Hamish écoutant le Vent

Un cri. Un seul cri dans la nuit noire. Devant la Tanière, un mâle au beau pelage roux faisait les cents pas ; c’était le Flambeau de la Troupe Inondée. Tout le monde semblait attendre. Le temps était suspendu. Le camp retenait son souffle. Ils attendaient tous. Et puis soudain, en signe de victoire, un mâle sortit enfin. Mwese, car c’était le Flambeau, bondit et lança un regard interrogeateur.
— Deux mâles en bonne santé.
Ce n’était pas la première portée de Sillaluk et Mwese. Mais c’était toujours un grand moment d’émotion, une naissance. La femelle avait le pelage qui brillait d’argent sous la lune. Deux chatons étaient dans son giron, et tétaient. Le premier, celui qui était plus fort, avait un pelage immaculé. L’autre était bicolore, blanc et noir. Plus petit, il semblait aussi plus calme. Sillaluk désigna le premier né et murmura :
— Bamoto hurlant son Courage, et Hamish…
— Hamish écoutant le Vent ?
Ce n’était que le début. Ou plutôt tout avait déjà commencé lorsque la première portée de Sillaluk était née. Asha ensorcelant les Flammes et Iskio chantant pour le printemps, qui était mort quelques lunes auparavant. Un blaireau. Une stupide erreur à cause d’un ego un peu trop gros. Il était mort comme ça, en laissant des parents endeuillés. En laissant Asha seule. Jusqu’à ce jour où deux petits étaient nés… Qui pensait que cela raviverait la joie éteinte par une mort ?

Les premiers souvenirs, ce sont les odeurs enivrantes du lait, la chaleur et la douceur d’un nid. Et puis il y a le moment où l’on ouvre les yeux pour la première fois et où l’on découvre le monde qui nous entoure. On fait quelques pas, on miaule quelque chose d’encore incompréhensible et tous s’extasient devant le spectacle qu’offrent les chatons.
Hamish sortait du camp pour la première fois. Quelques jours à peine. Il y a d’autres chatons mais ils ne jouent pas avec Hamish et Bamoto, pas encore ; ils sont bien trop jeunes. Ils découvrent le camp. Ils découvrent les félins qui le peuple. Et soudain, c’est ce jour que tout commença pour Hamish réellement, une Mère s’approcha des deux jeunes et leur dit de sa voix douce :
— Regardez ce chat. C’est votre père, il est Flambeau de la Troupe. Un jour peut-être que vous suivrez ses traces.
Hamish ne comprenait pas. Être chef. Est-ce que cela était bien ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? De ses yeux de chatons il ne voyait pas encore le monde. Rien que son père. Il voulait lui ressembler. Tout le monde l’admirait. Bamoto était plus sûr de lui, plus fort déjà. Hamish savait, même s’il n’avait qu’une semaine, que ce ne serait jamais sa destinée.

Plusieurs lunes passèrent et Hamish ne jouait pas avec les autres. Souvent, il se postait dans un coin du camp et observait les autres. Il regardait les Novices. Et les Chasseurs. Il y avait là sa soeur, Asha. Il l’aimait beaucoup et il savait qu’elle aussi, elle l’aimait. Sillaluk surveillait son frère. Bamoto faisait des bêtises et Hamish, qui était plus calme, avait sans doute moins besoin d’attention. Ils jouaient pourtant ensemble, les deux frères. Mais cela restait rare et ils passaient peu de temps ensemble. Bamoto hurlait à qui voulait l’entendre qu’il deviendrait Meneur. Hamish ne contredisait pas. Plus frêle, il ne semblait même pas vouloir entrer dans la compétition.

Et puis sa soeur se fit moins présente pour lui. Ses parents avaient de l’espoir pour Bamoto, délaissant presque les deux autres.
Monde de trahison.
Monde où l’on ne se préoccupe que des plus forts. Les faibles doivent mourir.
Hamish ne voulait pas être faible.
Non. Il n’était pas faible. Jamais.

Un jour il décida de sortir du camp. Personne ne comprit pourquoi. En réalité c’était simple, il avait juste envie d’être seul. Il se fichait d’imiter son frère. Il se fichait d’attirer l’attention. Juste parfois, on ressent ce besoin de solitude totale. Mais personne ne pouvait comprendre cela.
Alors on le chercha des heures. Il n’était pas très loin. On l’avait cherché trop loin. Il avait fermé ses grands yeux ambrés, et avait laissé son coeur s’inonder de sentiments étrange. Il avait entendu. Les voix. Elles étaient partout.
“ Ne te laisse pas aveugler.”
“ Ton destin n’est pas celui que tu crois.”
Hamish eut un sursaut.
— Mais enfin qu’est-ce que tu fais ?!
— C’est le Vent, Maman. Il me parle.
Elle resta bouche bée. Kowei était apprentie Botaniste, il ne pouvait y en avoir deux. Elle devait parler à son compagnon, Mwese, et à leur meneuse, Ewilan. Hamish rentra au camp et dans ses yeux, il y avait cette lueur de feu qui ne disparaîtra plus. Une étrange lueur qui lui donnait l’air un peu plus fou qu’il ne l’était déjà. Botaniste ? Il avait déjà bientôt l’âge de devenir Novice. Encore quelques lunes de tranquillité à passer seul dans le camp, la nuit.
Deux petites lunes.
Impossible de devenir Botaniste. Il serait Chasseur.
Une petite lune.
Le temps passait plus vite. Les journées étaient plus longues mais les nuits, lorsque Hamish sortait, étaient plus courtes.
Un jour. Un jour il serait Chasseur, un jour il… Non. On ne peut pas savoir à l’avance.
Et tandis qu'il s'approchait du Promontoire pour le sacrement il entendit le voix chantante de l'Eau.

" Carpe Diem ou tu regretteras."