La vie ne donne pas les mêmes chances à tout le monde, mais peut-être que c'est en partant mal qu'on atteint les plus hauts sommets ~ Offaly

“Pourquoi tu veux que je raconte, Gabbro ? Elle est pas intéressante, ma vie. Elle n’est pas belle, et elle est assez vide, avant toi.
- Mais, raconte ! Moi j’ai envie de la connaître.
- Ok, je vais raconter, si tu veux tant. Mes parents, j’m’en souviens pas. C’étaient des domestiques aussi, mais je pense pas qu’ils habitaient dans la même maison. Sûrement qu’ils s’aimaient. J’en sais rien, c’est pas grave, de toute façon les Bipèdes m’ont séparée tôt de ma mère, et j’me suis retrouvée dans une autre maison, toute seule. C’était un peu bizarre là-bas, ni bien ni vraiment mal, même si j’avais pas d’amis dans le voisinage. Il y avait juste quelques chats beaucoup plus vieux, et je ne m’en approchais pas. Mais j’avais envie d’un peu de liberté, alors je me promenais, toute seule. Jamais très longtemps parce que mes Bipèdes étaient gentils et ils s’inquiétaient un peu. Mais je pouvais sortir et je ne m’en privais pas. Pis j’ai grandi un peu. J’ai compris que tous les Bipèdes ne sont pas aussi gentils, je… J’ai eu mal. Ils m’ont attrapée, frappée, et… J’ai eu très mal.”

Offaly baisse les yeux, frissonne à l’évocation de ces horribles souvenirs. Mais la voix compatissante de son ami Gabbro la rassure et la pousse à reprendre le fil de son récit.

“Ils… Qui ?
- Des petits Bipèdes. J’ai même pas pu rentrer chez moi, tu sais. Mais mes Bipèdes m’ont retrouvée, et ils m’ont emmenée chez le Bipède-soigneur-qui-fait-peur. J’me souviens pas trop, je crois que j’étais peu consciente. Mais il m’a réparée, et maintenant j’ai une nouvelle patte, un peu bizarre mais elle fonctionne.
- Oui ! Et elle fait tic quand tu marches !”

Offaly sourit. Mais ce sourire n’est pas très franc, encore un peu triste, parce que ses souvenirs sont toujours douloureux. Peut-être qu’un jour viendra où elle pourra les évoquer sans ressentiment, sans douleur, sans tristesse. Peut-être qu’à force de continuer à côtoyer Gabbro, qui vit dans une maison à deux jardins de celle où elle vit depuis quelques lunes, ce sera plus facile. Déjà, elle se sent bien avec lui. Ils font les quatre cents coups ensemble et sont très proches. Une fois, alors que les Bipèdes d’Offaly l’observaient depuis la fenêtre de leur salle à manger, l’un deux s’est exclamé : “Oh regardez, elle est encore avec l’autre noir et blanc ! Ils sont trop mignons, on dirait presque un petit couple !”