Fuir les cauchemars du passé [PV. Acassia]

Je suis seul, du moins je le crois toujours au début. Ce maudit rêve recommence encore ! Je lève la tête pour regarder une silhouette en face de moi : je suis retombé dans mon enfance, je suis plus petit, si bien que tout me paraissait immense. J'ai beau connaître ce rêve par coeur, je ne contrôle rien, et je m'approche finalement de cette silhouette qui s'éclaircie peu à peu. Ma mère... D'adoption. Son parfum m'enveloppe, et je suis d'un seul coup submergé par un tas de souvenir heureux, des moments passés avec elle dans l'insouciance de l'enfance. Je me frotte à ses pattes, elle me donne un petit coup de langue sur le crâne en retour, puis je me recule, et observe autour de moi : dans la Tanière douillette des Familles flottait un doux parfum lacté, et c'était calme, paisible...

Je ferme les yeux. Ce n'est pas sur de beaux souvenirs que je les rouvre, mais sur la découverte de ce qui m'a, au fond, bouleversé. Je suis piégé dans la brume, au coeur du territoire de la Troupe, je marche en cherchant une sortie, mais la brume est trop épaisse. Il fait sombre, il fait froid, la nuit est glaciale et la pâle lueur de la lune n'éclaire pas suffisamment le sol. Je frissonne. Soudain, des traces de sang frais attirent mon regard. Je suis la piste, même si je sais déjà ce que je trouverai au bout. Je ne tarde pas à apercevoir, comme chaque nuit, une sombre silhouette inerte sur le sol. Je baisse la tête, horrifié par cette vision, et fronce la truffe lorsque l'odeur poisseuse du sang envahi mes narines. Lorsque je relève la tête, deux yeux jaunes brillent dans le noir, ils m'observent, me guettent. Je ne distingue rien de plus qu'une silhouette, bientôt effacée par la brume.

Je me réveille en sursaut, haletant. Je relève lentement la tête, et observe les autres chasseurs qui dorment, paisiblement, eux... Je ne peux m'empêcher de grimacer. Je fais le même rêve chaque nuit depuis la disparition de ma mère d'adoption lorsque j'étais encore novice. Je n'ai jamais compris le sens de ce rêve, en dehors du fait qu'il me rappelle de très mauvais souvenirs que je préférerai oublié. Je me lève lentement, sans bruit, et me glisse hors de la tanière. J'ai besoin de prendre l'air, et j'ai peur qu'en me rendormant, je ne sois plongé à nouveau dans le même rêve lugubre, alors à quoi bon ? Je m'arrête un instant à l'extérieur : un grand calme pèse sur le camp, il faisait encore sombre et le ciel semblait déjà assez nuageux, mais il fera jour dans peu de temps je pense. Bien, j'ai donc le temps de sortir un peu avant que le soleil ne se lève et de rentrer pour faire mes tâches de chasseur.

Je traverse le camp rapidement, puis je me retrouve à l'extérieur du camp. J'aime bien la solitude, autant profité que tout le monde dort pour être tranquille. Je marche d'un pas rapide, parcourant notre territoire enveloppé, comme d'habitude, de brume. La brume est une matière mystérieuse, un peu comme moi peut-être... Mes pattes me conduisent jusqu'à la Pierre d'Hern. Le vent souffle fort, claquant contre mon pelage brun tigré et malmenant mes moustaches. Je m'assois finalement juste à côté de la Pierre d'Hern, m'abritant ainsi du vent. Mon regard ambré perdu dans le vague, je réfléchi. Mon rêve... Machinalement, c'est à cela que je pense en premier, soulevant un tas de questions sans réponses, dont la plus importante : à qui appartiennent ces yeux dorés brillant dans le noir ? Je fais le même rêve depuis longtemps maintenant, mais je n'ai jamais su. Son assassin, sûrement...

Je secoue la tête. Je suis chasseur depuis quatre lunes maintenant, j'ai des responsabilités, et je n'ai sûrement pas le temps de me questionner sur ce rêve étrange et insensé. Je lève la truffe, dans l'espoir de sentir une proie, pour nourrir la Troupe mais aussi pour me changer les idées, mais le vent violent ne m'apporte pas l'odeur d'une proie, non... L'odeur d'un chat, un chat de la Troupe.