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Roc : Une bonne action est plus difficile à réaliser qu'une mauvaise

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 Jeu 26 Fév 2015 - 16:55
Roc





De 0 à 6 lunes

0 lune

Ils étaient six. C'était beaucoup, pour une portée de chatons. Trois femelles et trois mâles. La première était sans doute la plus forte, aussi. Le pelage blanc. Qui se fondrait parfaitement dans les montagnes enneigées lorsque le temps s'y prêterait. Le deuxième, lui, était le plus frêle de la portée. Un pelage gris sombre. Le troisième était noir. Entièrement. La quatrième, son pelage tirait plutôt sur le gris perle, le cinquième, tout comme son frère, avait un pelage encre. Et la petite dernière, sa fourrure flamme était magnifique.

Ils ouvrirent les yeux. Tous bleus, comme les chatons ont les yeux de cette couleur durant les premiers jours. Avec six petits à nourrir et surveiller, leur mère ne s'ennuyait jamais. Les chatons étaient enclins à faire des bêtises... Bientôt il s'avéra qu'ils étaient tous de braves petits. Forts, robustes, en bonne santé. Et cela se confirma avec le temps, car pas un seul ne tomba malade. Mais la femelle, elle, manquait de plus en plus de lait... Elle avait peur de ne pouvoir tous les nourrir encore bien longtemps.

1 lune

Les six ne se souvenaient pas. Ils ne pouvaient pas, ils étaient trop jeunes. Mais une autre chatte, leur Tante, les recueillis. Elle avait du lait. Un compagnon qui l'aidait. Alors ce ne fut pas six, mais cinq qui partirent avec cette chatte qu'ils appèleraient Maman. Car le petit deuxième, Roc, resta avec sa mère. Il était le plus faible...

3 lunes

Roc avait trois lunes maintenant. Et ce fut le début de l'apprentissage. Trois lunes, et déjà Roc n'était plus un chaton. Trois lunes et déjà Roc s'entraînait à combattre, à chasser.

5 lunes

Le vent s'engouffrait dans la petite tanière. Roc avait froid. En deux lunes il avait totalement changé, et son duvet s'était éclipsé pour être remplacé par une fourrure plus dense. Et plus chaude, surtout. Il s'était épaissi, aussi. Ses pattes étaient plus puissantes, et tous ses muscles saillaient à présent sous sa belle fourrure. Ses yeux bleus étincelaient de joie. Il était devenu un chaton heureux, et qui n'avait pas l'air d'un chaton mais plutôt d'un jeune chat.

Lorsqu'il s'éveilla ce matin là, il remarqua l'absence de sa mère. Peut-être que la femelle grise était partie chasser ? Au beau milieu de la nuit, en pleine tempête de neige... C'était pour le moins surprenant, mais Roc préférait ne pas imaginer le pire. Il n'y avait rien à craindre, pas vrai ?
Il soupira. Son souffle forma un nuage de buée dans l'air, qui s'évapora en quelques secondes. Humant l'air, il tenta vainement de discerner quoi que ce soit, une odeur particulière, ou inhabituelle, ou repérer une trace quelconque d'un agresseur ou autre. Mais il n'y avait rien. Rien que les petits bruits habituels. Des chants d'oiseau, d'autres petites choses anodines. Le craquement d'une branche. Ce qui n'était pas rare, lorsque le bois pourri et sec prenait une rafale de vent.

Il chercha toute la journée. Vit une famille de cinq chatons et leur mère au loin. Finalement épuisé, il alla s'allonger sous cette racine, et la température lui sembla plus élevée bien que ce ne fût pas le cas, que dans la neige. Et tout le reste de la nuit, il grelotta, luttant dans son sommeil contre les cauchemars, contre la mort.



De 6 à 12 lunes

6 lunes
Une lune durant, Roc espionna les cinq chatons et leur mère. Le froid avait cessé, et chaque jour il voyait la terre apparaître un peu plus. Chaque jour il faisait plus chaud... Roc était heureux, en ce temps-là. Il ne connaissait plus vraiment la faim, et le souvenir de sa mère disparaissait peu à peu. Ne restait, dans sa mémoire, qu'une infinie solitude. Qui lui pesait moins depuis qu'il observait les autres petits.

7 lunes

Roc chassait. Il avait repéré un faisan. Cet oiseau ne pouvait pas lui échapper, il était trop près. Il bondit, et attrapa le piaf alors qu'il s'apprêtait à s'envoler, avant de lui donner le coup de grâce fatal.
Il y eut un feulement. Puis une silhouette se découpa. Noire, sur la neige blanche. Le chat s'avança, Roc savait qu'il faisait partie de ceux qu'il espionnait. Les oreilles couchées en arrière, les deux jeunes s'affrontèrent du regard, puis une voix mélodieuse les coupa.

"Charbon ! Arrête, ce n'est pas ta proie. Tu ne l'as pas attrapée."

Le dénommé Charbon se tourna vers celle qui semblait être sa sœur, et il murmura :

"Très bien, Perle. Mais c'est un repas de moins pour nous, et trois de plus pour lui."

Roc ne savait pas comment réagir. Il voulait garder sa prise, mais il se sentait coupable à présent... Finalement, avec beaucoup d'efforts il parvint à proposer.

"On peut la partager, si vous voulez.

— D'accord, répondit la femelle. On l'emmène à la tanière."

Heureux de ne plus être seul, Roc partagea volontiers l'oiseau avec les cinq chatons. Mais le regard de Givre, une chatte blanche, le troublait.
Plusieurs jours il resta avec eux. Chassant plus pour eux que pour lui-même, il devint un Chasseur hors pair.

8 lunes

«Regardez-moi ce pigeon ! s'extasia Perle, une chatonne grise pâle.

— Aussi gras que s'il avait été engraissé par les Deux-Pattes, ronronna Nuit.

— Bon et si on le mangeait, au lieu de l'admirer !»

Roc était fier de sa prise. Un oiseau comme ça, il n'y en avait qu'un dans la forêt, et c'était lui qui l'avait attrapé. Plus le temps s'écoulait, plus il devenait un chasseur hors-pair, et le jeune chat gris sombre n'avait aucun concurrent potentiel. Ses yeux bleus brillèrent dans la pénombre du soir lorsqu'il s'accroupit pour arracher un morceau de chair de sa prise. Il n'en prendrait guère plus, préférant le laisser à ses compagnons de jeu, qui en avaient plus besoin que lui. Se léchant les babines délicatement, Roc attendit que le repas se termine, lorsque leur mère rentra de la chasse. Elle ne portait aucune proie, et à cet instant de la vie du chaton, il se sentit moins vulnérable et même le plus puissant. Il savait qu'il était meilleur chasseur qu'eux tous... Et cette idée lui donnait des petits frissons de joie.

9 lunes

Roc, comme à son habitude, se dirigea vers la tanière. Mais il n'y avait rien. Inquiet, le jeune chat gris commença à faire le tour de la petite grotte, puis il entra. Le corps, mort, de sa Tante était étendu à l'entrée. Morte de froid, peut-être. En tout cas elle n'avait pas souffert. Mais aucun signe des autres chatons. Alors Roc attendit, des heures, puis la nuit, puis le jour. Il comprit qu'ils ne reviendraient pas. Les membres engourdis, il se redressa. La mort dans l'âme, il s'en alla sans se retourner. Il allait rentrer, chasser, dormir, puis sa vie de solitaire recommencerait. Car il était né pour suivre cette voie.



À partir de 12 lunes

14 lunes

Un jeune mâle vaillant. Courageux. Aussi bon chasseur que combattant. Roc n'avait pas oublié ses amis, mais le souvenir de sa mère s'était atténué dans son esprit.
C'était une nuit. La lune brillait, haute dans le ciel. Fatigué, le jeune chat se promenait, chassait, vivait sa vie de solitaire. La routine, en fait. Mais un événement allait tout changer.

Alors que Roc avançait prudemment à travers les arbres, il entendit quelqu'un qui le suivait. Mine de rien, il s'arrêta. De nombreuses fois il avait du se battre contre des chats errants, qui se prenaient pour des Escogriffes mais étaient beaucoup moins puissants. Le mâle gris se retourna vivement, sur ses gardes, scrutant la forêt de ses yeux bleus. Une chatte s'approcha bientôt, le pelage blanc scintillait sous la lumière argentée de la lune. Avec un hoquet de surprise, Roc murmura :

"Givre ?!"

La chatte blanche hocha la tête. Ainsi ses anciens camarades n'avaient pas quitté la montagne. Curieux, Roc décida de l'interroger, pour en savoir plus. Et ce que Givre lui conta ne lui plut guère. Alors, assis dans la clairière, elle commença son histoire. Leur histoire.

"Tu es notre frère. Je me souviens, Maman est restée avec toi et nous a laissés à sa sœur, notre Tante. Lorsque je t'ai revu, je t'ai reconnu. Mais j'étais la seule, alors j'ai préféré me taire. "

Une voix plate, sans émotions. Roc imagina le pire pour ses frères et sœurs. Enfin, il n'était pas certain que la femelle disait vrai, non pas qu'elle mentait, mais s'en souvenait-elle vraiment ? Givre finit par répondre, soupirant, aux questions du jeune mâle.

"Ils sont avec une chatte. Elle s'est proclamée Chef... Ils sont devenus Escogriffes. Sans foi ni loi. Je... Je ne les ai pas suivis."

Stupéfait, Roc resta sans bouger quelques instants. Avant de se relever, et s'approchant de Givre, il entoura ses épaules de sa queue, pour la réconforter. Ils restèrent ainsi toute la nuit, presque sans bouger, serrés l'un contre l'autre. Jusqu'à ce que Givre s'en aille, laissant un Roc endormi, seul.

16 lunes

La suite tous s'en rappellent. Roc rejoint la bande d'Escogriffes, et Glingal leur cheffe lui ordonna de ramener Givre. Alors il le fit, ce qui courut à leur perte... À cinq d'entre eux. Roc, le plus fort, Roc qui était différent des autres assassina sa mère sans scrupule, et sa vie de truand pour retrouver son père commença.

18 lunes

Tout s'enchaîne. Une simple rencontre avec un chat noir, qui se présente comme "Démon Nocturne" son père. Roc sait à présent qui est son géniteur.
Par ailleurs, il continue les combats, Lyam le jeune Escogriffe dont le combat s'est achevé par l'arrivée d'un aigle. Un jour il le tuerait...
Delwyn la belle chatte, traîtresse de la Troupe Inondée en réalité Escogriffe. Qu'il aime secrètement. Ils font les quatre cents coups ensembles, jouant comme deux chatons avec la vie d'autres félins plus faibles.

19 lunes

Roc sauve Delwyn d'une attaque de puma. Cela suffit à re-déclencher l'amour qu'il lui porte, et il se lance finalement. Elle l'aime aussi.
Roc est perdu, il ne sait plus s'il a choisi la bonne voie. Alors ce soir-là, il fait la rencontre avec Tieth.



Il n'y aura pas de vieillesse

Histoire ici


Codage by Saphou
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 Mer 15 Fév 2017 - 10:53
Roc (ça fait 2 ans que j'ai écrit ça ._. )

Le vent s'engouffrait dans la petite tanière. Roc avait froid. En deux lunes il avait totalement changé, et son duvet s'était éclipsé pour être remplacé par une fourrure plus dense. Et plus chaude, surtout. Il s'était épaissi, aussi. Ses pattes étaient plus puissantes, et tous ses muscles saillaient à présent sous sa belle fourrure. Ses yeux bleus étincelaient de joie. Il était devenu un chaton heureux, et qui n'avait pas l'air d'un chaton mais plutôt d'un jeune chat.

Roc avait froid, donc. Il s'était couché trop près de l'entrée, et il sentait la neige trop près de lui. Il avait cinq lunes à présent, et il n'avait pas oublié ce que lui avait dit sa mère plusieurs lunes plus tôt. Dans moins d'une lune la neige fondrait, laissant place à de grandes étendues de prairies, vertes, sans fin. Mais il avait du mal avec cette couleur, le vert. À quoi cela ressemblait exactement ? Lui ne voyait que le blanc de la neige, le gris de leur pelage, le bleu du ciel lorsqu'il faisait beau, le brun, le roux des proies qu'ils mangeaient, et bien sûr le noir du pelage de ce chat. Mais le vert... Sa mère lui avait dit, un jour :

« Le vert se rapproche un peu du bleu, mais en même temps il est tellement différent...

— Je crois que je ne comprends pas.

— Tu verras, lorsque la première feuille poussera sur un arbre, tu le reconnaîtras aussitôt.

— D'accord. »

Dans les Montagnes, même les conifères perdaient leurs aiguilles ; elles devenaient rousse, voire dorées, et elles tombaient. Impossible, en cette saison, de voir du vert quelque part.

Roc s'étira, les yeux toujours fermés. Ses muscles se contractèrent, et lentement il ouvrit les paupières. Il s'habitua lentement à la luminosité importante. La neige réfractait la lumière du soleil, et éblouissait ses pupilles délicates. La première chose qui le frappa, ce fut l'absence de sa mère. Et lorsqu'il sortit, un peu étonné, il y eut une deuxième chose : l'absence totale de traces. Pourtant il n'avait pas neigé depuis le milieu de la nuit. D'un esprit assez logique, le chaton en déduit qu'elle était partie avant... Mais où ? Pourquoi ? Et surtout, pourquoi ne pas l'avoir prévenu ?

Il faisait encore froid, même s'il lui semblait que l'air s'était un peu réchauffé depuis quelques jours. D'ailleurs, la couche de neige semblait avoir rétréci, aussi, et ce n'était pas qu'une impression ; tout semblait annoncer la Saison des Bourgeons qui se préparait.

Peut-être que la femelle grise était partie chasser ? Au beau milieu de la nuit, en pleine tempête de neige... C'était pour le moins surprenant, mais Roc préférait ne pas imaginer le pire. Il n'y avait rien à craindre, pas vrai ?
Il soupira. Son souffle forma un nuage de buée dans l'air, qui s'évapora en quelques secondes. Humant l'air, il tenta vainement de discerner quoi que ce soit, une odeur particulière, ou inhabituelle, ou repérer une trace quelconque d'un agresseur ou autre. Mais il n'y avait rien. Rien que les petits bruits habituels. Des chants d'oiseau, d'autres petites choses anodines. Le craquement d'une branche. Ce qui n'était pas rare, lorsque le bois pourri et sec prenait une rafale de vent.

Roc parcourut le pourtour de la clairière à la recherche d'indices ou n'importe quoi ayant pu l'aider, mais il devait se rendre à l'évidence : il lui fallait chercher ailleurs, et différemment. Aussitôt il se précipita vers la pinède, le terrain où ils s'entraînaient, il fouilla de fond en comble chacun des lieux où ils avaient pour habitude de se rendre.
Il commença par le terrain d'entraînement au combat. C'était une clairière bordée de frênes, toute simple. Pas trop éloignée de la tanière, assez abritée, elle était l'endroit idéal pour ce genre de leçons. Il alla d'arbre en arbre, scrutant l'écorce de chacun avec acharnement. Aucun poil gris, aucune trace. Rien. Alors il commença à appeler, un peu déboussolé sans doute :

« Maman ! Maman !»

Et il poursuivit néanmoins les recherches. Il voulait simplement retrouver sa Maman. Les larmes aux yeux, il atteint les abords de la forêt de conifères. Il passa chaque coin en revu, rien n'échappa à sa vigilance.
Les larmes coulaient à présent sur ses joues, il miaulait tel un nouveau-né perdu sans sa mère, et une fois qu'il fut sûr d'avoir parcouru toute la forêt il s'écroula sur la neige. Il resta étendu ainsi pendant plusieurs heures sans doute. Roc sanglotait, il était certain que quelque chose de grave avait pu arriver à sa mère ; encore la veille, elle lui avait montré comment contre-attaquer un adversaire, et le soir-même, elle avait encore fait sa toilette. C'était tout simplement impossible qu'elle soit partie de son plein gré. Sans doute avait-elle entendu un bruit dehors, et pour protéger son fils, elle était sortie, alors qu'il neigeait, et avait suivi l'intrus. Mais elle reviendrait, car jamais elle n'aurait pu abandonner un chaton...

Alors que la nuit tombait, Roc se leva. Il était gelé, transi jusqu'aux os, mais il savait que la meilleure chose à faire était de rentrer.
Il trébuchait, glissait, mais chaque fois il se relevait. Il était déterminé. À retrouver sa mère, à survivre pour lui montrer à quel point il était devenu fort. Grâce à elle.

Il vit une autre forme. Une chatte ? Sa mère ? Plein d'espoir il se précipita sur le félin, mais lorsqu'il se rendit compte de son erreur, ses oreilles lui brûlèrent de honte. Il croisa le regard ambré de la chatte tricolore qui lui faisait face.

« Bonjour, jeune chat. Tu cherches quelque chose ? »

Il resta muet plusieurs secondes, sa queue s'était abaissée d'un seul coup tant la déception était grande.

« Je cherche ma mère.

— Oh ! fit-elle. Elle poursuivit : Tu pourrais me la décrire, si je la vois je te ferais signe.

— Grise, yeux bleus. »

Elle hocha la tête, l'air pensif, avant de répondre d'un ton consterné :

« Je ne crois pas l'avoir vue récemment... J'ouvrirais l'œil, mais je suis sûre qu'elle rentrera avant la nuit !

— Peut-être...»

Il retint un soupir. Cette chatte écaille-de-tortue lui avait remonté le moral, et il se sentait bien mieux à présent. Elle semblait à peine moins âgée que sa mère, et tout aussi douce. Puis, en l'observant plus attentivement, Roc put remarquer le ventre rond de la femelle, et un instant il se demanda si c'était une chatte de Bipèdes ou si elle trouvait un endroit où la nourriture était abondante. Mais avant qu'il ait pu demander quoi que ce soit, la chatte, sans même donner son nom, avait filé en sautillant dans la neige.
Il se redressa, secoua la tête. Avec un peu de chance, sa mère était déjà rentrée à la tanière ? Il voulait y croire plus que tout, mais lorsqu'il parvint à son tour dans la petite clairière, il ne vit rien que le tapis blanc qu'il avait laissé au matin, il n'entendait rien de plus que ce qu'il avait entendu le matin... Pourtant il n'acceptait pas cette idée. Il déniait tout simplement la vérité, et il savait que sa mère n'aurait pas pu mourir.

Alors, lentement, il se tourna vers "l'autre côté". Il ne restait que là-bas qu'il n'avait pas fouillé. Il était épuisé, mais le lendemain à l'aube, il se promit qu'il irait. Peu importait ce qu'avait dit sa mère bien des lunes auparavant, il sentait qu'il était prêt. Et il se fichait de ce qu'il pourrait y trouver. La chatte grise lui avait raconté des contes pour chatons, mais à présent il n'y croyait plus, et il ne voyait rien de dangereux à tenter une approche.

Il se roula en boule dans le nid humide. Frissonnant, sa nuit fut un calvaire ; le froid, les cauchemars venaient s'ajouter à ses insomnies habituelles. Et lorsque le voile noir de la nuit vint se retirer, il semblait au chaton gris qu'il était encore plus fatigué qu'en se couchant la veille. Il avait espéré toute la nuit qu'en se levant, sa mère serait rentrée, mais non... Il s'y attendait. Résigné, il sortit. Il faisait froid. Pour changer... Roc en avait réellement marre de ce temps. Au début, il avait cru s'y habituer, mais finalement il préférait la chaleur. Si pendant six lunes le froid régnait, le chaton préférait partir au loin, là où il ferait plus chaud.

Il lissa ses poils emmêlés après la nuit de sommeil agitée qu'il avait passé, puis s'estima prêt. Quelques frissons le parcoururent de la base de la queue jusqu'au oreilles, puis il sentit l'impatience qui lui nouait l'estomac se faire plus insistante ; alors d'un pas bien décidé, il s'aventura en terres inconnues, si près de chez lui...

Roc glissa sur la pente givrée. En quelques secondes il la dévala, et atterrit au sol avec brutalité. Encore un peu sonné, le chaton fit quelques pas en titubant avant de se reprendre. Il entendit son estomac qui criait famine, il n'avait pas mangé depuis l'avant-veille et son organisme commençait à le sentir. Les pattes tremblantes, l'estomac qui quémandait à manger, et puis sa tête qui tournait à vide, il n'arrivait plus à se concentrer et à réfléchir. Plus le temps passait et plus il lui semblait avancer dans ce qui aurait été une gadoue sans fin, qu'il s'empêtrait, qu'il n'arrivait plus à marcher mais pourtant continuait d'essayer. Vainement. Il allait s'écrouler au sol, il allait mourir lentement ici en ce lieu inconnu. Alors qu'il n'y avait aucun danger, pas plus que l'autre côté, pas plus qu'ailleurs.

Le froid lui sifflait dans les oreilles, mais Roc n'entendait plus rien depuis un moment déjà. Il était épuisé. Il voulait rentrer dans sa tanière, bien au chaud. Que sa mère soit avec lui, qu'elle le toilette comme lorsqu'il était petit. Qu'ils dorment tous deux ensembles, leur pelage se mêlant...

Roc sentit une odeur. L'odeur d'une proie. Il ne pouvait pas la rater, il n'en avait pas le droit. Le campagnol n'était qu'à quelques longueurs de queues de lui. Lentement il fit glisser ses pattes sur la neige, silencieusement. En un bond il l'attrapa, le coinçant entre ses griffes et lui porta le coup de grâce. Le sang coulait doucement dans sa gorge, l'emplissant d'une chaleur délicieuse. Le jeune se lécha les babines, et commença à dépecer la chair de l'animal. Il aimait la sensation de la viande qui descendait dans on estomac, et lorsqu'il eut terminé le rongeur, et qu'il ne restât qu'un petit tas d'os et de poils, les papilles de Roc s'étaient réveillées. Il avait une envie soudaine de planter ses crocs dans la chair d'une autre proie. D'un ennemi. D'un prédateur. N'importe quoi, du moment qu'il pouvait tuer.

Revigoré, Roc continua de marcher, toujours tout droit, sans faire de détours ; il ne voulait pas se perdre. Tout se ressemblait, pourtant il sembla reconnaître des détails : un pin, au tronc gris, une crevasse qui se découpait. Mais Roc, même s'il faisait attention à son environnement, n'oubliait pas le but premier de son escapade en terres inconnues.

Il sentit d'autres odeurs. Rien à voir avec du gibier, c'était une odeur féline qui se dégageait d'un peu plus loin. Roc fut surpris, si l'endroit était dangereux, pourquoi y avait-il des chatons - car c'étaient bien des chatons - qui jouaient dans la neige ? Il entendait à présent les petits cris, mais ne les voyait pas. Pas encore.
Puis Roc escalada le monticule de neige qui le séparait du terrain de jeu des autres petits. Cinq chatons, qui se courraient après, se bagarraient. Et leur mère. Une chatte grise. Le cœur de Roc eut une violente décharge, il crut d'abord que c'était sa mère, mais non. Sa mère était plus... Enfin moins... Elle était différente. Il l'aurait reconnue, si c'était sa mère. Alors Roc se contenta de les observer, et il se demanda, amer : "Pourquoi je n'ai pas de frères et sœurs, moi ?"

Eux ne seraient jamais seuls. Même si leur Maman partait, un jour, ou disparaissait, ils auraient toujours quelqu'un sur qui compter. Lui était seul, depuis toujours... Lui avait appris à ne compter que sur lui-même. Mais il était déterminé. Un jour, il le savait, il rencontrerait d'autres chats. Un jour il irait voir les chatons insouciants, qui semblaient être à peine plus jeunes que lui. Il deviendrait leur ami, et ils joueraient tous ensemble. Et Roc ne serait plus seul.

Mais, tout en rêvassant, Roc ne vit pas que les petits étaient rentré sous leur buisson épineux qui leur servait de tanière. Il ne vit pas que le soleil commençait déjà à descendre dans le ciel. Il fallait rentrer. Mais il reviendrait, il le savait. Il s'approcherait chaque jour un peu plus. Et puis, lorsqu'il serait assez proche, il pourrait aller discuter.
Roc secoua la tête. Encore une fois il s'était laissé submerger par des enfantillages. Il ne pouvait pas rester ici, à bayer aux corneilles. Il avait froid, et la nuit qui tombait déjà ne faisait qu'accentuer encore un peu cette impression d'engourdissement.

Le chemin du retour fut laborieux. La température était descendue bien en dessous duquel l'eau se mettait à geler, et la neige, qui avait un peu fondu, s'était transformée en plaques de glace. Même les griffes sorties, Roc glissait, et les pentes étaient insurmontables. Il fit plusieurs détours, mais toujours les grandes montées, qu'il avait descendues à l'aller, l'obligeaient à trouver un autre passage. Si bien qu'au bout d'un certain temps, il se retrouva un peu perdu.

[...] > Là y a une partie manquante

Roc bailla. Il avait passé une nuit à cauchemarder, et les paroles de Givre, la veille, n'y étaient pas pour rien. Ils avaient pourtant joué ensemble, partagé de nombreux repas... Pourquoi ne l'aimait-elle pas ? Mais soudain, Roc se rappela des quelques mots prononcés avant son départ "s'il te plait". Elle lui avait imploré de ne pas y aller. Mais là encore, la même question traversait l'esprit du jeune mâle : Pourquoi ?

Tant pis. Il n'aimait pas les mystères. Alors Roc se mit en route. Il remarqua que les touffes d'herbes vertes sortaient de sous le givre, et bien que la nuit les températures étaient encore suffisantes pour geler, peu à peu tout se réchauffait. La neige avait en parti fondu, et Roc n'avait aucun mal à descendre la ravine escarpée qu'il déboulait auparavant en glissades incontrôlées, mais les plaques givrantes avaient disparues.

Bien que l'envie de courir, de détaler le plus vite possible en direction de la tanière de la famille était pressante, il continua à prendre son mal en patience, et mesura ses pas. Sa queue tressaillait, tout son être était impatient. Roc luttait contre le malaise grandissant, ce pressentiment qui l'assaillait, qui l'oppressait de plus en plus... Il se convainquait, des images défilaient dans son esprit. Roc n'était plus qu'à quelques longueurs de queue de renard... Il s'approcha encore. Il grimpa la butte, s'arrêta en son sommet. Observa en contre-bas la clairière silencieuse. Non, pas silencieuse. Des oiseaux chantaient du haut des arbres, le vent ajoutait sa mélodie sur les feuilles et bourgeon nouveaux. Roc s'avança encore.

La clairière était calme, aucun mouvement n'était décelé. Trop calme... Roc sentait que quelque chose n'allait pas. D'ordinaire, les cinq chatons étaient dehors, à jouer, ou bien leur mère restait en attendant qu'ils reviennent de leur chasse. Mais en cette journée ensoleillée, bien que froide, il n'y avait personne. Roc était à quelques pas à présent. Il ne sentait rien, seules les odeurs, éventées, des présences de la veille.

Il contourna la tanière, afin de se retrouver devant l'entrée. Et ce qu'il vit faillit lui faire un bond au cœur. Le corps, étendu, de la mère. Roc ne voulait surtout pas le regarder trop longtemps ; cela lui donnait des hauts-le-cœur.
Le corps était gelé. Il semblait pétrifié sur place, juste devant la tanière des chatons. Roc sut aussitôt qu'ils étaient partis... Laissant le corps sans vie de leur mère. Reviendraient-il ? Roc eut un goût amer sur la langue, le goût du passé. Sa mère, qui partit en le laissant seul. Et maintenant ses cinq seuls amis... Il se sentait abandonné, trahi. Il décida de ne plus accorder sa confiance aussi facilement. Il ne voulait pas recommencer, être à nouveau seul à cause de traîtres qui disparaissaient un jour.

Roc ne pouvait laisser le corps sans vie ici. Il était à portée de tous les prédateurs qui passaient. Alors, avec l'infinie délicatesse qu'aurait eu un fils pour sa mère, Roc tira doucement la chatte grise dans l'antre, et la déposa dans son nid. Puis, réfléchissant à la suite, Roc décida de rendre hommage à la femelle. Posant la truffe sur son front, il ferma les yeux quelques instants...

Lorsqu'il les rouvrit, le jeune chat se sentait triste... Il s'assit non loin du corps. Veillant, il resta prostré dans cette position, jusqu'à ce que la lune descende dans le ciel. Mais là encore, le chaton n'esquissa aucun mouvement. Il attendit. En fait il espérait que les cinq jeunes reviendraient, qu'ils étaient partis à cause de la mort de leur mère. Qu'ils avaient eu peur, qu'ils n'étaient partis que quelques heures le temps de s'en remettre. Alors Roc resta.

Il contempla la morte, ne pouvant détacher son regard. Le jeune mâle gris foncé ne faisait que l'observer, pourtant il avait l'impression de violer son intimité. Il détourna le regard, préférant parler, dire ce qui lui passait par la tête. Il avait besoin de parler. Alors il commença :

«Où est-tu partie ? Où va ton âme ensuite ? »

Il n'attendait aucune réponse. Pourtant, lorsqu'il vit les étoiles scintiller dans le ciel qui palissait, qui laisserait bientôt place au jour, il sut. Elles semblaient moins lointaines... Roc écrasa une larme qui pointait. Il se secoua, ne voulant pas pleurer. Puis, de ses petites pattes puissantes, il sortit et se mit à creuser la terre meuble de la clairière.

« Je rend hommage à cette noble chatte, qui a élevé cinq chatons. Qui a donné corps et âme pour eux.»

Essoufflé, il s'arrêta quelques instants de parler, continuant à forer le sol. Le trou était profond.

« Ohtar, puisses-tu rejoindre tes ancêtres, puisse ton âme se retrouver aux côtés des autres. »

Il tira le corps dans le trou. Avant de recouvrir de terre la défunte, il proclama les derniers mots en criant presque, sa voix ne se brisa pas.

« Ce soir une étoile de plus illuminera le ciel. Ce soir une étoile de plus illuminera notre cœur. »

Le silence retomba. L'aube était là à présent. Le ciel prenait des teintes orangées, roses. Mais Roc était insensible à ce tableau. Il se coucha sur la tombe, et attendit.

[...] > Encore de gros morceaux manquants je crois

Roc plongea ses crocs dans la chair de sa proie. Le mâle avait grossi, et le gibier n'était pas rare en cette saison. À moins de quinze lunes, Roc avait déjà vu plus de morts que quiconque en une vie. Les chats tombaient comme des mouches, et le jeune chat gris s'était de nombreuses fois battu contre d'autres qui se prenaient pour les meilleurs. Mais il leur avait montré que le meilleur, c'était lui. Aussi féroce qu'un puma, aussi discret qu'un serpent, le pelage de Roc se fondait à merveille sur les ardoises de la Montagne et constituait un excellent camouflage pour surprendre ses proies ou prédateurs.

Depuis quelques temps, il avait remarqué d'autres chats, en groupes. Deux tribus qui se partageaient l'autre flanc de la montagne. Roc les avait vus de nombreuses fois, mais il ne s'était pas approché plus. Il ne cherchait pas les ennuis avec les autres chats, de plus il savait qu'il était en minorité... Et survivre, c'était son but premier. Quatorze lunes et toujours aussi seul. Parfois cette solitude lui pesait vraiment et Roc espérait chaque jour une nouvelle rencontre plus instructive que les premières qu'il avait faites...

Et le jour d'une rencontre vint. Il faisait chaud. Roc se sentait presque oppressé dans sa grotte, et il sortit. C'était une nuit. La lune brillait, disque haut dans le ciel. Fatigué, le jeune chat se promenait, chassait, vivait sa vie de solitaire. La routine, en fait. Mais un événement allait tout changer.

Alors que Roc avançait prudemment à travers les arbres, il entendit quelqu'un qui le suivait. Mine de rien, il s'arrêta. De nombreuses fois il avait du se battre contre des chats errants, qui se prenaient pour des Escogriffes mais étaient beaucoup moins puissants. Les Escogriffes, ces chats sanguinaires sans foi ni loi... Le mâle gris se retourna vivement, sur ses gardes, scrutant la forêt de ses yeux bleus. Une chatte s'approcha bientôt, le pelage blanc scintillant sous la lumière argentée de la lune. Avec un hoquet de surprise, Roc murmura :

« Givre ?! »

La chatte blanche hocha la tête. Ainsi ses anciens camarades n'avaient pas quitté la montagne. Curieux, Roc décida de l'interroger, pour en savoir plus.

"Où sont tes frères et sœurs ? Tu es seule ici ?"

Givre avait maigri. Tel un spectre dans la nuit, elle se déplaçait lentement, dépassa le chat robuste gris sombre, et murmura une phrase. D'une voix qui reflétait toute sa douleur.

"Il faut que je te parle."

Alors, assis dans la clairière, avec comme seule mélodie les accompagnant, le vent bruissant dans les feuilles vert sombre des arbres. Et elle commença son histoire. Leur histoire.

"Tu es notre frère. Je me souviens, Maman est restée avec toi et nous a laissés à sa sœur, notre Tante. Lorsque je t'ai revu, je t'ai reconnu. Mais j'étais la seule, alors j'ai préféré me taire. "

Une voix plate, sans émotions. Roc imagina le pire pour ses frères et sœurs. Enfin, il n'était pas certain que la femelle disait vrai, non pas qu'elle mentait, mais s'en souvenait-elle vraiment ? Ou n'était-ce que ce qu'elle voulait croire ? Givre finit par répondre, soupirant, aux questions du jeune mâle.

"Ils sont avec une chatte. Elle s'est proclamée Chef... Ils sont devenus Escogriffes. Sans foi ni loi. Je... Je ne les ai pas suivis."

Stupéfait, Roc resta sans bouger quelques instants. Avant de se relever, et s'approchant de Givre, il entoura ses épaules de sa queue, pour la réconforter. Ils restèrent ainsi toute la nuit, presque sans bouger, serrés l'un contre l'autre. Puis ils se couchèrent. Le doux pelage de sa sœur lui semblait piquant, lui éraflant le cœur. Roc n'avait jamais été aussi touché par une déclaration. Car il avait pensé, durant ces dernières lunes passées seul, qu'il aimait la femelle. Mais il ne pouvait pas...

Finalement, bercé par le doux ronron de la jeune chatte blanche, il finit par s'abandonner au sommeil à son tour, laissant le pays des rêves l'emporter au loin des terribles réalités de la vie. Mais au petit matin, alors qu'il dormait encore comme un chaton dans le giron de sa mère, Givre s'éveilla avant lui. Puis elle se leva, fit sa toilette. Elle resta, encore plusieurs minutes, comme attendant Roc, mais elle finit par se relever. Elle avait pris goût à sa solitude, et préférait ne compter que sur elle-même. Car ni Roc ni les autres n'étaient dignes de lui parler. Après tout, elle aussi avait commis l'irréparable... Plus encore que n'importe lequel d'entre eux.
Alors Givre s'en alla, laissant un Roc endormi, seul.


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