Le gel de l'hiver ne tue pas les vieux démons - Feat. Neph

Il faisait beau. Je plissai les yeux pour filtrer la vive luminosité du matin. Le soleil hivernal était déjà haut dans le ciel, et les reflets sur le givre m’aveuglèrent un instant. Il devait être presque midi. Je pris une grande bouffée d’air frais avant d’expirer une jolie volute de vapeur d’eau. La saison des feuilles mortes resserrait son étau gelé sur la forêt endormie. C’était pourtant durant cette période que mon âme commençait à se réchauffer. Eclair Filant, d’abord, m’avait offert son amitié. Puis, ce fut au tour de Coeur de Sapin. Grâce à eux deux, j’avais pu sortir la tête de l’eau un instant, voire trouver un point d’ancrage jusqu’à la prochaine tempête. Et même pour résister à cette tempête. Car je leur avais promis de m’accrocher et de me battre, et je ne faisais pas des promesses en l’air. Surtout pas celles qui me permettraient de peut être me libérer pour de bon de mes démons. Ce réveil était donc empreint de la nouvelle quiétude qui me berçait jour après jour. Et, lorsque je m’avançai au milieu du camp, les mauvais regards glissaient sur mon pelage comme s’il eût été imperméable. Malgré cette accalmie, je sentais que cet équilibre était fragile et que mes blessures étaient encore intactes sous l’espoir qui resurgissait. J’en prenais donc le plus grand soin.

Mais les vieux démons sont bien ancrés en nous, et il n’est pas aisé de s’en débarrasser. Je fus choisie pour faire partie d’une partie de chasse auprès de quelques guerriers et apprentis. J’avais du mal à distinguer la fourrure blanche de Salve de Flammes qui trottinait devant moi; il se confondait avec le paysage enneigé, et je faillis lui rentrer plusieurs fois dedans par mégarde. Je parlais peu lorsque je n’étais pas en présence d’un de mes amis, si bien que je me contentais de progresser au rythme de mes camarades à travers les landes enneigées, muette. Ils n’étaient pas bien bavards non plus, cependant. De toute manière, personne ne m’adressait jamais la parole hormis Coeur de Sapin et Eclair Filant; j’étais donc tranquille de ce point de vue là.

Nous nous séparâmes pour traquer le rare gibier qui perpétuait quelques activités hivernales. Je m’isolai donc du groupe, la truffe en l’air pour identifier un quelconque fumet. La fine couche de neige crissait sous mes coussinets gercés à mesure que je m’éloignais des autres. A présent, je ne les voyais ni ne les sentais plus. J’étais seule, totalement seule. Le solitude revenait m’étreinter, m’oppresser. Seule, vraiment? Non, ils étaient là, sagement tapis au fond de moi en attendant une nouvelle faille pour s’y faufiler. Fourbes créatures. Les poils de mon échine se hérissèrent, et les crocs serrés, je les repoussais aussi loin de moi que je le pouvais. J’étais fragile, je tanguais, ils le savaient parfaitement. Ils me connaissaient bien, après toutes ces lunes passées à me pourrir la vie. Je sentais mes pattes glisser du le rivage rassurant sur lequel je m’étais établie, les vagues me lécher les pattes chaque fois avec un peu plus de véhémence. Mes griffes se plantèrent dans la neige par réflexe, et ma queue striée se mit à battre l’air nerveusement. Je tiendrais bon. Je n’osais plus bouger tant la lutte qui se déroulait à l’intérieur de moi-même me demandait d’attention et d’énergie. Ne surtout pas les laisser reprendre le contrôle. Ne pas abdiquer.

Pourtant, leurs voix se firent de nouveau entendre, susurrant des horreurs à mes oreilles, que je rabattis immédiatement sur ma nuque. Je devais avoir l’air d’un chaton terrifié après un cauchemar. Sauf que ce cauchemar n’en finissait pas, et qu’il était bel et bien réel. Mes démons revenaient me hanter, et je manquais de force pour les affronter, c’était une évidence. Je n’étais pas encore assez solide pour faire front, pas encore. Je n’y arriverais pas sans aide, je me laisserais emporter de nouveau par leur courant, enchaînée à leurs médisances. Mais comment espérer être épaulée lorsqu’il n’y avait personne autour de moi? Et certainement pas Coeur de Sapin ou Eclair Filant? La panique me gagnait en constatant mon impuissance, jetant tout de même sans cesse des coups d’oeil autour de moi dans l’espoir infime d’un miracle.

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