sortes d’inquiétudes habituelles. Mais cette fois, pour son grand bonheur, elles n’étaient qu’habitudes, elle ne lui donnait pas la piqûre d’anxiété.

Il entra dans la tanière du guérisseur, Citron Vert : mais il n’y avait aucune trace de lui. Elles étaient masquées par l’odeur de la guérison, la douce effluve de la nature qui soigne … Mais aussi, cet arôme cachait sûrement l’émanation pourrie de la mort. A cette réflexion , un frisson parcourut l’échine du cueilleur. Bref, il n’y avait que son apprentie, la jeune Nuage des Sables, déjà attablées devant la verdure positive, trop concentrée pour son âge, un peu comme Griffe de Boue.
D’un coup, son anxiété lui revint, lui qui l’avait évitée toute à l’heure ; mais non, il avait décidé de ramener des plantes, il ne prenait pas de telles décisions normalement, il devait aller jusqu’au bout, il avait fait un bon choix, un choix gentil, ces plantes qui pendaient de sa bouche allaient pour sûr sauver quelques-uns de ses camarades, on serait reconnaissant, il n’avait rien à craindre… Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Allez, bon, il était assez sérieux !
« Je … Bonjour, hésita-t-il. J’ai ramené q-quelques choses. Je ne sais pas si ça va aider mais voilà j’espère qu’elles serviront et ... » il s’arrêta ici. Il n’aimait pas parler, pas besoin de parler plus que raison. Il resterait peu de temps ; juste pour aider à organiser et puis c’est tout. C'était une bonne journée, c'était une bonne journée.

Elle sursauta brusquement. Mince, il l’avait vraiment dérangée, finalement. Griffe de Boue essaya de positiver avec ses plantes dans la gueule : c’était sûrement une bonne surprise, elle serait ravie de le voir arriver avec autant d’offrandes en ce début de saison. Et puis un peu d’aide, elle apprécierait aussi : à le faire toute seule, elle devait se casser le dos pour tout ranger. Oui, c’est ça ; être positif. C’est bien d’être positif, de temps en temps.
Nuage des Sables se retourna et le détailla lentement. Le guerrier remarqua qu’elle n’avait pas dit bonjour. C’était idiot, mais il remarquait souvent quand on disait bonjour car il disait à son tour bonjour en bégayant et c’était la seule chose qu’il prononçait. Ce n’est pas comme s’il voulait absolument bégayer des mots encore une fois, mais c’était assez étrange pour lui. Peut-être qu’elle ne le reconnaissait pas ? Non, il s’était blessé quelque fois pendant son apprentissage. Il n(‘avait qu’à attendre, il verrait bien pourquoi elle l’avait regardé aussi longtemps.
Elle finit par s’approcher de quelques pas, mais elle s’arrêta encore une fois. Et s’il tenait une plante qui puait particulièrement ? Non, il l’aurait senti, si ? Ou alors, il était trop imposant en tant que guerrier malingre. Non, ça aussi, ça ne tenait pas debout. Et puis, il ne savait pas si elle pouvait le sentir, d’ici. Des bouts de plantes collaient tout le long de ses flancs et de ses pattes, à force de rester dans la tanière du guérisseur. Ceux-ci devaient bien réduire son odorat depuis longtemps. Tous ces résidus la grattent, d’ailleurs. Griffe de Boue n’osait pas plus s’approche, ç’aurait été malpoli. Et puis, il ne sait pas ce qu’il y a par terre, il aurait très bien pu marcher dans un tas de feuilles pas encore trié sans s’en rendre compte et elle lui en aurait voulu pour bien longtemps.

« Je.... Est-ce que tu pourrais.... me dire quelles sont-elles ?  Je..... Je crois ne pas les.... Reconnaitre.... »

C’était donc pour ça ! Au moins, il ne sentait pas le vomi. Mais maintenant, il avait un problème : il ne savait pas non plus qu’elles étaient ces satanées plantes. Parce que non, il ne pouvait pas juste les laisser là et se dire qu’il avait fini sa journée et qu’il était tranquille pour dormir et parler à personne. Bon, il n’allait pas s’énerver contre cette apprentie, de toutes façons il ne s’énervait jamais contre ses camarades car il avait peur de s’énerver contre eux.
Il déposa les plantes à terre. Non, il ne connaissait réellement as ces plantes. Il les avait vues une fois ou deux dans sa vie entière. L’exaspération fit place à la panique. Qu’est-ce qu’il allait bien lui dire, à cette pauvre fille ? Il en pouvait pas la laisser se débrouiller avec alors qu’elle n’en savait rien non plus ! Et Citron Vert qui n’était pas là, c’était lui, le plus grand et le plus expérimenté, qui devait l’aider, c’était sa place en tant que guerrier, d’aider les apprentis !

« Ah … Euh… Je sais pas... Non plus… On p-pourrait regarder dans les tas, peut-être ? »

Il devait rester optimiste. Il y a toujours une solution. Voilà, c’était sa résolution, il resterait optimiste face à la situation. Il avança un peu vers les rassemblements de plantes qu’il apercevait vers le fond de la tanière. Il n’avait même pas mémorisé l’apparence de ce qu’il avait ramené, qu’est-ce qu’il faisait ? Sa démarche ne devait pas avoir l'air très sûre.