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Mar 24 Mai 2016 - 7:40
Obsidian
Naissance
Bien sûr que je ne me rappelle pas. Tu vas te dire que toi non plus, tu ne peux pas te souvenir de ta naissance. Et pourtant il faut bien en parler, puisque tout le monde arrive de là. Alors j’en parlerai, comme si c’était quelque chose de normal. Déjà, il faut savoir que mes parents se sont aimés un soir, comme on peut aimer quelqu’un, sans lendemain. C’est ce qu’on pense, qu’il n’y a pas de lendemain, et après tout, il n’y a un lendemain que lorsqu’on ouvre les yeux à côté de cette femelle qu’on a charmé la veille. À partir de là, le mâle peut choisir de rester, ou de partir. Ou il peut ne pas choisir. Et la femelle peut choisir. Tu te diras, sans doute, que c’est le mâle qui laisse la femelle un matin.
Mais laisse moi te dire la vérité. Ils se sont aimés, mes parents. Ils se sont aimés quelques jours, quelques lunes même. Pas assez pour vivre une vie, néanmoins. Alors je suis né, avec des frères et des soeurs. Tu te doutes qu’il y a eu du sang, des cris, cette nuit-là. Il y avait même le mâle, celui qui est sans aucun doute mon père, qui est resté. Il tournait autour de ce qu’on appellera le panier. Moi je n’existais pas, pas encore. J’étais déjà là pourtant, sans être doté d’une conscience fonctionnelle. J’étais prêt à sortir, et je suis sorti le premier. Je pense que je ne vais pas raconter une mise bas. Parce que ce n’est aucunement intéressant, et que toi, tu t’en fiches pas mal aussi, pas vrai ? Je peux te dire que je n’ai pas entendu. Je n’ai pas entendu les cris de ma mère, ceux des Bipèdes, à côté, les petits bruits de la maison. Je n’ai pas vu non plus, ni ma mère, ni même aucune lumière à travers mes yeux clos. Un chaton naît aveugle et sourd, tout simplement. Il termine de se construire hors du ventre de sa mère. Intéressant, non ?
Ainsi, il y a eu moi en premier. C’était le soir. Quinze minutes plus tard, et pour les chats qui n’ont pas de notion du temps, comptez jusqu’à neuf cents pour quinze minutes. Ainsi, chaque quinze minutes, un chaton naissait. Moi, j’étais déjà né, j’étais déjà dans ce monde, et j’aimerais dire que je regrettais déjà d’être né chat domestique, d’être né ici, mais ce n’est pas le cas. J’ai regretté lorsque j’ai été suffisamment grand pour qu’on puisse regretter, en réalité, et ce serait faux de dire autre chose.
J’avais donc un frère et deux soeurs. Deux femelles, et deux mâles. Et tu sais quoi ? Non ? Mon père est blanc. Ma mère est noire. Je suis le premier, noir et blanc, tacheté, ainsi que tu m’as vu tout à l’heure. Mon frère, né juste après moi, est noir avec des taches noires. Un chat bicolore, voilà. Ma soeur, elle, n’a qu’un peu de noir. L’oreille, le flanc, la queue, le bout d’une patte. C’est tout. Et la dernière est toute blanche. Un peu comme si cela s’épuisait, comme s’il n’y avait pas eu assez d’encre pour fabriquer quatre chatons de ces deux nuances.
Ceci sera ma première nuit, et je vis. Trois autres vivent à côté de moi. C’est ainsi que mon père a dû partir, au matin le lendemain. Peut-être qu’il a été tué. Il est préférable de penser ça plutôt qu’il nous a abandonnés. Mais il faut dire la vérité. S’il nous a abandonnés, alors je le dirai. J’arrêterai de rêver d’un père parfait, et je me concentrerai sur cette histoire qui conte mon passé. Même si je suis certain que tu ne désires pas l’entendre.
Mais laisse moi te dire la vérité. Ils se sont aimés, mes parents. Ils se sont aimés quelques jours, quelques lunes même. Pas assez pour vivre une vie, néanmoins. Alors je suis né, avec des frères et des soeurs. Tu te doutes qu’il y a eu du sang, des cris, cette nuit-là. Il y avait même le mâle, celui qui est sans aucun doute mon père, qui est resté. Il tournait autour de ce qu’on appellera le panier. Moi je n’existais pas, pas encore. J’étais déjà là pourtant, sans être doté d’une conscience fonctionnelle. J’étais prêt à sortir, et je suis sorti le premier. Je pense que je ne vais pas raconter une mise bas. Parce que ce n’est aucunement intéressant, et que toi, tu t’en fiches pas mal aussi, pas vrai ? Je peux te dire que je n’ai pas entendu. Je n’ai pas entendu les cris de ma mère, ceux des Bipèdes, à côté, les petits bruits de la maison. Je n’ai pas vu non plus, ni ma mère, ni même aucune lumière à travers mes yeux clos. Un chaton naît aveugle et sourd, tout simplement. Il termine de se construire hors du ventre de sa mère. Intéressant, non ?
Ainsi, il y a eu moi en premier. C’était le soir. Quinze minutes plus tard, et pour les chats qui n’ont pas de notion du temps, comptez jusqu’à neuf cents pour quinze minutes. Ainsi, chaque quinze minutes, un chaton naissait. Moi, j’étais déjà né, j’étais déjà dans ce monde, et j’aimerais dire que je regrettais déjà d’être né chat domestique, d’être né ici, mais ce n’est pas le cas. J’ai regretté lorsque j’ai été suffisamment grand pour qu’on puisse regretter, en réalité, et ce serait faux de dire autre chose.
J’avais donc un frère et deux soeurs. Deux femelles, et deux mâles. Et tu sais quoi ? Non ? Mon père est blanc. Ma mère est noire. Je suis le premier, noir et blanc, tacheté, ainsi que tu m’as vu tout à l’heure. Mon frère, né juste après moi, est noir avec des taches noires. Un chat bicolore, voilà. Ma soeur, elle, n’a qu’un peu de noir. L’oreille, le flanc, la queue, le bout d’une patte. C’est tout. Et la dernière est toute blanche. Un peu comme si cela s’épuisait, comme s’il n’y avait pas eu assez d’encre pour fabriquer quatre chatons de ces deux nuances.
Ceci sera ma première nuit, et je vis. Trois autres vivent à côté de moi. C’est ainsi que mon père a dû partir, au matin le lendemain. Peut-être qu’il a été tué. Il est préférable de penser ça plutôt qu’il nous a abandonnés. Mais il faut dire la vérité. S’il nous a abandonnés, alors je le dirai. J’arrêterai de rêver d’un père parfait, et je me concentrerai sur cette histoire qui conte mon passé. Même si je suis certain que tu ne désires pas l’entendre.
1ère lune
Je dois avouer qu’il y a toute cette période dont je ne me souviens pas. Mes quelques premières lunes sont du vide plus ou moins vide. Pourtant je peux affirmer que j’ai ouvert les yeux, dans cette tanière, ou plutôt ce que l’on appelle familièrement ici, ma baraque. Celle où ma mère vivait, parce qu’il faut bien vivre quelque part, tout simplement, et qu’elle n’a pas choisi. J’ai donc ouvert mes yeux qui étaient bleus, et j’étais le premier à ouvrir les yeux, comme j’ai été le premier à avoir marché. Et je dois bien te le dire, j’ai été le premier à faire de nombreuses choses, et je suis bien le dernier à reconnaître mes erreurs de jeunesse. Il faudra pourtant en parler, un peu plus tard. D’abord il y a eu la période la plus calme de mon existence. La plus belle période. Étrangement, c’est aussi cette période dont je ne me souviens plus. C’est bien triste, te dis-tu. Mais je te répondrai qu’il ne faut pas vivre dans les regrets du passé, sinon je me serais noyé voilà bien longtemps.
J’ai sans aucun doute joué avec les autres chatons de la portée, qu’à cette époque, je considérais comme inférieurs. Les Bipèdes qui vivaient dans cette maison, un jeune homme et sa compagne, n’avaient d’yeux que pour moi. Moi, je ne voyais le monde qu’à travers mes petits yeux de chaton. Aussi, je ne comprenais pas pourquoi chaque fois qu’un ami à eux venait, il s’extasiait sur moi comme on peut s’extasier sur un objet de collection. J’étais au centre de l’attention et cela flattait mon ego, moi qui étais devenu le mâle de la famille. Je découvrais lentement, peu à peu, le monde qui m’entourait. Et cela me plaisait, de faire comme les grands, de jouer avec mes frères.
C’est aussi là que j’ai eu mon nom. Mon premier nom, celui dont je me souviendrai, qui restera accroché à moi tel un fantôme du passé.
La plus jeune soeur se nomme Milly. La deuxième, Lily.
Mon frère Michael, et moi, Shayne.
Shayne, c’est le nom où je me reconnaissais. Ma mère a laissé des Bipèdes choisir mon nom. Aujourd’hui, je lui en veux. Tout simplement parce que j’aurais préféré qu’elle m’aime assez pour choisir mon nom elle-même. Elle les a laissés faire et moi, je m’en fichais, lorsque j’avais une lune. J’avais un nom, on m’appelait, on me dorlotait. Je suis un bâtard, c’est bien vrai, mais on m’aimait ailleurs. Notre mère ne s’est jamais remise entièrement de l’accouchement. Elle était un peu âgée, et puis… La disparition du mâle qu’elle aimait, ça l’a affectée. J’ai donc grandi sans aucun cadre. Il n’y avait aucune règle. Je faisais tout ce que je voulais et on me pardonnait à moi, le chaton si mignon au pelage si différent. Si seulement il suffisait d’être différent pour qu’on m’aime.
J’ai sans aucun doute joué avec les autres chatons de la portée, qu’à cette époque, je considérais comme inférieurs. Les Bipèdes qui vivaient dans cette maison, un jeune homme et sa compagne, n’avaient d’yeux que pour moi. Moi, je ne voyais le monde qu’à travers mes petits yeux de chaton. Aussi, je ne comprenais pas pourquoi chaque fois qu’un ami à eux venait, il s’extasiait sur moi comme on peut s’extasier sur un objet de collection. J’étais au centre de l’attention et cela flattait mon ego, moi qui étais devenu le mâle de la famille. Je découvrais lentement, peu à peu, le monde qui m’entourait. Et cela me plaisait, de faire comme les grands, de jouer avec mes frères.
C’est aussi là que j’ai eu mon nom. Mon premier nom, celui dont je me souviendrai, qui restera accroché à moi tel un fantôme du passé.
La plus jeune soeur se nomme Milly. La deuxième, Lily.
Mon frère Michael, et moi, Shayne.
Shayne, c’est le nom où je me reconnaissais. Ma mère a laissé des Bipèdes choisir mon nom. Aujourd’hui, je lui en veux. Tout simplement parce que j’aurais préféré qu’elle m’aime assez pour choisir mon nom elle-même. Elle les a laissés faire et moi, je m’en fichais, lorsque j’avais une lune. J’avais un nom, on m’appelait, on me dorlotait. Je suis un bâtard, c’est bien vrai, mais on m’aimait ailleurs. Notre mère ne s’est jamais remise entièrement de l’accouchement. Elle était un peu âgée, et puis… La disparition du mâle qu’elle aimait, ça l’a affectée. J’ai donc grandi sans aucun cadre. Il n’y avait aucune règle. Je faisais tout ce que je voulais et on me pardonnait à moi, le chaton si mignon au pelage si différent. Si seulement il suffisait d’être différent pour qu’on m’aime.
2ème lune
Autant dire qu’il n’y a eu aucun changement dans mes trois premières lunes. J’ai seulement commencé à manger des aliments plus solides. Les Bipèdes me donnaient du lait dans un bol, et même, vers la fin, une sorte de pâtée. Enfin, je ne vais pas m’attarder là-dessus. Toi, ce que tu veux, ce que tu es impatient de connaître, c’est la suite. Le moment où j’ai tout à fait dérapé et sombré dans un cercle vicieux, sans fin, d’où il m’a été impossible de m’enfuir. Pas vrai ? Je savais que je ne me trompais pas.
En réalité, c’est bien de là que tout a commencé. Je me bagarrais sans cesse avec Michael, et parfois avec Lily. Presque jamais avec Milly, et je ne sais pas pourquoi. Elle s’en allait, elle se mettait devant la porte.
“Tu fais quoi ?
— Je veux sortir.
— Pour aller où ?
— Nulle part.”
Mes poils se hérissaient parce que je ne voulais pas qu’elle soit la première à faire quelque chose. Mais bien sûr elle n’est jamais sortie. Jamais la première.
Il y a eu, donc, ma première sortie dans le jardin. Je me suis glissé dehors, sans que personne ne le remarque, et c’est Michael qui m’a vu. Il n’a rien dit, il m’a regardé, et je lui ai été reconnaissant de son silence. Je suis rentré, épuisé. Mais je te le dis, ça valait le coup. Parce que c’était ma première bêtise. On peut se dire que ce n’est pas vraiment une bêtise, juste une envie de sortir. J’ai aimé le dehors, l’herbe, le vent froid, l’odeur des fleurs. Et je me sentais tout puissant. J’étais sorti sans qu’on s’en rende compte. J’étais sorti, tout simplement.
En réalité, c’est bien de là que tout a commencé. Je me bagarrais sans cesse avec Michael, et parfois avec Lily. Presque jamais avec Milly, et je ne sais pas pourquoi. Elle s’en allait, elle se mettait devant la porte.
“Tu fais quoi ?
— Je veux sortir.
— Pour aller où ?
— Nulle part.”
Mes poils se hérissaient parce que je ne voulais pas qu’elle soit la première à faire quelque chose. Mais bien sûr elle n’est jamais sortie. Jamais la première.
Il y a eu, donc, ma première sortie dans le jardin. Je me suis glissé dehors, sans que personne ne le remarque, et c’est Michael qui m’a vu. Il n’a rien dit, il m’a regardé, et je lui ai été reconnaissant de son silence. Je suis rentré, épuisé. Mais je te le dis, ça valait le coup. Parce que c’était ma première bêtise. On peut se dire que ce n’est pas vraiment une bêtise, juste une envie de sortir. J’ai aimé le dehors, l’herbe, le vent froid, l’odeur des fleurs. Et je me sentais tout puissant. J’étais sorti sans qu’on s’en rende compte. J’étais sorti, tout simplement.
3ème lune
C’est là que tout a réellement changé pour moi. Vers la fin de la troisième lune, j’étais sevré. Comme les autres. J’étais plus gros et mon pelage arborait ces taches particulières qui font mon désespoir aujourd’hui. Et j’étais donc prêt à être vendu comme un… Je ne sais pas. Un simple objet de Bipède. C’est ça, les animaux pour eux. Ils ne se doutent même pas qu’on a une conscience. Je me souviens que j’étais un chaton assez sensible à cette période. Je venais de découvrir les sentiments, les puissances du coeur, et tout ça. Toi aussi, tu te rappelles peut-être de la première fois où tu t’es dit que tu n’aimais pas ce jouet comme tu aimes ton frère, et que une part de toi déteste tes frères et soeurs lorsqu’ils passent du temps avec ta mère, sans toi. C’est tout ça qui fait que lorsqu’on est venu, pour nous voir, moi qui étais si ignorant, je n’ai rien vu venir.
Ils se sont extasiés sur moi comme n’importe qui et ils parlaient cette langue que je ne peux comprendre. Ils m’ont vu, ils n’ont vu que moi. Les autres leur importaient peu. Un des types m’a voulu tout de suite. Il était assez âgé, et ma mère est venue me voir pour me dire adieu.
“Tu sais Shayne, les chatons d’une portée sont séparés pour vivre ailleurs. Mais tu reviendras.”
Elle m’a léché le haut du crâne et je l’ai laissé faire. Et on m’a embarqué. J’ai tenté de me défendre, de leur échapper. Ils m’ont mis dans une boîte, comme on met en boîte des conserves. À partir de là ma mentalité a changé totalement. Je n’étais qu’un chaton. Sans personnalité, qui observait les autres. Toi aussi, tu as été comme ça. Parce qu’un chaton, ça copie les autres. Tous les bébés, ça prend exemple sur les plus grands, les modèles.
Et moi j’ai trouvé ma voie.
Ils se sont extasiés sur moi comme n’importe qui et ils parlaient cette langue que je ne peux comprendre. Ils m’ont vu, ils n’ont vu que moi. Les autres leur importaient peu. Un des types m’a voulu tout de suite. Il était assez âgé, et ma mère est venue me voir pour me dire adieu.
“Tu sais Shayne, les chatons d’une portée sont séparés pour vivre ailleurs. Mais tu reviendras.”
Elle m’a léché le haut du crâne et je l’ai laissé faire. Et on m’a embarqué. J’ai tenté de me défendre, de leur échapper. Ils m’ont mis dans une boîte, comme on met en boîte des conserves. À partir de là ma mentalité a changé totalement. Je n’étais qu’un chaton. Sans personnalité, qui observait les autres. Toi aussi, tu as été comme ça. Parce qu’un chaton, ça copie les autres. Tous les bébés, ça prend exemple sur les plus grands, les modèles.
Et moi j’ai trouvé ma voie.
4ème lune
Je suis devenu fou, peu à peu. Ils me gardaient enfermé. Ils me laissaient sans manger plusieurs jours et je me sentais mourir peu à peu. J’ai appelé à l’aide, j’ai prié tout ce qu’il est possible de prier. Personne n’est venu à mon secours, mais tu t’en doutais pas vrai ? Toi aussi tu as peut-être espéré, prié, pleuré. Et personne n’est jamais venu non plus, pas vrai ? Tu veux savoir pourquoi ? Parce qu’on est seul. Toujours. Je ne compte plus sur personne maintenant, parce que j’ai appris à me débrouiller, à m’en sortir seul. Je hais le monde.
J’ai failli crever combien de fois, seul, là-bas ? Je me suis maudit de ne pas avoir un simple pelage bicolore, noir, blanc, ou même vert ! Je ne savais pas pourquoi la génétique m’en voulait autant. Je me suis demandé si je tenais de mon père, mais j’ai appris plus tard que non. Je suis juste unique, et j’ai souhaité si fort ne plus l’être. Mais tu sais, on peut espérer aussi fort qu’il est possible d’espérer, ça ne pourra rien changer. Alors je miaulais, pour sortir, et on me frappait. Alors je miaulais plus fort encore pour sortir et tu vois, ce cercle vicieux ? J’en étais prisonnier.
Je n’avais alors que quatre lunes. Quatre lunes de bonheur, de joie dans une maison paisible où on m’admirait.
“Laissez-moi ! Je veux sortir !”
Et un nouveau coup de pied, une nouvelle nuit sans nourriture. L’enfer, je sais pas si tu connais ? On dit souvent que c’est après la mort, pour ceux qui ont péché.
Non, l’enfer, le paradis, c’est une image de la vie. Pas celle de la mort.
J’ai failli crever combien de fois, seul, là-bas ? Je me suis maudit de ne pas avoir un simple pelage bicolore, noir, blanc, ou même vert ! Je ne savais pas pourquoi la génétique m’en voulait autant. Je me suis demandé si je tenais de mon père, mais j’ai appris plus tard que non. Je suis juste unique, et j’ai souhaité si fort ne plus l’être. Mais tu sais, on peut espérer aussi fort qu’il est possible d’espérer, ça ne pourra rien changer. Alors je miaulais, pour sortir, et on me frappait. Alors je miaulais plus fort encore pour sortir et tu vois, ce cercle vicieux ? J’en étais prisonnier.
Je n’avais alors que quatre lunes. Quatre lunes de bonheur, de joie dans une maison paisible où on m’admirait.
“Laissez-moi ! Je veux sortir !”
Et un nouveau coup de pied, une nouvelle nuit sans nourriture. L’enfer, je sais pas si tu connais ? On dit souvent que c’est après la mort, pour ceux qui ont péché.
Non, l’enfer, le paradis, c’est une image de la vie. Pas celle de la mort.
5ème lune
Ils m’ont appelé Scaphandre. Je ne sais pas ce que c’est, ni pourquoi comme ça. J’ai oublié Shayne peu à peu. Celui que j’ai été. Je griffais violemment les fauteuils. Les rideaux. Je déchirais tout ce que je pouvais. Je détruisais avant de me planquer au dessus d’un placard où on ne pouvait pas m’attraper. Et je me moquais d’eux, et parfois je griffais une main de Bipède qui voulait m’attraper. Aussitôt elle se retirait, et même si je mangeais peu, j’avais trouvé quelque chose pour jouer un peu. Scaphandre est devenu quelqu’un de renfermé, de cruel, de sadique.
Je ne pensais plus trop à avant. Il n’y a que le futur qui m’obsédait car je ne pouvais pas rester ici. Je devais donc trouver un moyen de partir. Oh, il y avait bien les fenêtres, mais la réalité c’est que j’avais peur de m’enfuir. Qu’on me retrouve, qu’on me traque. Et surtout de vivre seul, dehors, sans qu’on me nourrisse. Trouver ma propre nourriture, je n’avais jamais fait. Je n’ai jamais appris à chasser, pas à cette époque, puisque je suis né chat domestique. Donc c’est là que j’ai le plus regretté de ne pas être un autre. Un chaton tigré, avec une mère chatte errante. Et je n’ai pas songé aux Clans parce que je ne les connaissais pas.
Mais si je les avais connu, je n’aurais pas choisi de vivre avec un groupe de chats. Pas avec autant de contraintes qu’à l’intérieur d’un nid de Bipèdes.
Je ne pensais plus trop à avant. Il n’y a que le futur qui m’obsédait car je ne pouvais pas rester ici. Je devais donc trouver un moyen de partir. Oh, il y avait bien les fenêtres, mais la réalité c’est que j’avais peur de m’enfuir. Qu’on me retrouve, qu’on me traque. Et surtout de vivre seul, dehors, sans qu’on me nourrisse. Trouver ma propre nourriture, je n’avais jamais fait. Je n’ai jamais appris à chasser, pas à cette époque, puisque je suis né chat domestique. Donc c’est là que j’ai le plus regretté de ne pas être un autre. Un chaton tigré, avec une mère chatte errante. Et je n’ai pas songé aux Clans parce que je ne les connaissais pas.
Mais si je les avais connu, je n’aurais pas choisi de vivre avec un groupe de chats. Pas avec autant de contraintes qu’à l’intérieur d’un nid de Bipèdes.
6ème lune
Mais ça y est, je m’étais enfin décidé lorsque le sang a giclé ce soir là. J’avais six lunes. Et j’avais surtout, en cet instant, un mal de chien. Je m’étais glissé sous le canapé, je me souviens très bien avoir vu les pieds des Bipèdes. Toute la soirée, j’ai fermé les yeux, me forçant à oublier les images. J’étais encore très petit, faible et frêle. Scaphandre le petit chaton, Scaphandre le cruel, le méchant, celui qui veut vivre sans savoir pourquoi, qui aime faire chier les autres. J’étais un monstre enfoui sous des airs de petit ange. Du moins, pour l’instant. Un monstre qui ne voulait que sortir. Encore contenu, mais pour combien de temps ?
J’ai attendu longuement. Les lumières ont fini par s’éteindre. Les bruits se sont tus peu à peu. J’étais seul, à nouveau, dans l’obscurité. Mes yeux devenus verts brillaient dans la nuit, et mon coeur battait à tout rompre. C’est la seule chose que j’entendais. Ma respiration courte. Et je me sentais plus prêt que jamais. J’ai compté un peu, pour me calmer, et je suis sorti. J’ai vu la fenêtre, et c’était le seul moyen, le seul échappatoire. Sauf qu’elle était fermée. A-t-on déjà vu plus borné que moi ?
J’ai foncé tête baissé, et le verre s’est brisé, tout simplement. Oh, ça m’a fait saigner. C’était du verre, et ça coupe. Enfin, j’étais dehors. J’ai fui, le plus vite possible. Et d’un coup, je me suis senti bien. J’ai souri bêtement, en sentant l’air frais, l’herbe sous mes pattes. La liberté qui m’effleure. J’étais vraiment heureux, je savais que je pouvais m’en sortir autrement qu’en étant un stupide chat domestique.
J’ai encore couru un peu, et je me suis couché. Sous un buisson, tout simplement. Voilà, j’étais libre, et je ne savais pas trop quoi faire. Il fallait que j’attende le jour, et de toute façon j’étais si épuisé que je me suis endormi, avec du sang séché sur mes pattes et mon pelage.
J’ai attendu longuement. Les lumières ont fini par s’éteindre. Les bruits se sont tus peu à peu. J’étais seul, à nouveau, dans l’obscurité. Mes yeux devenus verts brillaient dans la nuit, et mon coeur battait à tout rompre. C’est la seule chose que j’entendais. Ma respiration courte. Et je me sentais plus prêt que jamais. J’ai compté un peu, pour me calmer, et je suis sorti. J’ai vu la fenêtre, et c’était le seul moyen, le seul échappatoire. Sauf qu’elle était fermée. A-t-on déjà vu plus borné que moi ?
J’ai foncé tête baissé, et le verre s’est brisé, tout simplement. Oh, ça m’a fait saigner. C’était du verre, et ça coupe. Enfin, j’étais dehors. J’ai fui, le plus vite possible. Et d’un coup, je me suis senti bien. J’ai souri bêtement, en sentant l’air frais, l’herbe sous mes pattes. La liberté qui m’effleure. J’étais vraiment heureux, je savais que je pouvais m’en sortir autrement qu’en étant un stupide chat domestique.
J’ai encore couru un peu, et je me suis couché. Sous un buisson, tout simplement. Voilà, j’étais libre, et je ne savais pas trop quoi faire. Il fallait que j’attende le jour, et de toute façon j’étais si épuisé que je me suis endormi, avec du sang séché sur mes pattes et mon pelage.
Invité
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Mer 25 Mai 2016 - 7:11
Obsidian
7ème lune
C’est là que j’ai appris à vivre seul. Enfin, des chats m’ont appris à me nourrir. Un jour un des chats errants est venu vers moi.
“Donne-moi ta proie.
— Non !”
Un combat a commencé et c’était perdu d’avance car il était plus fort. Et une fois qu’il a récupéré ma proie, il a encore ajouté :
“Ici, c’est la loi du plus fort. Souviens-t-en.”
C’est là que j’ai compris réellement que je devais devenir le plus fort. Sept lunes et une ambition d’enfer. Je me suis alors entraîné dur. Peux-tu comprendre à quel point j’étais motivé ? Ils me demandaient mon nom et d’où je sortais, étrange énergumène au pelage tacheté, et je ne répondais qu’un mot : Scaphandre. Le chaton violent et cruel d’avec les Bipèdes, c’était moi. Et ça, je l’ai accepté.
Chaque repas se passait ainsi. Soit je chassais, soit j’allais en ville, et je croisais toujours d’autres chats. Dans mon quartier, c’était la loi du plus fort et j’avais compris. Le sang maculait mon pelage. J’étais devenu pire qu’un monstre dans cette jungle où la plupart des chats ne valaient rien.
“Donne-moi ta proie.
— Non !”
Encore ce chat. Et là, ce jour-là, je me suis battu. J’ai sorti les griffes et je l’ai battu. Le sang giclait, je sentais ce poids devenir faible sous moi tandis que ma puissance augmentait. Et bientôt d’autres chats sont arrivés. Sans doute pour nous regarder. J’aurais pu le tuer mais quelque chose dans ma tête ne voulait pas. Je ne voulais pas devenir un meurtrier.
“Donne-moi ta proie.
— Non !”
Un combat a commencé et c’était perdu d’avance car il était plus fort. Et une fois qu’il a récupéré ma proie, il a encore ajouté :
“Ici, c’est la loi du plus fort. Souviens-t-en.”
C’est là que j’ai compris réellement que je devais devenir le plus fort. Sept lunes et une ambition d’enfer. Je me suis alors entraîné dur. Peux-tu comprendre à quel point j’étais motivé ? Ils me demandaient mon nom et d’où je sortais, étrange énergumène au pelage tacheté, et je ne répondais qu’un mot : Scaphandre. Le chaton violent et cruel d’avec les Bipèdes, c’était moi. Et ça, je l’ai accepté.
Chaque repas se passait ainsi. Soit je chassais, soit j’allais en ville, et je croisais toujours d’autres chats. Dans mon quartier, c’était la loi du plus fort et j’avais compris. Le sang maculait mon pelage. J’étais devenu pire qu’un monstre dans cette jungle où la plupart des chats ne valaient rien.
“Donne-moi ta proie.
— Non !”
Encore ce chat. Et là, ce jour-là, je me suis battu. J’ai sorti les griffes et je l’ai battu. Le sang giclait, je sentais ce poids devenir faible sous moi tandis que ma puissance augmentait. Et bientôt d’autres chats sont arrivés. Sans doute pour nous regarder. J’aurais pu le tuer mais quelque chose dans ma tête ne voulait pas. Je ne voulais pas devenir un meurtrier.
8ème lune
Il fallait devenir le plus fort. Pas un des plus forts, pas un chat capable de battre d’autres chats. Je devais devenir celui qui pouvait battre n’importe qui. L’imbattable. Dans mon esprit tout cela était clair. Jusque là, tu peux comprendre, que je veuille tout ça. C’était bon pour ma survie, et aussi pour mon moral et mon ego. Je suis devenu plus fort, chaque jour j’étais un peu plus puissant. On voulait me tendre des pièges, et je tombais dedans. Je ne ressemblais plus à rien. J’étais maigre, toujours blessé, mais le pire c’est cette lueur dans mes yeux. C’est à cette époque qu’elle a fait son apparition. Elle n’en est jamais repartie après.
Dangereux, je l’étais. Pour moi-même et pour les autres. Des jeunes chats un peu fougueux, il y en avait plein. Tous n’avaient qu’un but : survivre dans un monde noir où la seule lumière qui nous éclaire, c’est celle des étoiles la nuit. Le sang gicle souvent, un soir, et puis plus rien. Il y a des vols de proies et même, quelques fois, un chat domestique est pris en otage. Fallait pas se balader comme ça, seul dans l’obscurité. Et c’est fini pour lui, on ne le retrouve pas vivant.
Je grandissais. Avec ces chats tarés, assoiffés de pouvoir et de sang, rêvant de diriger la ville entière. J’étais assez intelligent pour rester près d’eux, et lointain à la fois, jouant un terrible double jeu qui pouvait me tuer à tout moment. Au moins je survivais. C’était bon de survivre. De vivre réellement. Tu sais ce que c’est, de vivre ainsi ? L’adrénaline qui monte d’un coup ? Oui, tu dois savoir. Tu te sens puissant, prêt à courir jusqu’au bout du monde. Tu vois de quoi je parle. Tu sais ce que je ressentais.
Dangereux, je l’étais. Pour moi-même et pour les autres. Des jeunes chats un peu fougueux, il y en avait plein. Tous n’avaient qu’un but : survivre dans un monde noir où la seule lumière qui nous éclaire, c’est celle des étoiles la nuit. Le sang gicle souvent, un soir, et puis plus rien. Il y a des vols de proies et même, quelques fois, un chat domestique est pris en otage. Fallait pas se balader comme ça, seul dans l’obscurité. Et c’est fini pour lui, on ne le retrouve pas vivant.
Je grandissais. Avec ces chats tarés, assoiffés de pouvoir et de sang, rêvant de diriger la ville entière. J’étais assez intelligent pour rester près d’eux, et lointain à la fois, jouant un terrible double jeu qui pouvait me tuer à tout moment. Au moins je survivais. C’était bon de survivre. De vivre réellement. Tu sais ce que c’est, de vivre ainsi ? L’adrénaline qui monte d’un coup ? Oui, tu dois savoir. Tu te sens puissant, prêt à courir jusqu’au bout du monde. Tu vois de quoi je parle. Tu sais ce que je ressentais.
9ème lune
J’ai rencontré cette femelle. Elle m’a fait de l’effet, mais ce ne sont que des trucs de mômes. Elle était bien plus âgée, de toute façon. Mais c’était drôle d’essayer de l’aborder, sans trop savoir quoi dire, juste pour être un peu plus avec elle, pour qu’elle nous regarde. Elle vivait pas dans le quartier, et c’est tout ce qu’on savait. Mais elle venait souvent par ici. C’est pas un coin pour elle, ni pour tout autre belle femelle non entraînée, ça c’est sûr. Elle était dans une ruelle, et moi je l’observais. Juste comme ça, pour l’observer. Ils étaient trois, gringalets, méchants, mais puissants. Ils lui ont sauté dessus.
J’étais trop jeune pour savoir ce qu’ils voulaient réellement. En tous cas, des félins à combattre c’était pour moi. J’ai bondi de mon observatoire en hauteur, et j’ai foncé dans le tas. J’étais encore petit par rapport à eux, mais ma rage, ma folie, tout ce que tu ne possèdes pas, toi, m’a permis de les buter. Même à trois contre un. J’avais des griffes et des crocs et eux n’étaient que des lavettes. Je déchirais leurs chairs, et leurs cris de douleur résonnent encore dans mes oreilles. Mais j’étais vraiment fou. Je me suis tourné vers la femelle qui me remerciait.
“Ne reviens pas par ici. Sache que je pourrais te faire la peau moi-même, dans un mauvais jour.”
J’avais craché ces paroles. Ça me démangeait de tuer, et j’avais déjà fait de la chair à corbeau d’un des corps tandis que les deux autres avaient déguerpi. Il n’y avait qu’elle et moi. Elle ne m’intéressait plus du tout, ce que je voulais avant tout, c’était combattre. Elle est partie en me jetant un dernier regard un peu étonné. Elle était belle, cette chatte. Je n’en voulais pas. Les pattes pleines de sang, j’étais fier de moi. J’attendais qu’un nouveau coup se prépare.
J’étais trop jeune pour savoir ce qu’ils voulaient réellement. En tous cas, des félins à combattre c’était pour moi. J’ai bondi de mon observatoire en hauteur, et j’ai foncé dans le tas. J’étais encore petit par rapport à eux, mais ma rage, ma folie, tout ce que tu ne possèdes pas, toi, m’a permis de les buter. Même à trois contre un. J’avais des griffes et des crocs et eux n’étaient que des lavettes. Je déchirais leurs chairs, et leurs cris de douleur résonnent encore dans mes oreilles. Mais j’étais vraiment fou. Je me suis tourné vers la femelle qui me remerciait.
“Ne reviens pas par ici. Sache que je pourrais te faire la peau moi-même, dans un mauvais jour.”
J’avais craché ces paroles. Ça me démangeait de tuer, et j’avais déjà fait de la chair à corbeau d’un des corps tandis que les deux autres avaient déguerpi. Il n’y avait qu’elle et moi. Elle ne m’intéressait plus du tout, ce que je voulais avant tout, c’était combattre. Elle est partie en me jetant un dernier regard un peu étonné. Elle était belle, cette chatte. Je n’en voulais pas. Les pattes pleines de sang, j’étais fier de moi. J’attendais qu’un nouveau coup se prépare.
10ème lune
Il y a bien un moment où on doit grandir, où on se dit qu’on ne peut pas rester ici. Faire sa vie dans ce quartier, c’est mourir, tout simplement. Et si on choisit de vivre, alors on doit fuir. Je n’étais pas certain de mon choix, mais bon. Je n’avais rien d’autre à quoi me raccrocher, il n’y avait que ça. Une prétendue liberté d’aller où je veux, car j’étais libre. On m’a demandé si je voulais retrouver mes frères, et j’ai tenté de me souvenir. Oui, je savais qu’il y avait un autre nom… Je ne me souvenais plus. Shayne n’existait plus. Il n’y avait que Scaphandre le meurtrier, car Scaphandre a tué.
Je voulais repartir d’une bonne patte, ailleurs. Même si c’est pareil ailleurs. Le quartier d’à côté est un peu mieux famé. Ça craint quand même niveau chat sauvages. Ils sont plus près de la forêt, et j’avais toujours eu envie d’aller la voir. J’ai relevé la tête et je suis parti. Je suis arrivé dans cette ville en faible, je repars en monstre. Celui que rien ni personne ne peut arrêter. Celui qui est devenu encore plus féroce qu’un clebard. La vie continue son cours, avec les meurtres dans l’autre quartier et moi, bien loin de tout ça. Pourtant mon passé me suit. Il ne me lâchera pas.
Je voulais repartir d’une bonne patte, ailleurs. Même si c’est pareil ailleurs. Le quartier d’à côté est un peu mieux famé. Ça craint quand même niveau chat sauvages. Ils sont plus près de la forêt, et j’avais toujours eu envie d’aller la voir. J’ai relevé la tête et je suis parti. Je suis arrivé dans cette ville en faible, je repars en monstre. Celui que rien ni personne ne peut arrêter. Celui qui est devenu encore plus féroce qu’un clebard. La vie continue son cours, avec les meurtres dans l’autre quartier et moi, bien loin de tout ça. Pourtant mon passé me suit. Il ne me lâchera pas.
11ème lune
J’étais tranquille et j’ai même fait la connaissance de jeunes chats domestiques très sympas. Pas très heureux, mais sympas. Et des chats errants, aussi. Je n’étais plus seul et je goûtais enfin à la joie d’être à plusieurs, après des lunes dans l’ombre et la solitude. Je me sentais vraiment épanoui, et c’était ce dont il me fallait. Peut-être que j’aurais pu continuer à vivre ainsi. Mais au fond de moi je n’avais pas changé, et c’est vrai qu’on ne peut pas changer un caractère, une façon d’être. On peut seulement changer son comportement et c’est ce que j’ai fait, j’ai changé mon comportement, sans pour autant me changer. Je croyais que j’avais changé, parce que la cité me faisait faire n’importe quoi mais j’avais tort.
C’est pour cela que tant que je croyais, ça marchait pas trop mal. Ça allait même plutôt bien, et même si je me suis un peu bagarré, ce n’était rien comparé aux scènes de meurtres et de violence dont j’étais l’auteur. J’étais prêt à repartir avec de bonnes bases, saines. Ma mère m’avait dit que j’étais un bon petit, que je serais heureux. Elle avait tort bien sûr. Comment faire comprendre au monde qu’il a tort ?
Je pensais être heureux mais la vérité c’est que personne n’atteint le bonheur. J’ai eu des moments de bonheur. Je suis certain que j’en ai eus. C’était sans doute déjà trop tard pour s’en rendre compte…
C’est pour cela que tant que je croyais, ça marchait pas trop mal. Ça allait même plutôt bien, et même si je me suis un peu bagarré, ce n’était rien comparé aux scènes de meurtres et de violence dont j’étais l’auteur. J’étais prêt à repartir avec de bonnes bases, saines. Ma mère m’avait dit que j’étais un bon petit, que je serais heureux. Elle avait tort bien sûr. Comment faire comprendre au monde qu’il a tort ?
Je pensais être heureux mais la vérité c’est que personne n’atteint le bonheur. J’ai eu des moments de bonheur. Je suis certain que j’en ai eus. C’était sans doute déjà trop tard pour s’en rendre compte…
12ème lune
J’ai revu une chatte que je ne pensais pas revoir un jour. Ma soeur, celle qui est blanche avec un tout petit peu de noir. La plus grande des deux femelles, et elle habite ici. Elle n’a pas changé de nom, elle. C’est Emily. Ou Milly, peu importe. Et elle m’a appelé Shayne. Ça m’a mis d’abord dans un de ces états ! Mais je me suis raisonné. Elle ne pouvait pas savoir, personne ne lui a dit que je me nomme Scaphandre maintenant. Je me suis forcé à calmer mes nerfs et j’ai juste souri en lui disant qu’on me nommait Scaphandre maintenant. Elle a grimacé, je me souviens.
Elle connaissait de nom Scaphandre le chat domestique, devenu le pire meurtrier de la cité d’à côté. Je lui ai dit que je n’étais plus comme ça. Je pense qu’elle ne m’a jamais vraiment cru, et à raison. Alors j’étais peiné, et je voulais lui montrer qu’elle se trompait, et que j’étais redevenu le Shayne d’avant, sans pour autant reprendre ce nom. Toute une lune, ça durait ainsi. J’étais calme, sage, et pourtant je gardais un côté un peu joueur. Nous étions redevenus comme avant. C’est mignon de dire ça. Comme avant. On ne redevient pas comme avant, on change. Et j’étais déjà piégé.
Elle connaissait de nom Scaphandre le chat domestique, devenu le pire meurtrier de la cité d’à côté. Je lui ai dit que je n’étais plus comme ça. Je pense qu’elle ne m’a jamais vraiment cru, et à raison. Alors j’étais peiné, et je voulais lui montrer qu’elle se trompait, et que j’étais redevenu le Shayne d’avant, sans pour autant reprendre ce nom. Toute une lune, ça durait ainsi. J’étais calme, sage, et pourtant je gardais un côté un peu joueur. Nous étions redevenus comme avant. C’est mignon de dire ça. Comme avant. On ne redevient pas comme avant, on change. Et j’étais déjà piégé.
13ème lune
On ne change pas un meurtrier. On peut enlever le sang qui macule ses griffes. Mais on ne peut pas enlever les griffes.
Un jour, donc, où j’avais treize lunes, elle jouait un peu, et me taquinait. Ça ne m’a pas plu du tout. J’étais toujours aussi violent et c’est là que je m’en suis rendu compte, lorsque j’ai foncé sur elle toutes griffes sorties. Elle a hurlé et son cri me déchire encore les tympans aujourd’hui. J’ai mis mes griffes sorties sous son cou, et à un millimètre près, ce qui fait une épaisseur de poil, j’aurais pu la tuer. Lui trancher l’artère principale. Sauf que je me suis repris et je l’ai regardé avec étonnement, comme si je n’étais pas certain que ce fût moi au dessus d’elle, à la menacer d’une griffe.
J’ai donc fui encore une fois. Je commençais une vie de merde, c’est le cas de le dire. Une vie où je n’avais rien. Chaque fois qu’on me parlait et qu’on voulait faire ma connaissance, on se heurtait à un mur incassable. Un mur qu’on ne pouvait ni contourner, ni escalader. Seulement contempler de l’extérieur et moi, j’étais piégé à l’intérieur. Je ne voulais pas le faire, pas ma propre soeur. J’ai sans doute pleuré un peu, et c’est vrai qu’on peut se dire que je n’étais qu’un monstre, je restais sensible. J’avais un coeur, bien enfoui, mais un coeur quand même.
Et ça, tu ne peux pas le nier. Un meurtrier sans coeur ne peut pas pleurer, pas vrai ?
Pas vrai ?
Un jour, donc, où j’avais treize lunes, elle jouait un peu, et me taquinait. Ça ne m’a pas plu du tout. J’étais toujours aussi violent et c’est là que je m’en suis rendu compte, lorsque j’ai foncé sur elle toutes griffes sorties. Elle a hurlé et son cri me déchire encore les tympans aujourd’hui. J’ai mis mes griffes sorties sous son cou, et à un millimètre près, ce qui fait une épaisseur de poil, j’aurais pu la tuer. Lui trancher l’artère principale. Sauf que je me suis repris et je l’ai regardé avec étonnement, comme si je n’étais pas certain que ce fût moi au dessus d’elle, à la menacer d’une griffe.
J’ai donc fui encore une fois. Je commençais une vie de merde, c’est le cas de le dire. Une vie où je n’avais rien. Chaque fois qu’on me parlait et qu’on voulait faire ma connaissance, on se heurtait à un mur incassable. Un mur qu’on ne pouvait ni contourner, ni escalader. Seulement contempler de l’extérieur et moi, j’étais piégé à l’intérieur. Je ne voulais pas le faire, pas ma propre soeur. J’ai sans doute pleuré un peu, et c’est vrai qu’on peut se dire que je n’étais qu’un monstre, je restais sensible. J’avais un coeur, bien enfoui, mais un coeur quand même.
Et ça, tu ne peux pas le nier. Un meurtrier sans coeur ne peut pas pleurer, pas vrai ?
Pas vrai ?
Invité
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Mer 25 Mai 2016 - 15:00
Obsidian
14ème lune
Toutes les larmes de mon corps, j’ai pleuré. J’étais toujours un gosse malgré tout. Malgré les meurtres et les erreurs. Je chassais pour me nourrir, et je me sentais bien seul. Je tabassais les troncs d’arbres et je m’acharnais sur les chiens qui voulaient m’attraper. J’étais déchaîné, hargneux comme jamais. Donc ce jour, on est venu me voir, même si je ne posais pas de problèmes aux autres chats qui vivaient ici. J’avais vraiment décidé de ne côtoyer personne pour éviter les ennuis. Ils sont juste venus comme ça, pas pour m’emmerder.
“Scaphandre, c’est ça ?
— Ouais.
— Y a des Bipèdes qui traînent. Le genre mauvais. Ils t’attrapent et tu disparais d’un coup.”
J’étais surpris. Des Bipèdes qui nous faisaient disparaître, c’était peu commun. Je les croyais, sans pour autant changer quoi que ce soit, ni ma vigilance. Toi aussi, tu aurais pensé que je m’en foutais et que je ne te croyais pas, si tu m’avais vu m’amuser avec les chiens. Comme si les Bipèdes n’existaient pas. Une fois de plus, j’aurais dû écouter les autres et ne pas en faire qu’à ma tête. Je le regretterai. Je l’ai bien assez regretté.
“Scaphandre, c’est ça ?
— Ouais.
— Y a des Bipèdes qui traînent. Le genre mauvais. Ils t’attrapent et tu disparais d’un coup.”
J’étais surpris. Des Bipèdes qui nous faisaient disparaître, c’était peu commun. Je les croyais, sans pour autant changer quoi que ce soit, ni ma vigilance. Toi aussi, tu aurais pensé que je m’en foutais et que je ne te croyais pas, si tu m’avais vu m’amuser avec les chiens. Comme si les Bipèdes n’existaient pas. Une fois de plus, j’aurais dû écouter les autres et ne pas en faire qu’à ma tête. Je le regretterai. Je l’ai bien assez regretté.
15ème lune
C’était une nuit et moi, je n’ai rien vu venir. Rien du tout. Je me promenais, parce qu’il faisait bon de se promener, en cette fin d’été. Se préparer au froid, tout ça. Bon, on était déjà en automne, mais il faisait beau aujourd’hui. Cette nuit-là. C’est rare lorsqu’il fait si beau, en cette saison, donc j’en profitais un peu. Et c’est là qu’ils m’ont attrapé. Les Bipèdes, comme les autres chats le disaient. Ceux qui attrapaient. J’ai pensé que j’allais mourir cette nuit. J’ai pensé un tas d’autres trucs, et pourtant je suis toujours là pour raconter ça. Ils ne tuent pas, comme ils le pensaient. Disons qu’ils tuent à petit feu.
Ils enferment. Dans des petites cages, ils nous enferment et nous ne voyons plus la lumière. Au début, c’est supportable. Tout est supportable si on s’arrête aux quelques premières nuits. Tu veux savoir comment c’est, là bas ? Eh bien le bruit incessant, les pleurs de certains, les autres qui s’acharnent en miaulant sur les barreaux. Certains même essayaient de se battre à travers les grilles. La nourriture insipide, rien à voir avec la nourriture habituelle des Bipèdes. Et encore moins avec des proies.
Et du gris, de noir, partout. Sans véritable lumière, toujours du noir, l’obscurité.
Mais jamais de silence. Dès le moment où le silence s’installe, c’est la mort qui vient un peu plus près.
Ils enferment. Dans des petites cages, ils nous enferment et nous ne voyons plus la lumière. Au début, c’est supportable. Tout est supportable si on s’arrête aux quelques premières nuits. Tu veux savoir comment c’est, là bas ? Eh bien le bruit incessant, les pleurs de certains, les autres qui s’acharnent en miaulant sur les barreaux. Certains même essayaient de se battre à travers les grilles. La nourriture insipide, rien à voir avec la nourriture habituelle des Bipèdes. Et encore moins avec des proies.
Et du gris, de noir, partout. Sans véritable lumière, toujours du noir, l’obscurité.
Mais jamais de silence. Dès le moment où le silence s’installe, c’est la mort qui vient un peu plus près.
16ème lune
Au fur et à mesure, on voit les autres crever lentement. L’horreur est bien présente et si je me demandais si on pouvait faire pire que la cité où j’avais été formé en meurtrier, j’avais ma réponse entre mes murs, enfermé. Je devenais encore plus fou que je ne l’étais. La folie en moi ressortais. Parfois, un Bipède venait, et en prenait un de nous. Jamais moi. Pourquoi ? Mon pelage était toujours aussi beau. Simplement, je ne laissais personne s’approcher de moi. Je n’étais pas un chat domestique, jamais ! Je me faisais frapper lorsque je les griffais, chaque jour la misère s’accentuait.
Un chat, près de moi, me parlait. Enfin il parlait un peu à tout le monde, mais avec moi c’était différent.
“Ton pelage ressemble à une obsidienne.”
Ah oui, les pierres. Tu savais toi ? Ce sont des roches volcaniques. Noires et blanches. Il n’y a pas de gris comme moi, mais ce chat avait raison. Je ressemblais un peu à ça. J’ai souri dans la pénombre. Une obsidienne. Drôle de référence. Peu importe. Les jours s’écoulaient et parfois je discutait. Il ne connaissait pas mon nom, sinon il aurait su. Scaphandre, celui que personne n’approche. Le tueur, celui qui a agressé sa propre soeur.
Pourtant celui que j’avais en face de moi n’avait rien d’un tendre non plus.
Un chat, près de moi, me parlait. Enfin il parlait un peu à tout le monde, mais avec moi c’était différent.
“Ton pelage ressemble à une obsidienne.”
Ah oui, les pierres. Tu savais toi ? Ce sont des roches volcaniques. Noires et blanches. Il n’y a pas de gris comme moi, mais ce chat avait raison. Je ressemblais un peu à ça. J’ai souri dans la pénombre. Une obsidienne. Drôle de référence. Peu importe. Les jours s’écoulaient et parfois je discutait. Il ne connaissait pas mon nom, sinon il aurait su. Scaphandre, celui que personne n’approche. Le tueur, celui qui a agressé sa propre soeur.
Pourtant celui que j’avais en face de moi n’avait rien d’un tendre non plus.
17ème lune
Et donc un jour, alors que je sombrais, ce chat est venu vers moi et on a discuté, comme on le faisait. D’un coup, sans savoir comment ni pourquoi, c’est parti sur le sujet de l’évasion. Mais c’est vrai, pourquoi pas ? Je n’avais pas trop d’espoir, mais ma motivation suffisait. J’ai observé de longues heures. Les Bipèdes qui manipulaient les fermoirs, les heures de venues et de sorties. Tout était passé à mon regard.
J’ai tenté d’atteindre la serrure. J’ai tenté, je me suis blessé avec les grillages, je me suis coincé les pattes. Mais je ne trouvais pas. Des jours, des jours que j’étais devenu fou. Pire encore que tous les autres. Certains murmuraient dans l’ombre.
“On a attrapé Scaphandre.”
Je hurlais que je n’étais pas Scaphandre. Je ne pouvais pas être lui. Scaphandre était libre, Scaphandre était un meurtrier, et moi ici je n’étais plus rien. J’avais envie de pleurer chaque fois que je me forçais à bouffer la pâtée dégueulasse. Chaque fois que la porte s’ouvrait et que je voyais le dehors. Heureusement pourtant, il faut bien quelque chose qui change.
J’ai tenté d’atteindre la serrure. J’ai tenté, je me suis blessé avec les grillages, je me suis coincé les pattes. Mais je ne trouvais pas. Des jours, des jours que j’étais devenu fou. Pire encore que tous les autres. Certains murmuraient dans l’ombre.
“On a attrapé Scaphandre.”
Je hurlais que je n’étais pas Scaphandre. Je ne pouvais pas être lui. Scaphandre était libre, Scaphandre était un meurtrier, et moi ici je n’étais plus rien. J’avais envie de pleurer chaque fois que je me forçais à bouffer la pâtée dégueulasse. Chaque fois que la porte s’ouvrait et que je voyais le dehors. Heureusement pourtant, il faut bien quelque chose qui change.
18ème lune
C’est Michael qui est venu. Je ne sais pas comment, ni pourquoi. Mais c’est lui qui était là, devant les cages. Il s’est approché de moi.
“Shayne ! On m’a dit que je pouvais te trouver ici. Enfin, Scaphandre. Ou je ne sais pas.”
Ferme-la, veux-tu ? Et libère moi, gros malin ! Je n’ai pas bougé car je savais qu’il était venu pour me libérer. Et c’est ce qu’il a fait. Il a tiré sur le cadenas et ça a cassé. C’était simple, mais bien sûr moi je ne pouvais pas l’atteindre. Il m’a dit de fuir. J’ai libéré mon ami, celui qui s’appelle Lyan et qui n’était pas vraiment mon ami, mais pas un ennemi non plus. Et il méritait sans doute de sortir autant que moi, mais tant pis.
J’ai commencé à en libérer d’autres. Scaphandre n’aurait jamais fait ça, non. Tu te souviens que ce chat, ce moins que rien, était bien trop égoïste ? Eh bien moi, je l’ai fait. Ce ne sera pas la première fois que je changeais de nom. J’ai libéré la majorité et les Bipèdes sont arrivés. Lyan avait déjà fui. Mais il restait Michael et moi. J’ai filé, mais au moment où j’allais sortir, j’ai entendu un cri. Ils ont pris mon frère. Mon frère, qui avait un collier, qui allait s’en sortir. Je suis sorti. J’ai commencé à errer, vers dix-huit lunes.
Je me suis nommé Obsidian, parce que je n’avais plus de nom. J’avais laissé Scaphandre dans cette prison, tout comme j’ai laissé Shayne dans la maison, bien des lunes plus tôt. Obsidian a commencé à fuir.
“Shayne ! On m’a dit que je pouvais te trouver ici. Enfin, Scaphandre. Ou je ne sais pas.”
Ferme-la, veux-tu ? Et libère moi, gros malin ! Je n’ai pas bougé car je savais qu’il était venu pour me libérer. Et c’est ce qu’il a fait. Il a tiré sur le cadenas et ça a cassé. C’était simple, mais bien sûr moi je ne pouvais pas l’atteindre. Il m’a dit de fuir. J’ai libéré mon ami, celui qui s’appelle Lyan et qui n’était pas vraiment mon ami, mais pas un ennemi non plus. Et il méritait sans doute de sortir autant que moi, mais tant pis.
J’ai commencé à en libérer d’autres. Scaphandre n’aurait jamais fait ça, non. Tu te souviens que ce chat, ce moins que rien, était bien trop égoïste ? Eh bien moi, je l’ai fait. Ce ne sera pas la première fois que je changeais de nom. J’ai libéré la majorité et les Bipèdes sont arrivés. Lyan avait déjà fui. Mais il restait Michael et moi. J’ai filé, mais au moment où j’allais sortir, j’ai entendu un cri. Ils ont pris mon frère. Mon frère, qui avait un collier, qui allait s’en sortir. Je suis sorti. J’ai commencé à errer, vers dix-huit lunes.
Je me suis nommé Obsidian, parce que je n’avais plus de nom. J’avais laissé Scaphandre dans cette prison, tout comme j’ai laissé Shayne dans la maison, bien des lunes plus tôt. Obsidian a commencé à fuir.
19ème lune
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