Je n’étais pas quelqu’un de solitaire, et pourtant j’étais seule la plupart du temps. Je n’aimais pas ça, j’avais peur d’être seule, peur d’être sans défense ni personne. Alors je m'efforçais de participer à la vie du camp, chasser en groupe, en évitant soigneusement ma mère. Je m’étais en quelque sortes liés d’amitié avec Errance Nocturne, même si notre relation s’est basé sur le rapport qu’on a avec nos mères. Ca reste une amie, et ça fait du bien ça. Mais je pense qu’avec les relations, je n’ai juste pas de chance, oui juste pas de chance. C’est bête, mais c’est la vie comme on dit.

Tout ça pour dire, que je me promenais dans la forêt, avec à la base l’idée de chasser un peu. Je fuyais un peu le camp, je m’ennuyais aussi surtout. Et je n’avais pas envie d’aller forcer la conversation avec quelqu’un. La décision avait été prise rapidement : tour en forêt. Forêt qui était bien calme d’ailleurs, la saison froide, on était en plein dedans. Je gonfle mon pelage et accélère le pas pour me réchauffer. Ce n’était peut-être pas une si bonne idée finalement. La sieste au chaud dans la tanière devenait soudainement bien plus intéressante.

En vérité ces derniers temps je repensais à pas mal de chose, j’en avais tout simplement marre de fuir. De vivre dans cette peur constante de l’autre, de ce nom que je haïssais. Jusqu’à maintenant j’avais fais avec, je ne m’y intéressais pas trop, mais faut bien s’en rendre compte. Il est affreux ce nom. Je serre les dents, frustré. J’avais peur de le changer, peur de sa réaction. Elle s’en fiche sûrement, mais moi, moi j’étais tout simplement terrifié à l’idée de faire le moindre geste contre elle. J’étais quand même persuadé qu’un jour je finirais par exploser, de terreur ou de rébellion, je ne sais pas.

J’étais plongé dans mes pensées, je fixais le sol, tout en me déplaçant. Je n’avais pas remarqué les nombreuses présences des alentours. Que ce soit le gibier des environs, le chat qui se déplaçait comme une ombre plus loin où encore les trois bipèdes indiscrets. Alors, lorsque je me retrouve nez à nez avec le groupe, mon corps, s’arrête, tétanisé. J’étais dans une bien piètre situation, et j’agissais comme un chaton terrifié. J’en connais une qui en aurait bien profité pour me rabaisser plus bas que terre. Je suis donc là, les yeux écarquillés, à fixer le plus grand des trois, qui souriait étrangement et se baissait vers moi avec je ne sais quelle idée en tête. Au moment où je me décide à m’enfuir en toutes pattes, un chat surgit de nulle part pour se jeter au visage de mon oppresseur. Mais je continue de courir pour me cacher sous l’ombre rassurante d’un épais buisson de houx. Qui, au passage m'ébouriffe le poil. Je me retourne enfin, pour essayer de comprendre la situation et découvre un chat au pelage noir de mon clan qui faisait face au trois bipèdes en grognant. Je prends mon courage à deux pattes en secouant la tête et décide de sortir de mon buisson pour aider mon sauveur tombé du ciel, mais les trois bipèdes avait déjà détallé face au pelage hérissé du guerrier. Je baisse encore une fois la tête, j’étais vraiment complètement inutile. L’autre se retourne pour croiser mon regard.

Je le reconnais enfin, Gardien des Ténèbres, je l’avais déjà croisé au camp quelques fois, mais jamais vraiment adressé la parole. Et voilà qui me venait en aide sans aucune raison, ça ne courait plus la forêt les guerriers au grand coeur dans ce clan. Et je remarque aussi qu’il s’est blessé, merde. Je balbutie, gêné qu’il se soit donné du mal pour moi, et de mon incompétence flagrante. Pas de quoi casser trois pattes à un canard cette guerrière.

- J-j’suis désolé, j’aurais dû faire plus attention. M-merci beaucoup, sans toi ça ce serait sûrement mal passé. “

Je baisse la tête, j’avais honte. Je m’approche de lui, pour vérifier ses blessures.

- Il faut qu’on rentre au camp soigner ça. Je suis vraiment désolé.”

Je me relève pour me retrouver face à lui, à une longueur de queue de souris de lui, il était un peux plus grand que moi, et me fixait toujours avec ses yeux, qui, sans mentir, étaient incroyablement beau. Je rougis furtivement et m’écarte.

- T-tu peux marcher ou t’as besoin d’aide ?

Gardien des Ténèbres me fait un sourire peu assuré et m’assure qu’il peut se débrouiller seul. J’en doute un peu, mais chacun sa fierté et puis, il est peut-être bien plus résistant qu’il ne le laisse paraître. En tout cas, la manière dont il le dit me rappelle un apprenti que j’avais côtoyé pendant mon apprentissage, toujours très fière, et qui refusais toujours l’aide qu’on lui proposait avec une voix précipité. Cette pensée m’arracha un petit rire nostalgique, j’espère qu’il ne le prendra pas mal.

Je reste à ses côtés et on prend le chemin du camp, bien plus lentement que je ne l’avais imaginé.Gardien devait-être bien plus amoché qui se le laissait penser. Ah, les mâles. Il finit par s’arrêter, un peu essoufflé. Et fixe le sol, avant de lâcher dans un soupir, que, oui, il allait peut-être avoir besoin d’aide. Je lève les yeux au ciel, il fallait le dire tout de suite mon grand, ça ne nous aurait pas fait perdre du temps. Je m’approche de lui, en prenant soin de ne pas toucher sa blessure et m’appuie contre son épaule pour l’aider à se relever. Je suis plus petite que lui, au moins il lui sera facile de s’appuyer contre moi. Sur le coup, ça me fait un peu bizarre d’être aussi proche que lui, si proche que nos pelages s'entremêlent et que nos queues se touchent régulièrement au rythme de notre marche. Je ne suis proche de personne, la cérémonie du partage je la passe la plupart du temps avec mon frère ou une bonne sympathique qui passait par là.

- Tu sais, tu n’as pas honte à avoir besoin d’aide après ce que tu viens de faire, tout le monde ne peut pas s’en vanter. Et puis ce sont les chatons qui font le fières comme ça non ?

Je lui lance un sourire emplis de bonté, pour qu’il ne le prenne pas mal. On est entre camarades de clan, il n’y a pas de mal à dévoiler nos faiblesses. Je me rapproche un peu plus de lui. Il faudrait rentrer le plus vite possible. On ne sait jamais, les bipèdes ça se déplace vite et c’est du genre imprévisible.On continue de marcher, je tente d’éviter soigneusement les racines noueuses ou les buissons aux branches piquantes, ce genre de choses.

Je repense à la situation, et je ne comprends toujours pas le comportement de Gardien des Ténèbres. Non, enfin, qui ferait ça tout de même ? Je ne le connais en rien, on ne s’est jamais adressé la parole, un ou deux regard peut-être lorsqu’on se croise au camp, ce genre de choses. Je suis du genre spontanée, mais j’avais mes limites. Lui, on ne dirait pas, ça doit-être le courage ou quelque chose comme ça. J’en rêve d’un courage comme celui-ci. Pouvoir affronter ma mère une bonne fois pour toute, vivre la vie heureuse et épanouie dont j’ai toujours rêvé. Me débarrasser de ce nom qui me colle aux pattes, ce nom qui éloigne tout le monde, à part les chatons curieux et les guerriers courageux aux yeux verts.

Sentir la chaleur du corps de Gardien des Ténèbres contre moi, est étrangement agréable, et pourtant je regarde toujours sur le côté, par peur de croiser son regard. Ajouté à ça, la conversation aussi vivace qu’une fleur en Pleine Saison des feuilles mortes. Je ne suis pas de ce genre là la plupart du temps.

- Et sinon, ça t’arrive souvent de tout risquer pour sauver quelqu’un que tu ne connais à peine ?

Dis-je mal à l’aise pour tenter de relancer la conversation et d’entendre sa voix encore une fois.

En attendant sa réponse, je réussis à garder mes yeux ancrés dans les siens. Je garde une sourire timide scotché sur le visage, et Gardien se mis à rire grassement. Je penchais la tête sur le côté pour essayer de comprendre cette réaction. Il sembla chercher ses mots un court instant.

''Je ne pouvais juste pas te laisser comme ça.''

"Te laisse comme ça." Sûrement qu'il voulait dire qu'il ne pouvait laisser un camarade de clan en détresse sans lui venir en aide. C'était normal d'agir comme ça au final, j'avais été bête de poser la question. Mais, sa réponse. Je la prenais très personnellement, un peu trop même. J'avais l'impression qu'il essayait de me dire quelque chose avec ses beaux yeux verts. Ou alors je cherchais juste à justifier les battements de mon cœur qui s'accéléraient sans raison apparente. A part, peut-être ces quelques mots d'une douceur infinis, même si la sec qui se voulait avenante n'allaient pas très ensemble. Je balbutie quelque chose comme "merci, c'est gentil". Je ne sais pas trop. Quelque chose m'empêche de parler. Serait-ce ce regarde vert transperçant ? Cette voix maladroite ? Ce pelage chaud et réconfortant ? Ce coeur qui battait à la chamade ? Je ne sais pas.

Je détourne encore une fois le regard, voyant que Gardien en fait de même.  J'avais l'impression de retourner en enfance, quand je n'osais croiser le regard des vétérans, trop intimidé. Pourtant, je ne me sentais pas intimidé, c'était autre chose. De plus agréable, mais de si étrange, presque surprenant, malvenue.

‘’Dit Abomin...’’

Il s'arrête en plein milieu, je lâche la forêt des yeux pour me tourner vers lui, intrigué.

''Ça t’embête que je t’appelle par autre chose que ton vrai nom?''

Je souris. Il n'était pas le premier à me demander ça. Ou à sous-entendre qu'il n'appréciait pas ce nom, moi la première.

'' Pour être honnête, je déteste ce nom à mourir. Il m’écœure. Autant que la personne ou les personnes qui t’a donné ce nom et j’aimerais ne pas avoir à le prononcer. ''

Je baisse les yeux. Il était du genre extrême ce Gardien. Enfin, Grizzli m'avait dit à sa façon de chaton qu'il était qu'il n'aimait pas ce nom, qu'il ne m'allait pas, et m'avait proposé d'autres noms tout sourire. Le ton neutre de Gardien me paraissait beaucoup trop sérieux, je ne pense pas qu'il faille prendre cette histoire avec autant d'importance. Enfin, je pense surtout que je m'étais habitué. J'étais une abomination pour elle. Gardien pouvait en vouloir à ma mère, il pouvait la haïr. Moi j'aurais bien aimé, par moment, la détester. Mais je n'arrivais qu'à en être complètement terrorisé. Mon nom revenait régulièrement dans les sujets de conversations, et ce nom signifiait, elle, cette chatte que je ne pouvais considérer comme ma mère. Non, décidément ce nom n'apportait rien de bien fameux. A part peut-être des attention comme celles de Gardien. Des mots qui me faisaient chaud au coeur. Ou sourire à la façon de Grizzli.

- Tu n'es pas le premier à me demander ça, appelle moi comme tu veux. Tu as sûrement en tête un surnom bien plus plaisant que ça."

Je fais une légère pause, en réfléchissant à ses paroles.

- Si tu veux tout savoir, ce nom me vient de ce qui est censé être ma mère, même si, à l'époque, Etoile de Lave ne s'est pas gêné pour relancer la chose."

Je n'aimais pas aborder le sujet de ma mère, où celui d'Etoile de Lave qui n'avait pas eu a gentillesse de complètement changé mon nom. Peut-être avait-il peur lui aussi de Prophétie Ensanglanté. Peut-être aimait-il cette curieuse manie qu'avait le clan de l'ombre pour porter des noms aussi joyeux les uns que les autres.  Je m'étais promis qu'un jour je ferais changer mon nom. Avec Etoile Fragmentée désormais à notre tête, ça ne devrait pas être un problème, il avait été un bon lieutenant, et est sûrement compréhensif. La seule chose qui m'en empêchait c'était, elle, j'avais bien trop peur de sa confiance. Un jour, peut-être que je trouverais le courage de changer ce nom. Peut-être que je trouverais ce courage grâce à être chère, qui aura su m'épauler. M'épaule. Qui étais-je en train d'épauler déjà ? Étrangement, je me mis à rougir.

- Alors, quel nom m'aurais-tu donné si tu avais été chef Gardien des Ténèbres ? Ou plutôt devrais-je dire Etoile des Ténèbres, ou Etoile du Gardien."

Je fais une pause pour rire légèrement.

- Ca te va bien Gardien, le héros tout de noir qui protège son clan et les demoiselles en détresse.

Je rigole encore une fois, je me sentais à l'aise dès que je me mettais à parler. Je le connaissais à peine et je commençais déjà à blaguer, il le prendra peut-être mal. Je n'espère pas, je commence déjà à l'apprécier. Et son odeur qui s'empreigne lentement sur mon pelage tandis que l'on marchait, je n'avais pas envie de l'oublier.

Le camp n'était plus très loin, bizarrement je n'avais pas envie que ce moment s'arrête, mais Gardien était blessé. Autant éviter qu'il soit consigné chez le guérisseur, ce serait plus compliqué pour le croiser comme par hasard dans la forêt.