Notre faim justifie mes moyens | ft. Étincelle Nocturne

C'était la journée idéale. Un temps superbe, bien que le froid continuait de pénétrer les os et que la brise glaciale mordait la chair des guerriers. Après une patrouille nocturne, Soleil Noir était allé s'étendre dans sa couche. Mais le sommeil fût de courte durée. C'est plein de dépit et de mauvaise humeur - pour changer; que le mâle aux yeux vairons commença à faire les cents pas. La patrouille de la matinée était déjà partie depuis un moment, impossible de reprendre la ronde. Mais l'hiver n'était pas encore à son terme, aussi la neige recouvrait-elle toujours de son manteau blanchâtre le sol dru sous les pattes des guerriers.

Ainsi les alentours étaient-ils recouverts de cette poudre blanche que maudissait Soleil Noir, parce qu'elle rendait ses mouvements maladroits. Le guerrier n'était pas très agile à la chasse et la neige rendait le tout encore plus compliqué que l'épreuve ne l'était déjà. Pourtant, Soleil Noir n'était pas du genre à laisser ses comparses mourir de faim. Aussi, le mâle gris savait sa mère malade. Il n'entretenait donc que peu de contacts avec elle, de peur d'être lui aussi touché. Alors que l'hiver était rude, il était donc crucial que certains sortent et ce malgré la rareté des proies. Soleil Noir s'apprêtait à tenter sa chance - le terme de chance étant particulièrement bien choisi...

C'est au temps du zénith du soleil, lorsque l'heure était la plus chaude - ironique de parler de chaleur; que Soleil Noir emprunta la sortie du campement du Tonnerre, non sans avoir prévenu de son excursion. Les Rochers du Soleil, c'est là que j'irai: touchés par le soleil, leur légère chaleur est propice à la sortie des proies, pensa le guerrier, déterminé à se rendre quelque peu utile. Le matou frissonna lorsqu'une petite bise courût le long de son échine tigrée. Il prétendit n'en avoir cure et gonfla son pelage pour tenter de réchauffer ses muscles endormis par le froid. De petites volutes de fumées s'élevaient de sa gueule alors que ses pattes s'enfonçaient dans la neige. Je vais finir par geler sur place, se dit-il en pressant le pas. Mais alors qu'il n'était pas rendu aux rochers, un odeur attira son attention. Son corps massif se stoppa net. Aux aguets, il repéra alors, proche d'une racine, un minuscule mulot. Ça fera l'affaire, s'imagina le mâle en se préparant à la chasse. La neige, cette maudite neige, entravait ses mouvements. La proie, elle aussi, semblait en quête de nourriture. Le moment était propice à une chasse menée à bien.

C'est confiant que Soleil Noir emprunta la position du chasseur, prenant soin de faire le moins de bruit possible. Mais alors qu'il se rapprochait inexorablement, le mulot sembla se rendre compte que la mort était elle aussi, très proche.

« Crotte de renard ! »

La course poursuite était lancée. Et c'est qu'il filait vite, le bougre. Le linceul blanc ne semblait pas l'entraver et Soleil Noir s'imaginait déjà rentrer bredouille. En réalité, il n'avait pas fait attention au bruit de l'eau, qui se faisait maintenant omniprésent. C'est lancé dans sa chasse que Soleil Noir arriva sur la berge. Le mulot prit un virage serré, courant vers une racine proche de l'eau. Le mâle poussa un grondement sonore et prit appui sur un roc mousseux pour bondir sur la proie minuscule. Sa maladresse eût cependant raison de lui. Soleil Noir ripa sur la roche, se rattrapant de justesse à la terre gelée de la berge. Alors qu'il se redressa pour bondir, Soleil Noir vit le petit mulot s'enfiler sous la racine. Il pesta tout haut de rage, rejoint l'arbre qui avait un pied dans l'eau calme pour tenter d'en extirper le petit mulot. S’essoufflant d'injures, emporté par sa déception, Soleil Noir ne faisait désormais plus attention à l'autre côté de la rivière, qui pouvait pourtant avoir des yeux...