I'd normally slap your face off | PV Nono-chou

I'd normally slap your face off  

Pelage de Loutre était rayonnante. Comme d'habitude, me direz-vous. La noiraude tâchait toujours de renvoyer une bonne image. Lorsqu’on visait le haut de la hiérarchie, il était important d’être appréciée. Alors oui, son caractère impétueux ne la privait pas d’excès de colère ou de remarques bien senties, mais ses camarades retenaient surtout sa fougue et sa bonne humeur. Avec Pelage de Loutre, tout était gai, on se marrait ! Elle était comme ça ! Un vent de fraîcheur au sein du camp !

Et il fallait dire que le Clan en avait besoin en ce moment, de fraîcheur. Ces derniers jours avaient été agités. Entre la trahison de Sourire Espiègle et le coup d’État qu’ils avaient orchestré avec Folie des Nuits, les membres de la Rivière ne savaient plus sur quel pied danser. Au sein du camp, l’ambiance était mitigée. D’un côté, il y avait ceux qui, outrés et déshonorés, maudissaient leurs nouveaux supérieurs. De l’autre, le groupe de rebelles se languissait de leur victoire. Pelage de Loutre était clairement de ceux que la situation ravissait. Les rageux diront qu’elle a trahi son clan et que sa bêtise la perdra, mais elle n’était pas du même avis. Au contraire, elle avait contribué à faire avancer les choses !  Elle irait même jusqu’à dire qu’il s’agissait d’un acte de bravoure ! Le Clan de la Rivière avait trop souffert lors du règne d’Etoile des Songes, il lui fallait un leader, un vrai, et ce n’était pas Etoile Courageuse. Même si la femelle blanche avait fait preuve de bonne volonté, elle n’avait pas été capable d’unifier le clan, c’est pourquoi il avait été aussi facile de la faire sauter. Dommage ! Peut-être pourrait-elle retenter sa chance dans une autre vie. Ne vous méprenez pas, Pelage de Loutre n’approuvait pas pour autant le règne des deux nouveaux dindons qui se pavanaient sur le promontoire. Disons plutôt que c’était une phase de transition avant l’ascension du seul félin qui méritait de conduire la Rivière : elle !

Pelage de Loutre s’extirpa de la tanière des guerriers, bien décidée à élaborer un plan pour se débarrasser de ses deux concurrents. Après avoir salué quelques un de ses camarades, elle entreprit de faire sa toilette. Tandis qu’elle se lapait l’épaule, une drôle d’odeur l’attira. Le genre d’odeur qui n’annonce rien de bon. Le genre d’odeur qui pue, pour être entièrement franche. La noiraude fronça les sourcils. Manquerait plus qu’elle se soit foutue dans une merde de renard ! Après avoir inspecté son flanc, elle remarqua que l’une de ses plaies avait mauvaise mine. La bataille qu’elle avait menée quelques jours plutôt avait été sanglante. Elle en était ressortie avec une belle entaille le long de son ventre. Nombreux étaient ceux qui avaient souffert de blessures plus graves. Les visites chez la guérisseuse s'étaient enchaînées. Même si cela faisait que rajouter du travail à Rêve de Pluie, Pelage de Loutre ne pouvait s'empêcher d’éprouver de la fierté à l’idée d’avoir terrassé ses adversaires.

La noiraude passa quelques coups de langue sur la plaie qui semblait s'infecter. Au vu du nombre de blessés, elle n’avait pas jugé nécessaire d’aller voir Rêve de Pluie, elle avait même fini par s’habituer à la douleur. Mais il semblait que son flanc ne lui laissait pas le choix, il puait trop pour qu’elle reste sans rien faire. Sans plus attendre, la noiraude s'avança vers la tanière de son amie.

- Comment ça va là dedans, lança-t-elle pour annoncer sa présence, voilà ta patiente préférée !

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Oulalala, mais c’est que madame Rêve de Pluie passait une mauvaise journée ! Pelage de Loutre avait l’habitude de supporter le mauvais caractère de son amie. Ça l'amusait, même. Un jour, elle finirait par la renommer Rali-Ralou. Elle se moquait souvent de la guérisseuse à ce sujet, mais toujours sans reproches. Elle avait bien conscience que c’était en partie grâce à ça que leur amitié perdurait. La noiraude était du genre à écraser son entourage. Il fallait savoir lui tenir tête pour ne pas virer à une relation malsaine.

- Si tu as vraiment mal, tu peux rester. Sinon, tu dégages. Pas de traîtres dans ma tanière.

En temps normal, la guerrière n’aurait pas prêté attention à la pique lancée par son amie. Elle se serait contentée de dédramatiser la situation en blaguant et puis c’était reparti mon kiki ! Rêve de Pluie aimait bien l’humour. Enfin, la charbonnée ne savait pas si ces vannes étaient réellement fun ou si la grise riait face aux efforts qu’elle faisait pour lui arracher un sourire. Dans les deux cas, le résultat était le même ! La soignante était heureuse pendant quelques secondes, et c’était tout ce qui comptait.

Mais ce coup si, Pelage de Loutre n’avait pas envie de se bidonner. Son ego la titillait. Une traîtresse ? C’était ça que la cendrée pensait d’elle ? Ah bha oui, c’était facile de sortir les grands mots lorsqu’on ne s’était pas bougé le cul pour faire avancer la situation. La noiraude avait du sang sur les pattes, mais au moins, c’était grâce à elle si le Clan commençait à remonter la pente ! Traîtresse, tu parles ! Le Clan avait besoin de changement ! C’en était assez des chefs fantômes ou de ceux qui n'étaient pas foutus de prendre deux décisions par eux-mêmes. Étoile Courageuse était bien gentille, mais pour diriger un groupe, il fallait du tempérament !

Sur le moment, Rêve de Pluie lui sortit par les yeux. Pour ne pas céder immédiatement à la colère, la charbonnée prit le temps de réfléchir à sa réponse en passant un coup de langue sur sa plaie. Elle s’exprima ensuite avec un air condescendant, comme si la grise ne savait pas de quoi elle parlait :

- Tu t’intéresses à la politique du Clan toi maintenant ? C’est nouveau.

La soigneuse n’avait toujours juré que par sa sainte neutralité par rapport aux décisions de ses supérieurs. Sans doute avait-elle un avis, mais jamais elle ne se mêlait aux histoires. Jamais elle ne se rebellait. Jamais elle ne tapait du poing sur la table. Et Dieux sait qu’elle pourrait ! Elle était guérisseuse par le Clan des Étoiles, elle pourrait dire n’importe quoi que tout Cerf-Blanc l’écouterait ! Mais non non, elle restait aussi lisse qu’un galet. Alors grand bien lui fasse, si c’était la vie qu’elle avait décidé de mener. Mais dans ce cas, qu’elle se garde de lui balancer son jugement à la tronche. Surtout qu’il ne lui semblait pas qu’elle se soit battue outre mesure pour secouer Etoile des Songes lorsqu’il n’était encore qu’un cadavre ambulant. Donc “gnagnagna pas de traites dans ma tanière” ça allait cinq minutes. Au moins les traites, eux, ils avaient fait bouger les choses.

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Cette journée, qui avait pourtant si bien commencé, était en train de prendre une toute autre tournure. Pelage de Loutre se sentait bouillir. Le dédain de son amie. Ses paroles. Cet air si détaché qu’il en devenait insolent. Ne pouvait-elle pas se retourner ? Qu’est ce qu’il y avait de plus intéressant qu’elle dans ces putains de toiles d’araignées ? Alors c’était ça ? Madame la guérisseuse avait tellement de mépris à son égard qu’elle ne faisait même pas semblant de lui lancer un regard ? Oooh, Pelage de Loutre aurait tout donné pour que Rêve de Pluie puisse retrouver la vue, ne serait-ce que quelques secondes. Juste pour qu’elle puisse se confronter à l’expression que la guerrière lui adressait en ce moment même. Juste pour qu’elle puisse admirer à quel point la charbonnée avait envie de la tarter. Que l’image du monstre qu’elle avait en face d’elle la rebute, l’effraie, qu’importe tant que ça restait gravé dans sa mémoire, et qu’elle n’en dormait plus la nuit !

Effectivement, Pelage de Loutre ne souhaitait rien de bon à celle qu’elle considérait comme son amie. Enfin, amie… Avait-elle réellement envie de continuer une quelconque relation avec quelqu’un qui lui manquait ouvertement de respect ? Une traîtresse. Rêve de Pluie ne se cachait pas pour cracher sur sa réputation. Pourtant, la guérisseuse n’était pas la seule à le penser. Il y en avait bien d’autres dans le clan, des imbéciles, des lâches, qui échangeaient des messes basses à ce sujet. Mais cela n’affectait pas la guerrière. Elle se moquait bien de ce que pouvaient penser les demeurés. Elle ne les avait jamais estimés et ne les estimerait jamais. Ils se qualifiaient de loyaux, mais c’était juste des félins incapables du moindre sacrifice. Le genre de chat sans volonté qui se satisfait de n’importe quelle autorité pour peu qu’on ne le bouscule pas trop. Pelage de Loutre n’avait pas le temps de prêter attention aux remarques de ceux qui ne lui arrivaient pas à la cheville. Mais venant de Rêve de Pluie. Venant de quelqu’un qu’elle aimait, pour qui elle s'investissait et à qui elle avait accordé sa confiance. Elle ne pouvait l’accepter.

Au fond d’elle même, tout au fond, derrière ses murailles de haine et de rancoeur, Pelage de Loutre sentait quelque chose se briser. C’était son coeur. Son coeur qu’elle ne voulait offrir à personne. Son coeur qu’elle tentait de protéger, car c’était bien le semblant d’humanité qu’elle possédait. Rêve de Pluie s’y était immiscée, elle s’y était fait une place. Et maintenant, elle le lui broyait. Elle l’écrasait avec soin, et sans une once de culpabilité. Si elle s'attardait trop sur cette douleur, la noiraude aurait été capable de lâcher une larme. Peut-être même qu’elle aurait fini par perdre tous ses moyens et par se morfondre en excuses. Mais Pelage de Loutre était une conquérante. Un putain de molosse qui vous chope à la gorge au moindre signe d’agressivité. Elle était née guerrière. Elle subissait les coups, mais elle les rendait plus fort. Toujours plus fort. Parce que c’est comme ça qu’un combat se gagnait. Parce que c’est comme ça qu’on vivait à Cerf-Blanc.

Si Rêve de Pluie s'avançait dans ce jeu dangereux, elle suivrait. Elle relancerait les dés, même ! Elle s'entêterait, pour la voir crouler sous les blessures, pour lui renvoyer toute la douleur qu’elle ressentait, et surtout, pour que plus jamais ne lui revienne l’envie de lui adresser des mots pareils.

Alors la bête chargea. Pelage de Loutre s’engouffra pour de bon dans l’antre, la queue fouettant l’air. Son pas lourd en disait long sur ses intentions. Elle aurait pu lever la patte sur la guérisseuse. Au fond, elle en mourrait d’envie. Mais elle ne le ferait pas. Qui se rabaisserait à ça ? Blesser un guérisseur n’avait pas de sens, c’était de la bêtise profonde. Et quand bien même elle l’aurait défigurée, Rêve de Pluie n’aurait même pas eu le luxe d’admirer le résultat.

- Je peux savoir en quoi ça t’emmerde ? Dans tous les cas, ça ne change rien pour toi. Tout ce qu’on te demande c’est de faire des putains de cataplasmes et de fermer ta gueule.

Sans doute êtes-vous en train de vous demander quelle insulte qualifierait mieux Pelage de Loutre à l’heure actuelle ? Oui, traîtresse n’était pas un mot assez rude finalement, j’en conviens. Mais vous pourrez bien la traiter de tous les noms, le fauve était lâché. La charbonnée était passée en mode destroyer et seule la colère régnait. Elle tambourinait, dans ses tempes, dans ses poumons, dans son sang.

Le visage déformé par la rage, elle fixait la guérisseuse. Le souffle court, les crocs découverts sans même s’en apercevoir, Pelage de Loutre ne savait pas quelle force divine l’empêchait de bondir sur la femelle grise. Si elle avait été en face d’un guerrier, nul doute qu’elle l’aurait embroché en moins de deux.

Traitresse.

Ce mot résonnait encore et encore dans la tête de la charbonnée. Elle allait le lui faire regretter. Regretter de la dénigrer ainsi, et surtout, regretter de se mêler de ce qui ne la regardait pas. Pelage de Loutre en avait ras le cul de ces beaux principes. Foutue guérisseuse. Étoile Courageuse ou pas, cela ne changeait rien à sa condition de soignante. Alors qu’est-ce que ça pouvait bien lui foutre ? Quoi qu’il arrive, elle serait toujours coincée là à bouffer des plantes. Mais elle n’avait pas à se plaindre, au moins elle était nourrie et logée. Tss, elle n’allait quand même pas lui faire croire que l’ancienne meneuse était devenue sa nouvelle BFF en moins de deux jours ? Tu parles, c’était juste de la lâcheté. Finalement, peut-être que Rêve de Pluie ne valait pas mieux que tous les autres crétins qui chouinaient depuis la prise de pouvoir de Folie des Nuits. Finalement, peut-être que Pelage de Loutre s’était trompée. Peut-être qu’elle n’avait rien de bon à faire avec la guérisseuse. Peut-être que cette relation était vouée à l’échec dès le début.

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Elles avaient été amies. Elles avaient tissé des liens forts, très rapidement. Ça avait été comme une évidence. Vous savez, ce genre d’amitié qui, sans que vous ne l’ayez prémédité, s'impose à vous. Ce genre d’amitié qui fait des étincelles et qui vous fait grandir. Ça en devient presque fraternel. Et il vous arrive, dans des moments de complicité, d’avoir l’impression que le temps s’arrête, de regarder cette personne et de vous dire “Qu’est ce que je ferai sans elle ?”

C’était ce type d’amitié qu’avaient vécue Rêve de Pluie et Pelage de Loutre. Mais c'en était fini. Il n’en restait que des miettes, bonnes à jeter aux poissons. Oh, la charbonnée aurait pu trouver des choses à sauver dans cette relation, mais elle n’en voulait guère. Pas un souvenir, pas une parole rassurante, pas un regard. Aujourd’hui était le dernier jour où elle considérait la soignante. La grise n’aurait bientôt plus sa place ni dans sa tête, ni dans son coeur, ni dans sa vie. Elle tirait un trait sur elle, définitivement.

Pelage de Loutre eut enfin l’honneur d’affronter le visage de la guérisseuse. Il était neutre, terne, comme à son habitude finalement. C’était à croire que rien n’était venu perturber le calme de sa tanière. Cette constatation ne fit qu'aiguiser la colère de la bête. Elle souffrait. Et elle voulait que sa camarade souffre également. Elle voulait le voir. Trouver une nouvelle faille dans laquelle s'immiscer. Avoir la preuve qu’elle était en train de gagner ce combat.

- C’est bien parce que je ne veux pas me taper des discours méprisants comme ça que je préfère Etoile Courageuse à ton cher Folie des Nuits et ta communauté de traîtres. Elle respecte mon travail, elle. D’ailleurs, je vais attendre un peu plus d’estime avant de t’appliquer mon putain de cataplasme.

Le mépris dans la voix de Rêve de Pluie semblait indiquer qu’elle arrivait à court de patience. Pelage de Loutre s’en réjouit. La réalité était désagréable à entendre ? Tant mieux. Qu’elle se morfonde au fond de sa tanière avec sa vie de merde. La charbonnée avait assez donné. Et elle ne prendrait plus de pincette face à une hypocrite pareille. Toutefois, l’évocation de sa trahison renfrogna une nouvelle fois son ego. Elle aboya :

- Etoile Courageuse était faible ! C’est pour ça qu’elle te donnait un semblant d’intérêt ! Elle n’avait pas le choix. Les faibles se soutiennent entre eux.

La charbonnée fouetta l’air de la queue, comme pour se calmer. C’en était trop. Un mot de plus et elle la réduisait en charpie. Elle se détourna de son interlocutrice afin de regagner le peu quiétude qui lui restait :

- Et tu peux te le garder ton traitement. Ce n’est pas comme si j’avais besoin de toi de toute façon.

À ces mots, Pelage de Loutre sentit son coeur se fissurer. Ne voulant pas s’y attarder, elle quitta les lieux, laissant Rêve de Pluie seule face à leur relation déchue.

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