Juweel | Will I always feel this way, so empty, so estranged ?

Elle est née et cela s’arrête ici, il serait inutile de broder. Elle est née dans une petite famille de cinq personnes. Maan, sa mère. Isekas, son père. Mystery, son frère. Smaragd, sa soeur. Elle est née et a crié par réflexe à sa naissance, comme tout nouvel être vivant crie sa vie en inspirant l’oxygène qui lui est vital. Juweel n’a pas fait exception à la règle. Elle a rampé jusqu’au ventre de sa mère, a pris son lait et a dormi comme un nouveau-né normal. Pourtant, elle ne l’était déjà pas. Elle n’a pas pleuré, n’a pas fait dans le sentimentalisme de la naissance comme peuvent le faire certains chatons. Non, elle est restée silencieuse après son cri d’éveil. Silencieuse et discrète, étonnement passive pour une jeune enfant.
Étonnement vide.
Mais elle-même ne le savait pas, peut-être que sa mère a trouvé cela bizarre, elle ne sait pas. N’y prête pas attention. Elle se réveille, mange, vit et se rendort le soir venu. Et ainsi de suite la même routine, le même silence. Est-elle capable de parler ? Nul ne le sait, pas même elle. Juweel pense beaucoup. Elle pense avec indifférence et nonchalance, n’accorde pas beaucoup d’importance au fait de parler ou non et ne prononce aucun mot. Peut-être qu’elle sera ainsi toute sa vie durant. Peut-être qu’elle parlera un jour. Pas beaucoup, juste un peu pour rassurer sa mère. Juste un peu pour lui dire qu’elle l’aime.
Juste un peu pour voir si cela en vaut la peine.
Elle ne sait pas trop ce qu’il y a dans son corps ni dans son coeur. Elle prend son vide pour la norme. Elle pense que Mystery et Smaragd ressentent la vie comme elle, avec nonchalance. Peut-être est-ce vrai, peut-être que ce n’est pas le cas. Elle a déjà pensé être bizarre mais ne s’est pas attardée plus que ça sur cette pensée. À cela non plus elle n’y attache aucune importance. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle vit avec sa famille autour d’elle. Qu’elle doit certainement les aimer même si elle ne ressent pas grand chose si ce n’est rien du tout. Elle sait aussi que l’autre jour elle s’est violemment tordue la patte avant droite et qu’elle n’a rien senti. Mais elle s’est dit que c’était normal, que ses frères et soeurs aussi, étaient comme elle. Que sa mère aussi et que c’était également le cas de son père.
Parce qu’après tout, il n’y a pas de raison qu’elle soit différente.
Elle n’a pas encore souri. Pas une fois. Pas une fois ses lèvres ne se sont étirées en un sourire, ni même en une ébauche de rictus. Rien du tout. Juste une passivité étonnante si ce n’est effrayante pour une enfant aussi jeune. N’est-elle pas censée être pleine de vie ? Pleine d’émotions ? Pleine de sensations ? Ça n’a pas d’importance. C’est ce qu’elle se répète chaque jour en posant son regard sur tout ce qui l’entoure avec ce même vide dans le coeur, ce même voile d’indifférence dans le regard. Cette indifférence si froide et si rude que l’on pourrait la prendre pour une forme d’insolence.
Voilà ce qui définit Juweel à ce jour.