À l'aventure ! [ft. Petit Fauve]

J'étais émerveillée. Émerveillée de voir que j'étais encore vivante. Juste cette simple pensée me donnait des ailes. Émerveillée de voir que le soleil s'était encore levé, aujourd'hui, m'accueillant de ses rayons dorés, parsemant mes yeux bleus de sa lueur apaisante. Émerveillée d'entendre une seconde fois les sons, émerveillée de sentir encore une fois l'air chaud et rassurant de la Pouponnière. Émerveillée de sentir l'odeur corporelle de ma mère, de mon frère, de ma propre famille, mon propre sang. Émerveillée de voir qu'il m'était possible de respirer. Et tout cela semblait si féerique, si magique. Si étrangement vivant à mes yeux. Peut-être étais-je bien le seul chaton à qui la Vie, avec I è majuscule, procurait tant de sensations. Avec ma langue, je palpais délicatement mes babines, sentant la saveur sucrée du lait maternel d'Aile du Crépuscule, et détournais le regard pour m'assurer que Maman et Petit Fauve n'avaient pas disparu durant la nuit, par un tragique et quelconque accident.

Je soufflais d'un soupir soulagé, ils étaient là. Présents, à mes côtés, leur pelage respectivement noir et blanc tacheté contrastant avec le vert de notre environnement. Maman, encore endormie, semblait triste. Elle me semblait triste, à moi, Petit Ange, qui ne connaissait encore rien de la multiple palette de sentiments qu'il était possible de ressentir, des centaines d'émotions plus ou moins intenses qu'un chat comme moi pouvait un jour laisser affluer jusqu'à son petit cœur, battant bien trop fortement dans sa poitrine. Aile du Crépuscule était triste. Pourquoi ? L'âge ne me permettait pas encore d'élucider ce mystère. Mais je voulais savoir. Pourquoi souffrir d'un tel mal, alors qu'elle ne cessait de nous dire, à Petit Fauve et moi, que nous étions ses petites merveilles ? Ces anges tombés du ciel, ces perfections ? Enfin moi, surtout, j'étais parfaite. Petit Fauve légèrement moins. Déjà, parce que c'était un mâle. Donc jamais, au grand jamais, il ne pourrait me surpasser.

Je m'approchais de lui, faisant au mieux que je puisse pour ne pas faire trop de bruit; je ne voulais pas le réveiller, du moins pas de cette façon. La discrétion était un point important durant l'existence d'un chat. Durant celle d'un chaton à peine né, elle en devenait presque comique. Mais j'avais envie de découvrir, encore. Je tressaillais d'impatience, l'adrénaline que me procurait l'idée d'embêter mon frère était bien présente. Que ne ferais-je pas pour lui prouver, une fois de plus, que je suis bien meilleure ? C'était par parce qu'il était meilleur que moi lors de nos chamailleries que ça voulait dire quelque chose. Et puis je le laissais gagner, je faisais exprès, pour pas qu'il soit déçu ! De toute façon, il avait pas intérêt à me faire mal, sinon j'irai tout rapporter à Maman ! Et Maman quand elle grondait un de nous deux, elle rigolait pas ! Mes arrières couverts, ma petite idée d'assaut dans la tête, j'étais bien décidée à le terrasser ! Il allait voir ce qu'il allait voir ! Il allait manger la poussière avant même de comprendre ce qu'il allait lui arriver !

Je m'arrêtais de marcher, alors que je m'apprêtais à le rejoindre. Pourquoi se battre ? Pourquoi se battre sous la surveillance de Maman ? Pourquoi nous battre alors qu'avec Aile du Crépuscule endormie, on pouvait facilement s'éclipser ? Et puis si la brèche que j'avais emprunté pour m'échapper et rencontrer Satani la première fois était encore là, pourquoi ne pas l'utiliser ? Pourquoi ne pas profiter de l'inattention miraculeuse qu'avait eu Aile du Crépuscule pour partir à l'aventure ! Je tapotais du bout de la patte le dessus de la tête de Petit Fauve, puis chuchotais, doucement, évitant de réveiller Maman : "Petit Fauve, réveille-toi ! Allez ! Viens, on va dehors ! je marquais une petite pause, avant d'ajouter, encore plus bas : "Maman dort ! Lève-toi, ou sinon t'es une poule mouillée qui a trop peur pour partir à l'aventure !"

Si Petit Fauve continuait à dormir comme ça, on était pas arrivé au bout de nos peines ! Allez quoi ! C’était pas compliqué ! J’allais pas l’attendre indéfiniment non plus ! Le temps que ce gros paresseux se lève, j’avais clairement de quoi faire. Il allait me faire perdre toute la matinée ce lourdeau ! Debout ! Bon, c’était décidé, si dans trois secondes il me répondait pas, je lui miaulais dans les oreilles ! Par bonheur pour lui, dans un mouvement soudain, il sursauta, me faisant reculer de quelques pas, histoire de garder une certaine distance de sécurité. Je le dévisageais, l’envie pressante de m’esclaffer de sa réaction me chatouillait l’esprit démentiellement. Résister était dur, mais il le fallait. Un grand sourire sur mes babines devant la mine ébahie de mon frère. Il se leva, lentement, affaibli par les forces de l’apesanteur. Avant de s'asseoir lourdement sur le sol, soulevant par la même occasion un léger nuage de poussière.

“Dis, t'aurai pas pus réveiller quelqu'un d'autre ? Je dormais, ça se voyait pas ? Et au fait, toi qui traine toujours dans le camp, t'aurai pas vu ou entendus parler d'un certain "Fauve Blanc" ?” me demanda mon frère, l’air encore dans les vapes, perdu, à peine sorti de ses rêveries. Je rigolais doucement, me moquant de son air pataud qu’il prenait pour me gronder parce que je l’avais réveillé. Je l’aimais bien au fond mon frère, même s’il était très paresseux parfois. Comment osait-il que je traînais dans le camp ? Je prenais sa remarque plus comme une reproche qu’autre chose. Pourquoi ? Je traînais pas de le camp, moi, je découvrais ! Pas comme ce sac à puces ronfleur en tout cas ! Je me mettais à bouder, montrant ouvertement mon mécontentement à Petit Fauve. Il avait vraiment cru que j’allais lui répondre après ce qu’il m’avait dit ? Pfff. Puis, moi, j’ecoutais les guerriers pour savoir s’il n’y avait pas de batailles ou d’autres grands événements qui se préparaient !

Et puis oui d’ailleurs j’avais déjà entendu parler de Fauve Blanc. Enfin, des miettes, des bribes troubles de son nom que j’avais réussi à capter de la gueule de quelques guerriers. Mais pourquoi il me posait une telle question ? Sortant de ma bouderie, je regardais le petit mâle noir et blanc de travers. “Hé ! Vous avez presque le même nom !”, puis, toute contente du rapprochement que j’avais fait, je retournais subitement avec mon mauvais caractère, et tournais le dos à Petit Fauve. S’il avait cru qu’il réussirait à m’amadouer comme ça il se mettait la patte dans l’oeil ! Je n’étais pas n’importe qui ! On ne me parlait pas comme ça ! Faisant les gros yeux, je méditais tout de même sur ce que mon frère venait de me demander. J’avais surpris ce nom quelques fois dans la bouche des guerriers, du chef, mais aussi, et plus particulièrement, dans la gueule d’Aile du Crépuscule. Bon. Ne pas avouer ce que je savais à Petit Fauve me tordait de remords.

Je trouvais subitement un accord. Je lui révélais ce que je savais s’il venait explorer avec moi ! Ahah ! Bon, c’etait un peu lui mettre la griffe sous la gorge, mais je ne pouvais risquer de me déshonorer. Pensive, le regard plein de malice, je finissais par me tourner vers mon frère et son Pelage blanc strié de noir. Un sourire aux coins des lèvres, je lui proposais : “Oui, j’ai déjà entendu son nom ! Mais je ne t’en dirais pas plus, à moins que tu viennes avec moi dehors !” et j’ajoutais, plus bas, manipulatrice comme je pouvais l’être à un tel âge : “Et si tu me dis aussi pourquoi tu tiens tant à connaitre son identité.” J’avais totalement conscience que le marché n’était pas très égal des deux côtés, mais c’etait soi ça ou rien. M’avancant déjà vers la sortie de la Pouponnière tout en m’assurant que Maman n’était toujours pas réveillée, j’attendais impatiemment que Petit Fauve me rejoigne. Comment pouvait-on refuser une telle offre de ma part ?

Qui aurait été assez fou pour refuser une telle alliance ? Petit Fauve me connaissait bien, très bien même, étant donné que j’étais sa soeur. Et puis, ce marché n’en était pas réellement un, au final. Il était presque anodin, à vrai dire. Mais j’aimais avoir l’impression de tout contrôler, d’être celle qui dirigeait. Oui, ça me plaisait de dicter à mon frère comment “notre marché” fonctionnait. Mais j’aimais mon frère plus que tout, et peut-être que ce n’était pas son cas, mais peu importait. En attendant qu’il réagisse, je restais bien sagement assise, à l’entrée de la pouponnière, continuant à lui faire la moue. C’était sa faute, aussi, il m’avait vexée ! On ne me disputait pas comme ça, et puis je le réveillais si je le voulais d’abord. J’étais Petit Ange, et on ne me disait pas non. Nous savions très bien, nous deux, que Maman nous disputerait si elle nous voyait nous chamailler, encore une fois. Mais, heureusement pour moi, Petit Fauve réussissait - parfois - à me battre. Dans ce cas, je faisais semblant d’avoir mal et il se faisait gronder. Ahah, j’étais vraiment maléfique ! Puis tellement intelligente, aussi … La voix de Petit Fauve résonna enfin dans mon dos, et je faisais semblant de ne pas m’y intéresser, même si j’en étais bien loin, je buvais ses paroles. “Très bien petite princesse mais d'abord, laisse-moi te dire que je ne pense pas que Petit Ange t'aille très bien. Je pense que Petit Démon aurait mieux convenus ! Alors, je veux savoir parce que j'ai rêvé que j'étais lui et maman avait l'air contente de le voir. Voilà, j'ai répondu à la première condition et maintenant, voilà la deuxième.”.

“Ma princesse”. Ah, il savait faire, avec moi. J’aimais bien quand il m’appelait comme ça, même si ça faisait un peu prétentieux, quand même. Non mais c’est vrai, quoi, qui aurait le culot de s’appeler Petite Princesse ? Petit Démon. Il était vraiment drôle, mon frère. Souvent, j’aurai voulu avoir le même humour que lui. Pourquoi n’avais-pas hérité de ça, moi aussi ? C’était super d’avoir des amis amusants, alors pourquoi n’étais-je pas aussi drôle que Petit Fauve ? oh, ça viendrait, sûrement. Et puis, il faisait des drôles de rêves, tout de même. Fauve Blanc. Oui, ça me disait bien quelque chose. Regrets Mortels en parlait, quand il discutait avec Maman. Quel chat bizarre, d’ailleurs, celui-là. Avec ses yeux rouges, là. Puis il avait jamais l’air gentil en nous regardant, mon frère et moi. Il y avait de la colère et de la haine dans son regard, sans arrêt. Et puis Maman, bah elle se comportait toujours bizarrement quand elle était avec lui. Elle était pas “normale”. Pensive, j’essayais de me ressasser toutes les fois où j’avais vu Aile du Crépuscule avec Regrets Mortels. Leurs discussions tournaient souvent autour de ce “Fauve Blanc”. Et puis, pourquoi donc Petit Fauve avait-il rêvé de lui ? Pourquoi moi je n’avais le droit qu’à des cauchemars avec Nuage de Flamme ? La vie était vraiment injuste. Bon, j’avais pas vraiment le droit de me plaindre parce que j’avais beaucoup, mais alors vraiment beaucoup de qualités, mais je voulais aussi être drôle et faire des rêves comme mon frère.

Moi, jalouse ? Même pas vrai d’abord. J’étais très contente de moi et j’étais formidable, comme le disait Maman. Et j’aurai pu très longtemps continuer sur cette voix si un énorme truc m’était pas tombé dessus. Je sursautais, et alors que j’étais toute rouge et prête à me mettre en colère, tout se dissipa, laissant place à un petit rire de chaton. Mon frère était vraiment drôle. Je ne l’avais même pas entendu venir ! Mais bon, maintenant j’étais coincée sous tous les kilogrammes que contenait le corps de Petit Fauve. Ah, mais comment pouvait-il être aussi lourd ! Moi j’étais pas comme ça ! N’arrivant pas à me dégager, je finissais tout de même pas remarquer que nous étions à l’extérieur de la Pouponnière. Oui ! Super, ça ! Alors, ça voulait dire que Petit Fauve était d’accord pour aller explorer le camp ! Youpi ! Ah, je savais vraiment bien marchander ! Mon frère miaula alors à mes oreilles : “Ta deuxième condition est OK ma princesse ! Maintenant, dis-moi ce que tu sais !” ah, il allait pas lâcher l’affaire facilement, hein ? Nous avions plusieurs points communs, en tout cas. Je jetais rapidement un coup d’oeil à Maman, qui, par chance, continuait de dormir. En effet, le camp était presque désert. La lumière du matin donnait au camp une lueur rose tamisée agréable. Petit Fauve allait sûrement pa me lâcher avant que je ne lui ai dis ce que je savais, alors je crachais le morceau, d’une voix amusée : “Maman en parlait l’autre jour, avec Regrets Mortels, le lieutenant. Je crois que c’est un guerrier. Enfin, c’était plutôt. Maman a l’air triste quand elle parle de lui. À moi les questions maintenant ! Il se passait quoi dans ton rêve, dis ?”