A heart that’s broke

is a heart that’s been loved

C’était chiant, les insomnies.

J’en faisais depuis que j’étais pleine. A cause d'Épine de Cactus, justement. Je crois que j’avais peur de le voir dans mes rêves, sous la forme d’un guerrier du Clan des Etoiles, et donc savoir qu’il est mort. Parce que j’avais beau ne rien savoir de sa condition actuelle, je ne pouvais pas me résoudre à le voir dans mes rêves, à savoir sa prétendue mort. Cela me ferait trop mal.

Je crois que j’ai peur de voir les souvenirs qu’on a partagé ensemble, aussi. J’ai peur de revivre tous nos souvenirs, des jeux et des combats que nous avons menés jusqu’à notre dernière nuit ensemble. Parce que mes rêves m’ont déjà prouvés qu’ils étaient capable de reproduire une scène jusqu’à ses moindres détails. Et j’ai peur. J’ai peur de revoir ça, parce que je sais que je risque de resombrer, après. Et je ne veux pas couper la paix fragile que j’ai instaurée après des lunes de souffrance.

Je ne l’oublierai jamais. Et mon coeur ne cessera jamais de saigner en pensant à lui et à tout ce que nous avons vécu, ou encore à notre brave fils qui se dresse devant moi. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles je serai totalement incapable de m’engager dans une nouvelle relation, avec qui que ce soit. Parce que je ne cesserai jamais de l’aimer, car mon coeur lui appartient, et aussi parce que ma peur de plonger encore dans les ténèbres est tapie en moi. Je ne peux pas faire ça, je ne peux pas affronter le regard de mon fils qui me verra me reconstruire, et surtout, je ne peux pas ressentir de l’amour pour une autre personne que mon compagnon. J’en suis incapable, il m’a pris mon coeur et mon âme, tout comme j’aime penser que j’ai le sien. Il était beau. Nos moments étaient magnifiques, et ils resteront gravés dans ma mémoire, à tout jamais. Et j’aurais toujours des larmes de bonheur mêlées de nostalgie en y repensant.

Mais maintenant, je n’ai plus mal. Je n’ai pas de regrets. Je suis en paix avec moi même, parce que je sais que je me suis donnée corps et âme dans cette histoire, et que j’ai fait tout ce que j’aurais pu pouvoir faire. Je l’ai aimé passionnément, avec tout l’amour que j’étais capable de porter à une personne, et je ne regrette rien de tous ces sentiments qui m’ont submergée. Notre histoire était courte, oui, mais elle était belle. Oh, par le Clan des Etoiles, elle était magnifique. Comme je l’ai aimé. Comme j’ai aimé tout ce qui le caractérisait et comme j’aime le magnifique fruit de notre amour qui grandit devant nous. Notre histoire n’aurait jamais pu durer éternellement, et nous le savions pertinemment tous les deux. Quelqu’un aurait fini par découvrir la supercherie, ou nous aurions craqué. Mais nous savions dans quoi nous nous engagions et je ne regrette pas une seule seconde. Pas une seule. Elle était courte, mais elle était belle. Et cela me suffit largement. Tant que je peux voir le fruit de mes entrailles et les souvenirs dans ma tête, je n’ai plus mal. Et cela me suffit.

Parce que malgré tout, un coeur brisé est un coeur qui a été aimé. Et j’en suis reconnaissante au Clan des Etoiles et à Epine de Cactus d’avoir élevé mon coeur tellement haut, tellement plus haut que ce que je n’aurais jamais cru pouvoir. Je suis heureuse d’avoir aimé et aimé en retour. Je suis reconnaissante d’avoir ce coeur brisé entre mes mains, parce que l’amour qu’il a reçu est tellement indescriptible et ineffable et fort qu’il en faudrait des lunes pour en raconter toute l’histoire.

Parce que une vie avec de l'amour est une vie qui a été vécue.


Alors je me lève. Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit, mais c’était plus que ce que je n’osais espérer il y a quelques lunes. Et à force, je me suis habituée au manque de sommeil. Je sors dehors, avant que tout le monde se réveille, pour me retrouver face au monde qui s’éveille. J’ai toujours aimé me lever avant les autres, c’est une habitude qui me vient depuis que je suis chatonne. Et surtout, j’adore observer ce que je vois.

J’ai toujours aimé l’aurore. Elle incarne à mes yeux l’espoir.

Je prends une proie que je mange rapidement, avant de nettoyer mes babines et me lever sur mes pattes. Je vois mon fils dormir d’ici, et je souris. Comme il est beau. J’adorais l’observer dormir quand il était petit, encore avec moi dans la pouponnière. J’aimais bien voir la plénitude envahir son visage endormi. Il ressemblait à son père, dans ces moments là.

Soudain, je vois Brisure du Temps approcher. Je lui souris et le salue. Je ne le connais pas personnellement, mais je sais qu’il est le frère de Bulle Éclatante, ma protégée. Il avait l’air sympathique, bien qu’un peu tout le temps dans les nuages. Je n’aimais pas du tout sa mère, mais j’étais la première à savoir qu’il ne fallait pas juger les gens selon leur ascendance. Il me proposait de me joindre à la patrouille de l’aube, ce que j’acceptais volontiers. Il allait prévenir un autre chat, de tout évidence un apprenti, qui me disait quelque chose… Ah, oui, Nuage de l’Avarice. Il était dans la pouponnière avec mon fils, mais je ne lui avait pas accordé grande attention. Les rumeurs circulaient entre l’origine de son père, un supposé domestique, et sa mère qui l’aurait prétendument rejoint en abandonnant leur enfant. Je ne connaissais pas sa mère, mais il est évident que son acte est condamnable. Je le regardais attentivement. Je savais pertinemment ce qu’il pouvait ressentir, et j’espérais de tout coeur qu’il n’aurait pas à faire à un chat comme Baie d’If. Sinon, j’allais m’en occuper personnellement. Je ne supporterai plus de laisser quelqu’un se faire martyriser par la simple raison que son ascendance est douteuse ou inconnue. Je ne peux pas laisser ça passer.

J’attendais devant l’entrée, pensive. Nous étions tous les trois des chats aux ascendances pourries. Cela me faisait rire, ahahah. Brisure du Temps me rejoint bientôt et nous attendions de pied ferme l’apprenti. Mais qu’est-ce-qu’il faisait ? Je rêve où il fait une sieste ? J’allais commencer à le lever et à le tirer par les oreilles pour lui apprendre la politesse lorsqu’il commençait enfin à se bouger le cul. Hm. Voilà quelque chose que j’allais transmettre à mon père. Les paresseux n’ont pas leur place au Clan de l’Ombre. Je restai silencieuse pendant qu’il nous présentait des excuses dégoulinantes d’hypocrisie avant de nous engager dans la forêt.

Brisure du Temps lançait le départ, et la patrouille commençait. Nous étions tous sur nos gardes, et tout allait bien, lorsque je sentis une odeur qui me fit froncer le nez. Je tournai les yeux vers les deux autres pour savoir s’ils l’avaient senti aussi.

J’espérais rêver, sinon, nous allions nous retrouver avec un énorme blaireau sous les bras.

Feat Cousine & bichou

(c) Biket