Souvenirs d'enfance

ft. Marsh

Je me sens débordé – pour pas dire totalement sous l’eau, ce qui serait un comble parce que je suis un bien piètre nageur. Débordé par ma vie de père alors que mes filles ont presque aujourd’hui l’âge d’être nommées guerrières. Il faut dire que le temps défile à une vitesse, c’est hallucinant. Je suis débordé parce que je sais pas m’organiser – c’est pas nouveau – mais surtout je me rends compte que leur vie de chatonnes arrive à terme et que je veux rien rater de la fin de celle-ci. Depuis que je me suis rendu compte que j’étais un horrible pêcheur (merci Tortue), j’essaye, chaque jour, de m’y entraîner. Mais les résultats peinent à venir et je me décourage. J’ai cette foutue impression que ce n’est juste pas fait pour moi et que ça ne sera jamais le cas. On ne se découvre pas un talent pour la pêche du jour au lendemain, et surtout pas à quarante lunes passées.

Je suis débordé parce qu’aussi, je me demande bien à qui je vais finir par parler quand elles auront toutes leur petite vie bien rangée avec leur partenaire – et pire encore, leurs chatons – et que je resterai ce vieux croûton capable de rien faire, à pourrir au fond de la clairière. Est-ce qu’elles auront encore du temps pour moi ? Est-ce qu’elles auront encore le courage de rendre visite à leur vieux père tout pataud ? Elles doivent déjà avoir si honte de moi. Elles sont gentilles, tout de même, à ne pas le dire et encore moins le montrer. Peut-être qu’un jour, ça changera, quand elles me trouveront trop lourd à toujours essayer d’avoir de leurs nouvelles. Je soupire. Du moment qu’elles sont heureuses…

Je ne connais pas leur emploi du temps, je ne sais pas si elles sont d’entraînement avec leurs mentors respectifs aujourd’hui ou pas. Sur trois filles apprenties, les chances qu’elles soient libres ne sont pas pourtant si minces. Il faudrait que je leur demande directement. Ou sinon que j’aille voir Oeil de Biche – elle est encore une jeune guerrière et elle n’a pas d’apprenti, j’ai peut-être ma chance à tenter à essayer de lui proposer une sortie chasse. Et puis il faudrait que je lui demande si ce Chaos des Vagues l’embête toujours autant. Je ne sais pas si mon pressing la dernière fois a été si efficace que cela. Il faut dire que je ne suis pas très impressionnant et encore moins menaçant… Ce qu’il faudrait, c’est que Malédiction Mortelle s’en charge ; elle est bien plus inquiétante que moi. On pourrait arriver à deux devant lui et…

Et lui foncer dessus. Comme je viens de le faire. J’étais si perdu dans mes pensées que ça pour foncer dans quelqu’un, alors ? Je relève les yeux, un peu étourdi, secoue la tête pour me remettre les idées en place, prêt à m’excuser aussi machinalement que je sais le faire – ça a un avantage d’être tête en l’air, j’ai déjà préparé mes excuses : “Pardon, désolé pour le…” et c’est au moment où mes yeux fixent ceux d’Épine d’Or que je me souviens d’elle : sa fourrure dorée me rappelle brusquement de mauvais souvenirs : son regard mauvais sur moi alors que nous étions encore apprentis, et surtout, les roustes qu’elle a pu me coller pendant nos entraînements communs. Je n’ai pas envie de faire une scène, là au milieu de la clairière, alors j’enchaîne, bafouillant : “Oh là là, pardon ! Je t’avais pas vue… enfin si, mais… bref, désolé ! Ça va, tu t’es pas fait mal ? On dirait que j'ai toujours autant de talent pour faire des gaffes. Franchement, je pensais avoir laissé ça derrière moi… mais on change pas une équipe qui perd, hein ?” Je ris nerveusement.