EVENT : les émissaires

Une patte après l’autre. Doucement, ne pas se presser. La lueur farouche dans son regard la poussait à demeurer droite, à ne pas faiblir, malgré la douleur qui la faisait frémir. Elle mettait une patte en avant puis une autre, elle avançait. Les escogriffes avaient été découverts. Ils gardaient prisonniers les chats enlevés. Oui, ils les gardaient prisonniers et elle, elle n’attendrait certainement pas les Clans pour agir, parce que ça n’en valait pas la peine, il y avait là les enfants de son amie, de son ancienne amie, enfin une des enfants de celle-ci, elle devait agir. Elle le devait pour Plume d’Ombre. Lyrielle était sorti de la tanière après elle. Il suivit son rythme et la meneuse essayait d’aller le plus rapidement possible, son regard tout de même brillant, brillant de larmes, de joie, de sentiments contradictoires, mais surtout de détermination. Sa démarche était légèrement vacillante et l’inquiétude se reflétait dans le regard de certains chasseurs qui ne comprenaient pas ce qui émanait de la féline au pelage noir strié de blessures plus ou moins cicatrisées. Elle n’appuyait pas sur sa patte avant droite, elle ne pouvait pas le faire. Silencieusement, elle remerciait Nuage de Poussière qui lui avait permis de la garder en guérissant la peau complètement déchirée. Aucun guérisseur n’aurait pu souder cette peau, mais Nuage de Poussière lui devait quelque chose, qu’il avait dit. Il lui devait la vie de Nuage de Cicatrice et le peu d’espoir qui restait en cette féline au pelage nuancé.

La meneuse sauta légèrement sur une des branches basses du promontoire de fortune. Tout était de fortune ici. Sans sa patte avant droite, elle manqua de tomber, mais au prix d’un ultime effort, elle parvint à se stabiliser. Elle regardait les chats qui, intrigués et à la fois inquiets, s’arrêtaient. Elle respirait doucement, tentant de faire que cette respiration ne lui fasse pas de mal, parce que ce n’était pas agréable de souffrir en respirant, mais ça lui arrivait depuis cette bataille parce qu’elle avait été gravement touchée. C’était une meneuse. Elle avait été la cible de beaucoup d’attaques. Elle le cautionnait. Elle avait protégé sa fille, elle pouvait tout encaisser, elle pouvait tout cautionner. Sa fille vivait. Sa fille n’avait pas été touchée. Volcan pouvait endurer ne pas pouvoir appuyer sur sa patte avant droite, elle pouvait endurer souffrir à chaque pas, chaque mouvement, parce que sa fille était intacte, et nul n’avait eu la possibilité de lui toucher. Petite Aurore allait bien aussi, juste traumatisée, et c’était normal. Le cri de ralliement retentit, et les chats vinrent, parce que c’était important, et que l’heure était grave. C’était leur dernière chance, et aucun droit à l’erreur.

Les Clans allaient accepté. Elle le savait. Étoile Sanglante semblait tenir plus que tout à retrouver les membres disparus, Jaspe Sanguin également et elle connaissait suffisamment la Rivière pour savoir qu’eux aussi. Étoile de la Mélopée était d’accord avec les deux Troupes. Ils savaient maintenant ce qui était à faire, alors ils devaient parler, ils avaient décidé. Lyrielle était un meneur qu’elle respectait parfaitement. Puissant, déterminé, mais ne semblait pas se lancer dans une bataille sans savoir s’il avait raison de le faire. Il se défendait lorsque la situation demandait à ce qu’il se défende, il était loyal, et elle n’avait pas de difficulté à penser qu’il remplaçait parfaitement bien l’ancien meneur dont elle avait bien entendu parler à son arrivée, Eléa chantant la Brume. Elle demeurait droite sur la branche et attendait simplement. Elle ne serait pas la première à parler, non, elle ne voulait pas être la première à parler et puis, ça n’importait pas, parce qu’ils avaient décidé que c’était Lyrielle qui parlait le premier, alors elle attendait simplement qu’il juge le moment opportun.

Ce qu’il fit assez rapidement. Il exposa la situation. Il l’exposa d’une manière assez simple, mais il était évident que tous savaient que la situation n’était pas aussi simple que cela et qu’elle ne le serait même jamais. Ce n’était pas grave. Actuellement, il ne fallait pas s’embarrasser de paroles superflues, parce qu’ils n’avaient pas beaucoup de temps pour cela. Elle les regarda tous, qui les observaient. Volcan attendait que la bataille finale ait lieu, parce qu’il était évident qu’il y aurait une bataille finale. En fait, non. Elle irait. Mais pas maintenant, elle attendait que les émissaires soient envoyés et que plus personne ne lui prête de l’attention. Parce qu’on tenterait évidemment de l’en empêcher. Elle ne voulait pas qu’on l’empêche de partir, elle savait bien les risques qu’elle prenait, mais la meneuse ne voulait pas attendre, elle ne désirait pas attendre alors elle irait… oui, sa décision était prise et nul ne pouvait la faire changer d’avis. Elle s’étira, grimaça brièvement sous la douleur physique et reporta son regard fier et vague dans cette foule de félin silencieuse qui attendait que Lyrielle poursuive. L’assemblée attendait. Tout le monde attendait. La vie n’était-elle finalement que de l’attente ? Elle le refusait. La féline blessée renverserait les conventions de cette vie et refuserait d’attendre. Lyrielle poursuivit en énonçant l’émissaire puis se tut, attendant qu’elle annonce à son tour son choix à elle. La meneuse frémit. Encore de l’attente ! Mais arrêtez donc tous d’attendre ainsi comme des lâches et agissez ! La flamme de rage et de colère grandit dans son regard pour l’embraser et le rendre perçant. Mais elle ne dura pas et l’apaisement survint. Un apaisement qui ressemblait plutôt à une apathie soudaine. Sans détermination, sans fierté, sans rien.

« Elbion chassant le Mal accompagnera Ata. Que les étoiles vous guident. »

Volcan avait adopté un ton non pas froid, juste dénué de chaleur, légèrement connoté. On aurait pu croire qu’elle espérait, mais son esprit semblait tout juste se détacher de la situation et le sort des autres ne la concernait actuellement plus.

La guerre est terminé. Le Clan de l’Ombre et les Troupes ont vaincu. Sans trop de blessés. Heureusement. La bataille a été acharnée, nous nous sommes battu férocement. Même ma mère, dont j’ai reconnu la part de Volcan Ardent restante à l’intérieur d’elle. J’étais fière. Fière d’elle. Mais j’avais peur. J’avais peur, parce qu’on avait gagné. Un jour, les Troupes devront retourner chez eux, et ça devait être très loin, pour ne pas avoir flairer leurs traces durant tout ce temps. Qui sait depuis combien de temps ils vivaient là-bas. Mais bien sûr, Miss Volcan, et non Volcan Ardent, oh que non, préférerais d’autant plus rester avec sa fausse famille qu’avec moi et Petite Aurore, sa vraie famille. Sa vraie ! Et non quelque chose soudée par des valeurs qu’il est possible de transgresser en deux secondes ! Non mais, il fallait être stupide ! Moi, j’aurais rejoins ma mère, si c’était moi qui étais à sa place. Enfin, bref… Je n’y pouvais rien. Je ne pouvais que lui en vouloir, mais je ne pourrais pas lui faire changer d’avis. Parce que c’était ma mère. Et que je la connaissais. Il n’y avait pas grand chose qui la faisait changer d’avis. Je le savais. Elle était comme moi. J’avais très probablement retenu d’elle, cela dit.

Je me secouai la tête devant la bouille interrogative de ma chatonne. Je l’aimais tellement. Oh que je l’aimais. Elle était tellement parfaite. Affectueuse, douce, attentive. Je n’aurais pas pu rêver d’une meilleure fille. Non. Je souris légèrement et lui donnai une petite léchouille sur le front. Roulées en boule, proche des autres reines du Clan de l’Ombre, nous étions bien au chaud. Dans l’endroit où nous étions, il y avait une chatonne qui semblait beaucoup plus vieille, au moins apprentie. Alors que faisait-elle là ? J’étais sceptique. Par contre, elle agissait davantage en petite qu’en apprentie. J’entendais à l’occasion des “mamâ Ancre” qui me faisaient douter de son âge. Bon, ce n’était pas si important, au final.

Des pas, au loin. Je levai la tête. C’était Volcan explosant sous les Braises. Enfin, ma mère. Elle sortit, puis Lyrielle, oui j’avais réussis à me rappeler de son nom. Lyrielle courant au Vent, meneur de la Troupe Embrumée. Aussitôt, je fus intéressée. Je fis signe à Petite Aurore d’approcher. Je voulais tout entendre, être au courant de tout. Je m’assis, ma petite également, en face de moi. C’était amusant de la voir essayer de faire ce que les autres s’approchant faisaient. Ma chère petite, tu n’es pas obligée de grandir trop vite. Lyrielle parla le premier, apparemment ils avaient trouvé les prisonniers. Réellement ? Oh. C’était une bonne nouvelle. Une très bonne nouvelle. Mais il fallait aller voir les Clans. Leur parler. Pour qu’ils nous aident à éliminer ce qu’il appelaient les escogriffes, parce que Lyrielle et Volcan disaient qu’ils étaient nombreux. Lyrielle nomma une chatte qui s’appelait Ata, et ma mère, Elbion. Mais il y avait deux troupes. Donc deux émissaires. Et il y avait trois Clans. Donc un émissaire manquant. Je n'eus même pas besoin de réfléchir que je m’avançai légèrement. Enfin une occasion de rendre ma mère fière de moi, pour qu’elle décide de rester. Enfin.

- Je suis de la partie. J’irai voir le Clan manquant.

La colère était là. Le désespoir était là. L'injustice résonnait douloureusement à mes oreilles. Oui. Une injustice. Nous faire attaquer injustement par les clans. Sur une fausse idée. Pour une simple piste. Ils se sont jetés tête baissé là-dessus. Nous aurions dû savoir que les escogriffes étaient les seuls capables de manigancer tout ça. Ah, ils nous ont bien eu. Ils ont dû se délecter de nous voir nous entre-tuer. Ils ont dû se délecter de voir les clans s'entre-déchirer avant qu'ils ne s'attaquent à nous. Ils ont dû se délecter de voir tout ce sang se répandre. Eux, qui attendaient tranquillement dans leur coin, avec tous les disparus. Personne ne les soupçonnait. Personne ne les savait ici. Ils avaient la vie belle. Mais il y a toujours un moment où ils font une erreur. Cette dernière bataille a été la leur. Leurs traces ont été surprises. Leur mascarade a été mise à jour. Désormais, c'était la fin pour eux. Ils ne faut pas vexer autant de chats. Ils vont comprendre ce qu'il arrive lorsqu'on s'en prend à nous.

Nous allons nous allier. Nous convaincrons les clans. Nous formerons un gigantesque groupe. Clans et troupes ensemble. Nous déferlerons sur eux. Ils ne comprendront rien à ce qu'il se passe. Pour tout crime, il y a un prix à payer. Il est temps qu'ils payent le leur. Mais d'abord, il faut prévenir les clans. D'abord, il faut envoyer des émissaires dans chaque clan. C'est pourquoi, troupes et Clan de l'Ombre se retrouvent tous ensemble, assemblés, pour savoir qui ira voir les trois autres clans. Je sais que j'irais. Je suis certainement un des plus diplomates de la troupe. De plus, je sais quoi dire. Je saurais leur expliquer et les rallier à notre cause. Après tout, c'est également la leur.

Lyrielle introduit alors ce que nous savons tous. Il annonce officiellement à tout le monde le fait que les escogriffes sont là. Il annonce leur sentence. Ce n'est peut-être pas très long, mais nous n'avons pas le temps de nous éparpiller. Ce n'est pas long, mais c'est juste. La justesse est plus importante. Ata, de la troupe Embrumée, ira voir le Clan de la Rivière. Bien. Je regarde en direction de l'intéressée pour voir qui elle était. Bien évidemment, Volcan ajoute que je l'accompagne. Deux émissaires pour trois clans... Il faut faire vite. Nous avons expliqué au Clan de l'Ombre qui étaient les Escogriffes. Si l'un d'eux venait aussi, cela serait pratique.

Une des guerrières s'avance justement pour être la troisième émissaire. Étrange. N'est-ce pas un regard vers Volcan que je viens de surprendre? Derrière cette proposition se cache quelque chose de bien différent, on dirait. Je sais qu'il me manque quelques informations pour savoir. Mais, visiblement, les troupes et le Clan de l'Ombre se connaissent bien désormais et partagent des liens. Nous ne devrons pas les oublier. En souvenir de ce que nous avons vécu ensemble. Je me lève, droit, la tête haute. Il est temps de partir. J'ai un message à porter et des alliés à ramener.

S'en était trop. J'en avais marre de voir tout mes camardes se faire massacrer. Ils se faisaient blesser voir même tuer. Et tout ça pour quoi ? Et bien je vais vous le dire. Pour rien ! Les clans nous ont attaqué pour rien ! Les vrais responsables sont encore tapis dans l'ombre. Si seulement nous l'avions compris plus tôt. Cela aurait évité la bataille que nous venions de mener. Les kidnappeurs ont fait exprès d'enlever certain des nôtres. Ils voulaient nous voir souffrir pendant nos recherche. Ils voulaient nous voir mourir ! Tout autant que nous sommes. Mais maintenant, c'est fini, bientôt, ils n'existeront plus. Nous les auront rayé de la surface de la terre et ils ne seront plus qu'une vieille histoire racontée par les anciens. Ils vont amèrement regretter leur geste. Ils vont payer pour ça.

Je regarde Lyrielle sortir de son repère en compagnie de Volcan, la meneuse de la Troupe Inondée. Cette dernière a l'air d'avoir bien souffert durant la bataille. Elle s'est battue comme une vraie meneuse. Ils s'assoient chacun sur une branche de l'arbre qui nous sert de promontoire. J'écoute son annonce. Apparemment, ce serait les escogriffes qui retiendraient nos amis prisonnier. Ils n'ont vraiment aucun cœur ! Ce n'est qu'une bande de stupide boule de poil prêt à tout pour nous faire souffrir. Mais ce sera bientôt fini. Nos meneurs ont décidé d'envoyer un membre de leur troupe prévenir les trois clans et les rallier à notre cause. Lyrielle annonça son choix... moi. Je fus très surprise. Je pensai d'abord qu'il avait dû faire une erreur. Mais il me regarda, confiant. Je me grandis tellement j'étais fière. Fière de pouvoir représenter ma troupe. Fière de la confiance que Lyrielle avait en moi.

Volcan annonça elle aussi son choix. Elle désigna Elbion chassant le Mal. C'était son Flambeau. Je me tournai vers lui et lui adressa un signe de tête respectueux. Je me rendrais donc au qui a la rivière comme territoire. Mais je réfléchie un instant. Nos meneurs avaient désigné deux émissaires alors qu'il y a trois clan. L'un de nous deux devra se rendre dans deux clans différent. Je me retournai en entendant une voie derrière moi. C'était une guerrière du clan de l'Ombre. Elle se proposait pour aller voir le dernier clan. J'admirai son courage. Risquer d'aller voir des chats qui l'ont eux-mêmes chassé de son propre territoire. Si les meneurs étaient d'accord, nous serions au complet. Je me concentrai sur ma tâche. Je devrais me rendre dans le "clan" de la Rivière et les persuader de se rallier à notre cause. Je suis sûre de pouvoir le faire. Je réussirais à les convaincre. Pour le bien de ma troupe et de tous les autres chats qui souffrent. J'en fais le serment.