D’agréables rencontres avaient animé les dernières journées de la femelle. Près de six lunes en arrière, la femelle sans poils avait rencontré une domestique du nom de Pythagore. Si la méfiance avait été le premier sentiment ayant traversé l’ancienne guerrière, Croc Blanc avait fini par lui demander son aide : d’abord avec son père car elle souhaitait partir à sa recherche, puis avec le mal qui la rongeait. Et elle avait obtenu cette aide pour les deux sujets. En effet, Gizeh était lui aussi un chat sphinx qui habitait loin, presque à l’écart de la ville dans un énorme manoir gardé par des putains de cabots ; il n’était pas non plus celui qu’elle pensait. C’était en effet un matou vicieux, méchant, des traits dont elle n’avait pas hérité par chance, elle avait hérité au contraire de la douceur et de la gentillesse de sa mère — elle avait sûrement hérité de la méfiance de son père, ce qui la rendait si froide et si réservée en présence d’inconnus. Ainsi, l’ancienne guerrière n’avait jamais voulu mettre les pattes là-bas, qu’on lui montre le chemin ou non.
Par la suite, Pythagore lui avait proposé son aide chez elle, dans sa maison avec sa bipède. Si l’idée ne l’avait pas vraiment réjouit, Croc Blanc n’était pas encore prête à mourir. Ainsi, elle avait accepté. On s’était occupé d’elle durant la saison des neiges et elle n’était désormais plus malade maintenant que la saison des feuilles vertes était présente. Cela faisait depuis le début de la saison des feuilles nouvelles que Croc Blanc avait quitté la ville des bipèdes et pourtant, elle repassait de temps en temps entre la frontière du Clan de la Rivière et les maisons, dans l’espoir d’y découvrir un guerrier de son ancien clan ou la domestique qui l’avait grandement aidée, voire même sauvée.

Si le soleil était au rendez-vous aujourd’hui, la chaleur l’était aussi. Malheureusement, la féline solitaire avait quitté sa grotte depuis bien trop longtemps pour y retourner et le seul endroit où elle parvenait à avoir de l’eau fraîche et de l’ombre, c’était près de la rivière, à la frontière du Clan de la Rivière. Du bon côté de la rive, pour ainsi dire. Alors que la femelle sans poils lapait l’eau, un bruit très léger, très discret se fit entendre, à croire qu’on l’espionnait. Était-ce Regard Amer qui passait par là ou un autre guerrier ? Croc Blanc n’avait aucune envie de croiser sa mère ou son frère dans les parages, alors elle décida de se reculer, plus vulnérable que jamais. Puis elle réfléchit : après tout, si elle avait entendu un bruit, c’était qu’elle était vue. Alors quitte à être vu, autant se montrer droit et fort. « Eh ! Je t’ai entendu, sors de ta cachette sale bouffeur de poissons ! Tu ne me fais pas peur ! » dit-elle, sur la défensive.