Tu es comme la réincarnation de celle que j’aimais, que j’aime toujours, même si elle n’est plus de ce monde. Tu es son portrait craché, mais en même temps, tu es comme moi. Tu es nous, et c’est ce qui fait de toi la chatonne que tu es. [ft. Butterfree.]

"Tu es comme la réincarnation de celle que j’aimais, que j’aime toujours, même si elle n’est plus de ce monde. Tu es son portrait craché, sa réplique, son clone, mais en même temps, tu es comme moi. Tu es nous, et c’est ce qui fait de toi la chatonne que tu es..."

Je la regarde, cette petite chose. Cette petite chose, c’est ma fille. Bon, il fallait dire qu’elle a bien grandi depuis… Enfin. Peu importe sa grandeur, peu importe son âge, elle restera toujours ma petite fille chérie, celle que j’adore de tout mon coeur. Qui aurait pensé qu’un jour, je ressentirais ces sentiments ? Amour, amitié… Et ce sentiment dont je n’avais pas encore percé le secret, ce sentiment qui demeurait inconnu pour moi, mais pourtant, je le ressentais. Celui de devoir la protéger, la suivre, lui apprendre tout de la vie, qu’elle puisse la vivre comme il se doit. Lui apprendre à chasser, lui apprendre à se battre. Lui apprendre à se méfier des autres, mais pas trop quand même, sans quoi elle sera malheureusement comme je l’ai longtemps été. Lui montrer qu’il n’était pas mal, en fin de compte, de ressentir. Mais qu’il fallait seulement savoir se contrôler. Lui prouver que la colère et la haine étaient normales, tout comme la joie et l’amour l’étaient. Mais surtout, lui faire comprendre que parfois, dépendant notre situation, la hiérarchie sociale, il était possible de devoir faire des choses immorales à première vue pour un chaton de son âge. Je le savais, car je l’avais vécu, plus jeune, moi aussi. Et je sais qu’elle le vivra, quand elle me verra tuer des chats très probablement innocents. Et je sais qu’elle se demandera pourquoi son père, son seul modèle, fait ça. Mais je sais aussi qu’elle s’y habituera, qu’elle s’y fera à l’idée. Je ne veux pas qu’elle devienne une meurtrière sans limite comme je l’ai été, et comme ce trait de caractère sommeil toujours en moi. Je veux simplement qu’elle sache tuer pour sa vie sans ressentir de remords, sans s'apitoyer sur son sort, et qu’elle sache s’arrêter lorsqu’il le fallait.

Je ne voulais pas la mettre de côté, parce qu’en naissant, ma compagne était morte, et encore moins la renier à cause de cela. Je ne voulais pas la forcer à être ce qu’elle n’était pas, seulement lui montrer le chemin pour trouver qui elle était. Je ne voulais pas l’emprisonner, la suivre comme son ombre, juste la protéger, l’empêcher de se faire mal. Je ne voulais pas non plus lui empêcher de vivre, uniquement la prévenir des conséquences des actes, qu’elle soit conscience lorsqu’elle prendra une décision. Je ne voulais surtout pas la dénigrer en la sous-estimant, juste lui souligner que bien que nous soyons forts, il ne fallait surtout pas penser les autres pour moins forts qu’ils étaient. Parce qu’on ne sait pas ce qui se cache dans chacun. Pour certains, on peut bien sûr avoir un bref aperçu de la force, du caractère, des handicaps, mais on ne saura jamais réellement, en un seul coup d’oeil, à première vue, le véritable pouvoir qui se cache à l’intérieur de chacun. Les pouvoirs qu’on découvre que lorsqu’on apprendre à mieux connaître le chat, graduellement. Ce qui fait de lui quelqu’un d’exceptionnel. Elle pourrait bien entendu tout apprendre d’elle-même, un peu comme je l’avais fait, mais je n’aurais jamais été capable de comprendre tout ça sans Tieth. Elle m’avait beaucoup apprit. Et puisqu’elle était morte, à présent, il va de soit que c’est de mon devoir de partager à ma fille ce que ma compagne m’avait enseigné. Et lui dire que peu importe la situation, la plupart du temps, il vaut mieux être patient. En clair, je ne voulais pas être ce père que le mien avait été pour moi. Si on peut dire qu’il en avait été un.

Elle est belle, ma fille. Si jeune et innocente, encore. J’espère qu’elle ne va pas grandir trop vite. Je ferai tout pour ne pas être le père que le mien a été, et pour l’instant je me débrouille. Parfois c’est plus dur, j’ai eu peur qu’elle ne survive pas à l’hiver. Mais elle est toujours là en pleine forme, et ça me fait plaisir. Je l’aime, cette boule de poils noire. Elle ressemble tellement à sa mère. C’est son portrait craché. Au fond de moi, j’ai toujours peur de ne pas faire les choses correctement et qu’elle m’en veuille. Ou pire, qu’elle devienne autre chose que ce qu’elle doit être, uniquement par ma faute. La faute d’un parent qui n’a pas su s’en occuper et la comprendre. Je ne veux pas être comme ça, et pour Tieth, je m’efforcerai de toujours faire au mieux.

Ma fille s’approche. Malawi. L’aube se lève à peine au dehors, mais on ne voit pas grand chose. Ici, dans notre caverne, il fait toujours sombre. Comme dans le coeur de certains. Il faut que j’apprenne tant de choses à Malawi. Ça s’annonce long, mais la vie est un très long apprentissage. Un jour, elle comprendra toutes ces choses que j’ai mis tant de temps à comprendre. Je serai là pour lui expliquer, pour l’aider. Pour lui apprendre même. Se défendre est une base ici. Si on ne sait pas se défendre, on risquerait de mourir.

« Papa, papa ! Dis, pourquoi est-ce qu’on dort toujours dans ce tunnel ? Est-ce que ce ne serait pas plus agréable de dormir dehors, à la belle étoile ? Je demande ça parce que j’aime bien me sentir libre et sentir le vent contre mon pelage ! »

Peut-être un jour. Je la laisserai dormir à la belle étoile. Mais pour l’instant, elle est jeune. Je ne sais pas comment lui expliquer tout ça. Et les horreurs du monde, et les ténèbres même lorsque le soleil brille. Je ne veux pas lui faire perdre son innocence. Elle est si gentille, je ne peux pas tout détruire maintenant. Elle est trop jeune pour savoir dans quel monde nous vivons. Elle a encore le temps de voir venir, peu à peu. Je serai là pour lui montrer des choses, mais pas trop quand même. Juste le nécessaire.

« On dort dans ce tunnel pour nous protéger. Dehors, il pourrait y avoir des prédateurs. Des blaireaux, des renards, et même des chats qui voudraient faire du mal. Et puis s’il pleut, nous sommes à l’abri ici. »

Dehors le monde est dangereux. La nuit plus encore. Lorsque nous dormons, n’importe quoi pourrait arriver. Les blaireaux n’ont pas de scrupules. Je n’en ai pas non plus mais généralement, je ne dévore pas des félins durant leur sommeil.

« Un jour, lorsqu’il fera beau et chaud, je te laisserai dormir à la belle étoile, et je veillerai sur toi pour que les blaireaux et les renards n’approchent pas, si tu veux. »

Parce que pour elle je ferai n’importe quoi.

Réincarnation de mon passé.