Une mère seule, trois nouvelles vies pour une absence [PV les chatons - Nuity, Nordy et Snowy - et Equi]

C'est ma première portée, qui dort dans mon ventre. Ma première portée. Maintenant, je suis trop grosse, trop fatiguée, je n'arrive plus à me comporter normalement, je peux juste rester blottie dans la pouponnière et passer un peu de temps au camps. Je sens que les chatons remuent, à l'intérieur, ils vont arriver dans les deux ou trois jours qui viennent au maximum, d'après Agate Étoilée. Ma première portée va bientôt arriver, mes premiers chatons. Et je suis seule, définitivement seule, tristement seule. Mon compagnon m'a abandonnée, il est parti depuis déjà quelques temps. Il est parti alors que j'avais été enlevée et que j'étais séquestrée par des chats mystérieux dans une grotte, enceinte, il est parti alors que je n'attendais que lui, il est parti alors que je l'aimais. Je l'aime toujours, je crois, sinon son absence ne me ferait pas autant souffrir. Son abandon, plutôt. Pourquoi aurait-il disparu, comme ça, sans laisser de traces, si ce n'est volontaire ? Il est un excellent guerrier, plus que ça, il est un meneur. Du moins, était. Son nom, c'est Étoile Sanglante, mais je me refuse à le prononcer, parce qu'il ne le mérite plus. Il a laissé tomber son Clan, il a laissé tomber ses amis, il a laissé tomber sa compagne, il a laissé tomber ses enfants. Et... pourquoi ? Est-ce qu'il a eu peur d'être père ? Est-ce qu'il a rencontré une autre femelle ? Non ! Je préfère l'imagine mort qu'avec une autre, pendant que je suis là, enceinte, seule et terrorisée. Cet enlèvement m'a bouleversé, jusqu'au plus profond de moi. Je ne suis plus la même. Avant, j'aurais été certaine de sa loyauté, je l'aurais imaginé mort, perdu quelque part, mais maintenant, je suis quasiment certaine que c'était volontaire. Je ne suis plus sûre de rien...

Voilà ce que je ressasse, dans la pouponnière, sans avoir l'envie de bouger. Peut être que si je restais là, à fixer le vide, sans réagir, sans rien faire, je finirais par mourir, et partir d'ici. Je ne sais même plus si j'ai envie de vivre, si j'ai encore la force de surmonter ce qui m'attend, à présent. L'attente. Le vide, sans lui. L'accouchement, élever mes enfants en leur disant : Non, vous n'avez pas de père. Mieux vaut ne pas avoir de père que de savoir qu'il vous a abandonné, non ? En faite, je ne le sais pas. Mon père a moi, Griffe de Forêt, a toujours été là pour moi - jusqu'à sa mort, bien sûre - à soutenir ma mère, Feuille Majestueuse. Je ne veux pas être seule, je veux qu'il revienne, je veux qu'il m'aime de nouveau. Je n'en peux plus de cette situation, des incertitudes, je n'en peux plus de son absence.

Soudain, une douleur. Fulgurante. Un éclair qui me traverse de part en part, jusqu'au plus profond de moi même, insoutenable. Je lâche un cri. Les chatons arrivent, je le comprends immédiatement. J'entends une cavalcade, quelqu'un va prévenir Agate Étoilée, elle va bientôt venir. La souffrance est intolérable, je pousse un gémissement, c'est comme si quelque chose s'agitait dans mon ventre, voulant tout pousser, tout déranger. Quelque chose voulant sortir, goûter à la lumière, à ma vie, et une partie de moi leur dit de rester là où ils sont, que la vie c'est horrible, ce n'est pas beau, il n'y a que quelques petites miettes de bonheur éparpillées dans des tas de souffrance. Mais évidemment, ce n'est pas si simple, ils doivent bien sortir, mes petits. Ils doivent sortir...

Ordre de passage : Moi, Equi, Encore moi, Equi et enfin les chatons.

C'est l'heure de sortireuuuuh! C'est l'heure d'explorer-euuuh! En tant que chaton né, je réagirais sûrement comme ça. Mais pour l'instant je suis une boule de lumière. Une boule de vie, plus ou moins consciente, dans le ventre de ma maman. Ma maman, je la connais par cœur. Je connais ses hautes et ses bas, quand elle est inquiète et quand elle est en danger. Bientôt, je connaitrai son odeur. En effet, eheh, difficile de savoir son odeur quand on est baigné dans le liquide... Et je pourrai voir papa, enfin! Je pourrai découvrir qui c'est! Enfin, le voir, quand j'aurai la vue quoi. Mais je sais que maman l'aime. Et j'ai un mauvais pressentiment, parce que elle a un pincement au cœur, et de plus en plus souvent depuis quelques temps. Et s'il était pas là? Il serait où? Je sais déjà que je vais l'aimer mon papa. Tout comme j'aime ma maman. Enfin, pour l'instant, dur à dire. Je n'ai pas vraiment de conscience ni de personnalité. Je n'ai pas de nom. Je suis une boule de lumière dans le ventre de ma maman.

Y a mon frère qui me gène. Il arrête pas de bouger et je suis sûre qu'il embête maman en tapant contre son ventre. Si j'avais une conscience et une personnalité, je serai exaspérée. Peut-être même que je lui donnerai un petit coup de patte sur la tête, pour lui demander d'arrêter. Mais je le fais pas. Parce que je n'en ai même pas l'idée. Parce que je n'ai pas encore de vie propre, de conscience propre. Je ne suis pas encore vraiment quelqu'un. Je n'ai pas de nom. Je suis une boule de lumière dans le ventre de ma maman.

Y a des spasmes. Des contractions. Y a tout qui bouge autour de moi. Si j'étais consciente, si j'avais une personnalité, si j'étais une personne, je me demanderais si qu'il se passe. Mais au lieu de ça, je me laisse balloter. Et je suis bougée dans tous les sens, je quitte ma place, la place que j'occupe depuis des lunes. Je suis expulsée vers le froid, vers l'air, hors du liquide, du chaud. On m'envoie vers la vie. Il fait froid. On m'attrape par la peau du coup et on me lèche, pour retirer le liquide restant sur moi. On enlève notamment le liquide devant ma truffe. Je respire pour la première fois. Si j'avais une conscience développée, une personnalité, si j'étais quelqu'un, je me dirais que c'est très bizarre. Je couine par instinct, avant de chercher du chaud. Je sens un pelage, une odeur. C'est ma maman. C'est son odeur. Je peux respirer, sentir les odeurs. Je découvre enfin celle de ma maman. Et comme j'ai faim, chose que je découvre, parce que je ne connaissais pas la fin avant, je tète, par réflexe. La fratrie sera bientôt réunie, collée à maman. Je ne me dirai pas que c'est génial d'être entouré de sa famille. Car je ne réfléchis pas encore assez pour l'instant. Je n'ai pas de nom. Je ne suis qu'une boule de lumière et de poils, collé au ventre de ma maman.

- Petit Rouge-Gorge.

C'est ce que j'aurais entendu, si j'avais l'ouïe. Je ne l'ai pas encore. Mes oreilles sont pliées et se déplieront dans quelques jours. J'entendrai à ce moment-là. Mais désormais, j'ai un nom. Je m'appelle Petit Rouge-Gorge. Et d'ici peu, je deviendrai quelqu'un. J'aurai une conscience pleine et une personnalité. A partir de la naissance et de la prise de vie, la vraie, à l'extérieur du ventre, tout de développe très vite. Et comme ma fratrie, je serai un chaton plein de vie. J'apprendrai que ma sœur s'appelle Patte Sanguine et mon frère Patte Ténébreuse. J'apprendrai aussi que nous faisons partie du Clan du Tonnerre. J'apprendrai aussi que dans six lunes, je serai apprentie, et ensuite, je deviendrai guerrière. J'apprendrai beaucoup de choses et découvrirai beaucoup de choses. C'est ce qui attend chacun de nous, à la naissance. Je suis Petit Rouge-Gorge. J'ai un nom. Et je suis une boule de lumière et de poils endormie, collée au ventre de ma maman.