En dehors dans le blanc (ft. Séia)

Trop de flocons

La neige, encore et toujours. Dans un premier temps elle avait vêtue pour moi des airs de nouveautés et d’excitation, elle m’avait prodigué des heures de curiosité, j’avais adoré me rouler dedans et goûter à la saveur des étranges flocons blancs. Maintenant le coté silencieux qu’il provoquait commençait à me déranger. Je me sentais mal lorsque je circulais entre les chats et que seul le crissements des coussinets se faisait entendre.

Où étaient le chant des oiseaux, la gaieté des jours beaux, et les rayons des soleils qui autrefois avaient la place de ces lourds nuages gris ? Reviendraient ils un jour les nuages blancs dans le ciel bleu, et l’herbe verte qui nous colle aux poils, et les fleurs trop odorantes qui nous font éternuer ? Je commençais à désespérer et pourtant partout j’entendais dire que ce n’était que le début, que le début d’un hiver qui durerait encore des lunes. DES LUNES ! Moi qui n’en avais que quelques unes,  cela me semblait énorme, cela ne semblait jamais devoir arriver. D’ici là peut être deviendrais je novice.

Dans ce but, j’étais partie en exploration, un peu plus loin du lac peut être  que ce que je voulais. Je m’étais mis dans la tête que j’allais m’entraîner seule, pour impressioner les autres, et que je deviendrais la plus forte, mais ça, ce n’était pas nouveau. Je secouais régulièrement mes coussinets engourdis par le froid, trépignant sur place quand cela ne suffisait pas.

Finalement, je me demandais si je n’allais pas rejoindre le camp quand je me rendis compte en regardant autour de moi que j’étais vraiment allé beaucoup plus loin que je ne le pensais.  J’allais pouvoir m’y retrouver mais en tant que petite, je n’avais pas vraiment le droit d’être là. Il fallait que je me faufile dans l’enceinte du camp, mais ma discrétion n’était pas encore assez légendaire pour que cela marche.

J’allais cependant tenter le coup lorsque, en me retournant, je tombais nez à nez face à un autre chat. Ce devait être une femelle il me semblait, comme moi, mais bien plus âgée que moi. Sa belle fourrure noire tigrée de gris comportait quelques tâches blanches et elle avait de grands yeux bleus. Je me demandais quel âge elle avait, elle avait l’air d’une novice mais son assurance n’était pas celle dont on avait l’habitude chez les plus jeunes. En réalité il m’était totalement impossible de déterminer le nombre de lunes qu’elle pouvait bien avoir.

En tout cas, je risquais fort de me faire réprimander. J’étais un peu trop loin du camp, et qu’elle soit novice ou chasseuse, elle avait le droit d’être énervée contre moi. Je baissais la tête, adoptant une mine penaude et déconfite, priant pour qu’elle ne soit pas trop sévère avec moi. De toute façon, que pouvais je y faire à présent. J’espérais que cela ne compromettrais pas mes chances de trouver un bon mentor cependant.

Pardon.

J’avais murmuré, laissant échapper une bouffée de fumée blanche qui me fit légèrement éternuer. Elle n’avait dû voir que moi avec ma fourrure noire. Je n’étais vraiment pas la plus discrète en hiver. Je commençais à détester l’hiver, je le détesterais encore plus si c’était en hiver que se produisait ma première réprimande. J’en avais déjà eu quand j’étais plus petite, mais c’était pour des toutes petites bêtises. Qu’allait elle me dire, qu’allait elle me dire ? L’angoisse me nouait la gorge.

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Blanc. Tout était blanc à perte de vue. Les arbres, les brindilles et tout le reste. Les empreintes des chats, seul trace de leur passage disparaissaient en quelques instants, si bien que toute personne ne connaissant pas la forêt se serait perdu pour toujours dans ce labyrinthe blanc. Et puis, il y avait le silence. Ce silence pesant. Ce silence presque effrayant. Ce silence qui semblait plonger la forêt dans une transe. Pas un crissement de brindilles. Rien, vraiment rien. Le silence et le blanc. C'était tout ce qu'il y avait sous les arbres, ce jour-là.
Soudain, un crissement de brindilles retentit et un campagnol surgit dans la clairière. Un chatte lui sauta à la gorge et, d'un coup de crocs bien placé, le tua. Elle attrapa sa proie entre ses crocs aiguisés et repartit aussi vite qu'elle était venue. Et puis, elle pila net. Elle avait sentie l'odeur de sa Troupe. Elle s'approcha et découvrit une chatte noire avec de grands yeux verts qui fit volte-face à son approche.
- Pardon. Murmura la chatte noire.
La chatte qui avait parlé était petite et fine. Elle avait l'air d'une petite, ce qui expliquait le « pardon ». La chatte tricolore ne savait pas comment réagir. Devait-elle s'énerver, parce que la petite n'avait rien à faire là ou plutôt lui dire que ce n'était pas grave ? Elle n'en savait rien, ça c'était sa seule certitude. Elle finit par se décider de lui répondre par une question, ni agressive ni non plus trop sympathique :
Que fait-tu là, sous cette neige ? 

Trop de flocons

Elle ne cria pas, ne s'énerva pas, ne sembla pas non plus être trop gentille. Elle se contenta de poser une question, une simple question. Ce que je faisait là. Ce que je faisait là ? En voilà une question. Je ne faisais pas grand chose à vrai dire, et je n'avais moi même aucune réponse. Mais je me devait de répondre. Dire quelque chose, n'importe quoi, même la vérité si il le fallait. Elle ne se faisait pas gronder de toute façon. Elle ne risquait plus grand chose finalement. Si elle voulait se sortir de ce mauvais pas, il lui suffisait d'être respectueuse, et il n'y aurait pas de réprimande.

La chatte ne semblait pas méchante, elle ne semblait même pas savoir que faire face à ce chaton désobéissant. Alors finalement ce n'était peut être pas si grave que ça cette petite escapade, et cela ne gâcherait en rien mon avenir. Une bonne nouvelle cela !

Je m'entraînais à chasser.

J'avais relevé mes yeux verts vers elle, pleins de détermination. C'était vrai. Enfin presque. Je voulais m'entraîner, mais je n'en avais pas trouvé le temps, toute à mes pensées. Du coup je ne l'avais pas fait. Etait ce un mensonge ? Non peut être pas. Sans doute pas. Je n'espère pas. Parce que je ne veux pas lui mentir, je veux l'impressionner. Je veux qu'elle voit à quel point je suis déterminée à devenir la meilleure, et je veux qu'elle se dise que j'en ai dans le ventre.

C'est ridicule sans doute, parce que je n'en ai pas dans le ventre, et que tout ce que j'ai c'est de l'arrogance qui macère, et de la peur, et de la solitude, et que ça donne des trucs pas jolis à voir parfois, tellement je me sens si nulle et si seule à la fois, alors je veux devenir quelqu'un mais ça je le sais, je veux devenir quelqu'un parce qu'en devenant quelqu'un je ne serais plus vraiment moi. Et ce serait bien. Alors il faudrait que j'en ai dans le ventre.

Mais finalement, si les autres finissent par croire que j'en ai dans le ventre, ce sera tout comme si c'était vrai. Parce que même si c'est faux personne ne le sera. Et alors je trouverais un mentor, le ou la plus forte, et il ou elle m'apprendra tout de ses secrets, et ce sera à mon tour d'être la plus forte, et de devenir quelqu'un. Et d'être crainte. Et d'être respectée. Et d'être aimée. Et de réprimander les chatons qui se sont trop éloignés du camp. Ce sera à mon tour.

Alors je soutiens son regard, quoi qu'elle en pense, parce que même si j'ai peur à l'intérieur, et même si je tremble toute entière, si elle elle croit que je suis forte, ça suffira. Si elle elle croit que je suis la meilleure, ça suffira. Après tout cela fait bien longtemps que personne ne m'a adressé la parole, que personne ne s'est intéressé à moi. Elle m'a demandait ce que je faisais là, elle s'est donc ne serait ce qu'un peu intéressée à moi !

Je dois lui montrer qu'elle a eu raison, mais comment ? Je ne pourrais pas lui retourner la question, ça ce serait bien trop malpolis, je ne peux pas répondre ou être effrontée, ce serait prendre un trop grand risque. Alors je vais me contenter d'attendre, et espérer qu'elle se dira que je suis pas n'importe quelle petite, ou alors qu'elle passe son chemin, comme ils le font tous, parce que je suis juste Murmure dans l'Ombre et que personne ne me remarque, parce que je passe inaperçue quoique je fasse, parce que c'est un murmure trop bas pour que même moi je l'entende, parce que toute l'aigreur qui peut être contenue dans une petite comme moi, elle y est, mais chuchotée, esquissée, dans les coins d'ombre de mon cœur, là où j'ai mal de n'être rien.

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Et voilà, elle avait sa réponse. Maintenant, elle n'avait plus qu'à... Plus qu'à quoi, en fait ? Plus qu'à la gronder ? Plus qu'à la raccompagner au camp ? La petite avait dit qu'elle s'entrainait à chasser. Mais, est-ce que c'était vraiment vrai ? Après tout, elle faisait la même chose étant petite. Enfin, elle essayait... Parce qu'elle trouvait toujours une distraction. Un papillon à poursuivre, sauter sur son frère... La chasseuse s'était souvent fait prendre et personne ne l'avait jamais cru. Sûrement parce qu'elle même n'était pas sûr de ce qu'elle racontait. Mais, la petite en face d'elle semblait sûr d'elle. Elle avait relevé ses yeux émeraude qui luisait de détermination. La chasseuse s'est demandé si la petite en face d'elle pensait comme elle quand elle se faisait gronder. Qu'un jour peut-être se serait le contraire. Ce serait elle, celle qui poserait les questions et l'autre qui y répondrait. Et maintenant, elle y était, et peut-être qu'elle préfèrerait à nouveau être celle qui répond. C'était tellement plus simple de se contenter d'être respectueuse plutôt que d'être autoritaire. Mais, le fait est que là, en ce moment, c'était à elle de réprimander la petite chatte. Mais, après tout, était-elle obligé de la réprimander ? La jeune chatte se décida. Elle s'assit et demanda :
- Comment tu t'appelles ?
Elle avait prononcé ses mots d'un ton apaisant. Elle n'était pas hostile. Elle n'était pas du genre à gronder les petits. Alors, elle allait être elle-même sans chercher à être autre chose. Et peu importe que ce ne soit pas ce qu'il fallait faire face à un chaton parti en escapade. Peu importe que les autres se disent qu'elle aurait du réagir autrement. Peu importe ce qu'ils en penseraient. Elle serait ce qu'elle est, sans arborer des masques. Elle serait juste elle même, parce que c'était plus facile et que de toute façon, les autres pouvaient penser ce qu'ils voulaient, elle s'en fichait. Elle était elle, ils étaient eux. Pas de masques ni de faux-semblants. C'était elle qu'elle était pas quelqu'un d'autre. C'était tout ce qui comptait. 

Trop de flocons

Elle n'était clairement pas méchante, et son visage s'était radoucis. Jusque là elle avait semblé être en proie à un certains conflit intérieur mais c'était finis. Je soupirais de soulagement avant de me reprendre. Peut être n'était ce qu'une apparence ? Mais non, lorsqu'elle parla c'était pour me demander de la manière la plus apaisante qui soit comment je m'appelais. Cette fois mon corps tout entier se détendit. Quel soulagement ! Vraiment ! Je n'allais pas me faire gronder et mon avenir ne serait pas compromis !

Murmure dans l'Ombre !

Un instant j'hésitais. Pouvais-je me permettre de lui retourner la question ? Après tout, si l'on n'était plus dans une situation où je me devais de subir une réprimande, je n'avais peut être plus besoin de me comporter comme tel, peut être pouvais je tout simplement moi aussi me laisser aller à être qui j'étais, une petite boule noire et effrontée, parfois timide et souvent discrète, mais surtout inconsciente (peut être volontairement) de comment et de qui il fallait être.

Et toi, comment tu t'appelles ?

Un instant déconcertée par ma propre audace, j'eus envie de me reprendre, de retirer les mots qui étaient sortis de ma bouche … Mais après tout … Je ne pouvais plus le faire et tant qu'à me faire gronder, autant l'être pour quelque chose que je considérais comme étant vraiment grave et non pas pour une escapade innocente. Après tout, elle n'avait pas l'air méchante. Non, vraiment pas.

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