Je choisis de faire quelque chose que je fais pas souvent, à peine quelques instants après mon réveil. Je veux rejoindre le camp pour demander à Lune Ambrée d'aller chasser avec moi. Je me rappelle sans cesse de sa gentillesse et de sa générosité depuis qu'il est venu me voir. Je suis déjà allée lui rendre visite à la suite de cette rencontre, mais c'est la première fois que je veux faire une activité quotidienne avec lui. D'habitude, on discute devant le coucher du soleil, ou alors à l'aube, quand il n'y a que peu d'ombres dans le camp, ou du moins aux alentours. Mais là, pour une fois, j'y vais alors que l'aube est passée depuis quelques heures. Le soleil se lève bien tôt en cette saison chaude, et j'ai veillé tard hier. Je n'ai pas su me réveiller plus tôt, ce que je fais pourtant habituellement. Mais bon, ça me forcera à sortir devant les autres. De croiser leur regard mêlé dans cette brume que je connais bien, et qui les entoure sans cesse. Je peux savoir de nombreuses choses. Je sais qu'ils me regardent, alors que leurs yeux ne sont que de petites billes dans cette étendue sombre ou claire. Mais, je n'ai pas besoin de le voir pour le savoir. Leur regard sur ma peau se fait ressentir. Comme un frisson, et je déteste ça. Après, je peux être parano, ce n'est pas une impossibilité. Je sais que depuis que je suis petite j'invente de nombreuses choses. Je ne peux même plus me faire confiance véritablement. Mais au moins, je peux désormais oser sortir devant eux.

Je passe une patte au dehors suivie des autres. Je suis hésitante, mais après un rapide regard autour de moi, je me détends en remarquant qu'il n'y a personne dans les environs. Je suis seule, dans mes pensées, et devant mon terrier de lapin. Mes muscles se font moins crispés tandis que je commence à marcher en direction du camp. Peu savent où se trouve mon antre, et c'est mieux ainsi. De plus; peu peuvent y rentrer, tant l'entrée est étroite. Si bien, que je suis certaine que les plus gros ne me dérangeront pas. C'est là que je suis heureuse d'avoir la taille d'une apprentie. On a pu me juger, mais maintenant je m'en fous. Cela me permet d'avoir plus d'un tour dans mon sac. Je peux en surprendre en me faisant oublier de n'importe quelle sorte. Je ne sais même pas si le chef se souvient encore de moi... Oui, c'est vraiment une question que je me pose en moi-même.

Je rentre dans le camp toujours aussi peu rapidement, et en gardant la tête basse. Automatiquement, je me dirige vers la tanière des guerriers pour y chercher mon ami, mais je ne parviens pas à l'y trouver. Donc, je choisi de lever la tête pour regarder autour de moi. Là-bas. Il est là-bas, en plein milieu de la clairière principale. Je me dirige vers lui; avant de m'assoir à sa hauteur. J'ai pris soin de ne croiser le regard d'aucun autre, si bien que je ne remarque pas les ombres chats qui passent juste derrière moi. Je me contente de demander doucement au matou :

Bonjour ! Dis, tu veux chasser avec moi ?

Le bout de ma queue se balance de droite à gauche, avec une lenteur peu commune. J'essaye de montrer ma joie, quant au fait que j'arrive à aller vers un chat sans difficulté. Donc ma queue se balance, toute seule, sans aucune hésitation. Je la laisse faire, mais d'un côté, je ne m'y intéresse pas non plus. Mon regard finit par quitter le chat avec lequel je veux parler pour rejoindre les différents arbres. Les feuilles qui sont encore sur les branches commencent à jaunir, au fur et à mesure du temps qui passent. La saison des feuilles mortes approche, et on peut le voir. On peut le deviner en regardant la nature qui s'offre à nos yeux. Elle est véritable, contrairement aux chats que l'ont peut côtoyer. Elle ne cache pas des choses, elle montre tout. Elle ne devient pas une ombre, ni une ombre féline. Elle est comme elle est, pas autre chose. Je sais que ces feuilles ne sont pas une chose de cachée. Je sais qu'elles resteront ainsi, et que quand elles meurent, ce n'est que pour renaitre plus tard. La vie des feuilles est éphémère, tout comme la notre. Mais on sait qu'elles revivront plus tard, dans une autre saison. Un renouvellement du cycle. Ce n'est pas comme un chat. Un chat n'a qu'une seule vie, et elle est, en général, faite de mensonges. Ma famille m'a offert des mensonges, tout comme de nombreux chats de mon Clan. Tous peuvent offrir des mensonges. Tous. Tous cachent des choses, que peu savent.

Je reviens sur le chat, mes yeux se posent sur lui tandis qu'il acquiesce à ma proposition. Il veut bien chasser avec moi, et ça emplie mon coeur de joie. Je vais enfin avoir une chasse avec un autre que j'ai choisi ! Et c'est aussi une réussite. J'ai parlé avec un chat, et j'ai réussi à obtenir quelques chose. Enfin, si on enlève mon frère. Je ne vais que vers peu de chats.  J'ai appris à faire sans les autres, et ce, depuis des dizaines de lunes. Et changer ça, c'est compliqué. J'ai encore du mal à remettre la confiance en les autres, et peu semblent près à le faire.

Ça te va d'aller au chemin de bruyère ? Normalement... On devrait être tranquilles et il devrait y avoir plein de proies.

Je lui souris alors qu'il part déjà vers la sortie. Je le suis d'un pas aussi rapide que le sien. Je ne lui passe jamais devant, je reste à ses côtés. Je suis ses traces, tout en les décalant sur le côté. C'est au bout de quelques pas que je sens une proie. On ne doit pas être très loin du chemin, mais le fait de sentir cette odeur ne me donne pas envie d'attendre.? Je veux l'avoir tout de suite.

J'ai senti une proie, je vais essayer de l'attraper. Je te rejoins au chemin.

Je le chuchote quasiment, avant de me diriger vers la senteur. Je dirais qu'il s'agit d'un rongeur, mais je n'en suis pas moins sure. Un rongeur, ça fait longtemps que je n'en ai pas senti. Je dépasse un buisson avant de me plaquer sur le sol. Il est là, juste à quelques mètres de moi.Ma queue ne touche pas le sol, tandis que j'avance vers la musaraigne qui me tourne le dos. En reniflant l'air, je me rend compte que le sens du vent est bon. Je ne peux pas me dévoiler au rongeur. Sauf si je fais un bruit, bien évidemment. Je me rapproche encore, jusqu'à ce que je dois à une bonne distance pour sauter sur ma proie et lui briser la nuque.

Après avoir attraper la proie entre mes crocs, je reprends ma route vers le chemin de bruyères. Très rapidement, je parviens devant le chat qui m'accompagne, et me pose devant lui, en déposant la proie sur le sol, devant mes pattes.

Tadaaam !

Mon ami sourit de plus en plus. Il a vraiment un air attendri qui me fait fondre. Quelqu'un a enfin un sourire pour moi.... Et ce quelqu'un n'est pas mon frère... Opaline, ce n'est pas le moment de te plomber le moral ! Reprends toi, soit heureuse ! Fait ce que t'as dit Mistral Lointain. Tu dois te reprendre en patte. Tu dois faire quelque chose de ta vie, et non te morfondre devant la mort de ton frère. C'est trop tard, mais il a eu une belle vie et a rejoint votre mère. Et il est encore dans ton coeur.

Pourtant, même si je m'engueule mentalement, je sais que mon sourire s'est affaibli. Je sais qu'on doit être capable de lire la tristesse sur mes traits. J'ai encore du mal à être sans mon frère. Il y a toujours quelque chose qui me le rappelle, et les larmes ne peuvent s'empêcher de couler. Pourtant, là, je les retiens comme je peux. Ce n'est pas le moment. Je pourrai pleurer toute seule dans mon coin quand j'aurai rejoint mon terrier. Mais pas avant. Je dois vraiment me montrer forte pour ma famille, et ceux qui croient en moi. Je ne suis pas une faible, et j'ai envie de le crier à tous. Ils m'ont vue faible, ils m'ont vue démunie de toute envie de vivre, mais maintenant, j'ai enfin de quoi me reprendre entre les pattes, et il ne faut pas que je loupe l'occasion.

Bravo, c'est vraiment une belle prise

Je le sens enthousiaste, mais il y a aussi quelque chose que je ne parviens pas à discerner. Il me semble étrange dans ses propos, mais je ne dis rien de plus. A la place, je reprends la proie dans ma gueule pour l'enterrer non loin, juste au buisson le plus proche. Je rejoins ensuite mon ami et me pose, juste à coté de lui. Ce qui me dit par la suite me fait sursauter, ne m'attendant pas à ce qu'il parle.

Ça te dérange un peu qu'on parle avant de chasser ?

Je secoue la tête de droite à gauche, pour lui dire que je suis partante. Après tout, on a déjà une proie, au moins cela prouve qu'on a chassé. Et je pourrai en avoir pendant le retour, si jamais on parle de trop. Et je ne sais pas pourquoi, mais ses paroles ramènent la faiblesse que j'ai pu avoir. Je repense à mon frère, et une larme parvient à passer les barrières que je m'étais forgées. J'ai mon moment de faiblesse. Je n'ai pas réussi à le retenir.

Il me manque, Lune Ambrée....