AU SECOOOURS ! [PV Pelage de Brouillard]

Ombre d'argent patrouillait le long de la rivière. Ses pattes la portaient, comme sur un nuage. La guerrière grise se retrouva bientôt près des chutes, et donc de la frontière avec le Clan du Vent. Elle se demanda si elle croiserai une patrouille frontalière, mais elle n'était pas venue ici pour voir défiler les patrouilles adverses. Tiens, c'est vrai ça, pourquoi était-elle venue près des chutes ? Il n'y avait pas de gibier, et en plus être si près du bord de la falaise pouvait être dangereux. En fait, Ombre d'argent n'avait aucune idée de la raison qui l'avait poussé à venir là. Une espèce de pressentiment, sans doute ?
Il ne semblait pourtant pas y avoir de danger imminent. La femelle aux poils sombres battit l'air de sa queue. Une peur indescriptible lui nouait le ventre. Y avait-il des ennemis, en embuscade, qui attendaient le moment propice de lui faire la peau ?
La guerrière se força à se détendre. Elle inspira une grande bouffée d'air frais, mais referma aussitôt la gueule : elle avait senti l'odeur d'un prédateur, un renard mâle adulte. Elle voulut filer en vitesse, mais trop tard, le prédateur arrivait sur elle, menaçant. Il grondait, ses yeux vifs fixés sur la guerrière. Tout à coup, il chargea, et Ombre d'argent fut propulsée vers les gorges, bien trop près.
Elle sentit le vide sous ses pattes, et ses griffes se plantèrent dans la roche dure. Elle restait ainsi agrippée, en équilibre plus que précaire, au bord du gouffre. Le renard, la bave aux lèvres, se rapprochait dangereusement.

"Si je tombe, je suis morte !" paniqua la jeune guerrière.

Mais elle discerna une autre odeur entre celle de sa propre peur et du goupil : le Clan du Vent ! Elle appela, en désespoir de cause :

"AU SECOURS !"

Aucun guerrier, quel que soit son Clan, ne laisserai mourir un chat en danger... Enfin, elle l'espérait.

La nuit commençait à tomber. C'était le moment où les lapins sortaient en abondance de leurs terriers, et donc le meilleur moment de chasser. Pelage de Brouillard sortit du camp, il n'avait pas chassé de la journée et ses pattes ne demandaient qu'à courir.
Le vent plaquait sa longue fourrure sur son corps maigrelet, et le mâle blanc peinait presque à avancer tant les rafales étaient puissantes. Mais il repéra un fumet de lapin, et repéra la proie, cachée par des buissons malmenés par le vent.
Un peu plus tard, après avoir attrapé un lapin, et deux merles, il s'était dirigé vers la frontière avec le Clan de la Rivière.
Une atmosphère étrange y régnait, et même le bruit continuel des chutes semblait étouffé. Il repéra l'odeur éventée d'un renard, qui avait dû passé de l'autre côté de la frontière.

"Tant mieux ! C'est plus notre problème !"

Mais il entendit le cri affolé d'une chatte, qui avait sans doute croisé la route du prédateur :

"AU SECOURS !"

Ni une ni deux, Pelage de Brouillard se rua vers la frontière : il avait reconnu Ombre d'argent, avec qui il avait fait connaissance quelques jours plus tôt. Il franchit la frontière ; personne ne lui en voudrait si c'était pour sauver un autre guerrier.
Ombre d'argent était suspendue au dessus du vide. Il émit un grondement sourd, et le renard se retourna. Aussitôt, le guerrier immaculé glissa près de la chatte rivale, et plongea ses crocs dans la peau de son cou pour la tirer vers le haut. Il lui murmura :

"Il faut le faire fuir ou il nous fera la peau ! À deux, ce sera plus facile. "

Sans attendre la réaction de la femelle, Pelage de Brouillard bondit en crachant, et lacera le museau de l'assaillant.

Ombre d'argent soupira de soulagement lorsqu'elle reconnu Pelage de Brouillard. Le renard, surpris, se retourna vers le nouveau venu. Le guerrier blanc accouru vers la chatte en détresse, et la saisit par la peau du cou pour la remonter en lieu sûr. La guerrière grise se releva, tremblante, les muscles de ses pattes endoloris à force d'être restée agrippée au bord de la falaise.
Le mâle du Clan du Vent lui murmura, voyant que le renard les regardait avidement :

"Il faut le faire fuir ou il nous fera la peau ! À deux, ce sera plus facile. "

Elle hocha la tête, mais Pelage de Brouillard était déjà reparti à l'assaut. Il griffait férocement le museau du prédateur, qui faisait claquer sa mâchoire, la bave dégoulinante, alors Ombre d'argent vint l'aider à le repousser.
La femelle gris sombre glissa sous le ventre du renard, et se dressant sur ses pattes arrières , elle plongea ses griffes dans la fourrure de l'ennemi. Le renard glapit lorsque le sang coula, et Ombre d'argent fit un pas sur le côté afin qu'elle puisse l'attaquer sur le flanc.
Elle feula au guerrier au pelage couleur neige :

"Nous devons le tuer ! Ou il risque de menacer nos deux Clans !"

Il fallait qu'elle trouve une idée pour le tuer. Mais même à deux guerriers, ce gros mâle était vraiment redoutable et résistant.
" Ce qu'il faut, c'est une stratégie !" compris la jeune femelle.

Elle observa l'autre chat, espérant qu'il trouve une bonne idée pour vaincre leur opposant.

Ombre d'argent n'avait pas mis longtemps à réagir : elle s'était glissée sous le corps du renard, et lui griffait sauvagement la peau tendre de son ventre. Puis elle s'écartant d'un bond avant de feuler :

"Nous devons le tuer ! Ou il risque de menacer nos deux Clans !"

Bien sûr, Pelage de Brouillard était d'accord avec la guerrière du Clan de la Rivière. Mais tuer un chat avait été plus simple qu'un renard... Elle continua, réfléchissant :

"Ce qu'il faut, c'est une stratégie !"

Elle l'observait, attendant une réponse de sa part. Soudain, une idée germa dans sa tête :

"Il faut que nous le poussions dans les gorges ! Je pourrait peut-être l'attirer tout près, et là, tu le pousses !"

Il réfléchissait à tout vitesse, du sang lui coulant d'une morsure à l'épaule et se répandant sur le sol. Ça pouvait marcher ! Enfin, il essayait de se convaincre lui même, espérant que la guerrière grise croyait plus à son idée que lui-même n'y croyait...
Le renard s'était jeté en avant, et ses longs crocs frôlèrent la gorge du matou blanc, qui répliqua par un bon coup de griffe sur la truffe de l'animal.
Pelage de Brouillard attendait la réaction de la chatte au pelage sombre, qui s'était manifestement attaquée au flanc du prédateur.

"Il faut que nous le poussions dans les gorges ! Je pourrait peut-être l'attirer tout près, et là, tu le pousses !"

Après un instant de réflexion, Ombre d'argent se dit que c'était une excellente idée. Peut-être un peu dangereuse, mais qui vallait le coup d'être tentée.
La guerrière grise continuait à lacérer le flanc du renard de ses pattes avants, le sang du renard giclait sur le sol rocheux. Ce dernier ne semblait d'ailleurs guère impressionné par les deux chats, et il donnait tantôt des coups de pattes, tantôt des coups de crocs, essayant de maintenir les guerriers à l'écart. Ombre d'argent n'avait que quelques égratignures sur sa queue et son dos, rien de bien méchant. Puis elle miaula au matou, dont une large plaie à l'épaule avait taché la robe immaculée du guerrier :

"C'est d'accord. Tu vas te mettre en position ? Moi, je suis prête. "

En effet, le sang lui bouillonnait dans tout son corps et lui battait aux tempes.
Les deux guerriers mirent leur plan à exécution : Pelage de Brouillard s'était rapproché du bord de la falaise, et il faisait le gros dos, tous ses poils hérissés, en grognant pour attirer leur ennemi. Ombre d'argent se plaça derrière le renard, il lui faudrait être rapide, ou sinon elle ou Pelage de Brouillard risquait de tomber, entraîné dans la chute du gros animal roux.
Le renard chargea, et la femelle gris sombre feula, une longueur de queue derrière le goupil :

"MAINTENANT !"

Après un instant de réflexion, la chatte grise miaula à son attention :

"C'est d'accord. Tu vas te mettre en position ? Moi, je suis prête. "

Il recula jusqu'à ce que le gouffre ne se trouve plus qu'à un poil de ses pattes arrières, puis il vit le renard qui courait dans sa direction, un feu allumé dans les prunelles vert émeraude du prédateur roux. Un instant, le regard perçant du renard subjugua toute pensée, mais le hurlement d'Ombre d'argent le fit revenir à lui rapidement.

"MAINTENANT !"

Il esquiva de justesse le museau pointu qui s'avançait vers lui, et le renard, surpris, n'eut pas le temps de s'arrêter. La guerrière grise du Clan de la Rivière courait, juste derrière le renard enragé. Lorsque ce dernier voulut stopper sa course effrénée, la femelle gris sombre le percuta si violemment que le gros prédateur glissa sur la roche, gémissant et tombant la tête la première dans le ravin. Puis le bruit cessa tout à fait.
Pelage de Brouillard se tourna vers Ombre d'argent, une lueur de fierté illuminant son regard bleu.

"Beau travail, n'est-ce pas ?", miaula-t-il avec entrain.

Tout en boitillant, il regagna son territoire et continua :

"Cela fait un prédateur de moins dans la forêt. "

Il sourit à la guerrière sombre, qui était sans doute aussi épuisée que lui. Mais il ne montrait pas ses faiblesses, et de toute façon sa fierté d'avoir tué un renard anéantissait toute sa fatigue.

Ombre d'argent n'eut pas le temps de prendre conscience de l'action ; elle vit le renard piler lorsque Pelage de Brouillard s'écartant brusquement, puis un tas de fourrure rousse, pleine de sang, puant la charogne devant ses yeux. Elle eut le souffle coupé, et fut contrainte de s'arrêter net. Le renard glissa en avant, et tomba à pic dans les chutes d'eau bouillonnantes. La guerrière l'entendit geindre comme un chaton, et un sourire de satisfaction passa sur son visage.
Pelage de Brouillard regagna la frontière, son épaule semblait le faire souffrir, mais il n'en montra rien. Puis il se retourna vers elle une fois sur son territoire :

"Beau travail, n'est-ce pas ?

- Effectivement, répondit la jeune femelle.

-Cela fait un prédateur de moins dans la forêt. "

Tout à coup, Ombre d'argent se sentit vidée de ses forces. Elle aurait voulu dormir des lunes entières, mais elle secoua la tête pour chasser sa fatigue. Elle reporta son attention sur le guerrier blanc, qui semblait sur le point de partir. Elle le remercia d'un signe de tête, puis ajouta :

"Sans toi, c'est moi qui aurait fini au fond du gouffre. Je te remercie, tu m'as sauvé la vie. "

Mais le matou du Clan du Vent gardait une allure modeste et humble.

"Sans toi, c'est moi qui aurait fini au fond du gouffre. Je te remercie, tu m'as sauvé la vie. "

Pelage de Brouillard eut soudain trop chaud sous son épaisse fourrure blanche. Gêné, le guerrier du Clan du Vent lécha son épaule, couverte de sang. Il ne regardait pas la chatte en face, afin qu'elle ne voit pas son embarra. Il ne voulait pas ressembler à son ami, Absolution de la Trahison, qui draguait toutes les chattes, de tous les Clans.
Il releva cependant la tête et miaula humblement :

"Je ne laisserai personne mourir si je peut l'en empêcher. Surtout pas une amie. "

Il avait peur que son ton ait l'air trop faux, trop hypocrite. Mais il se reprit : la mort de son frère remontait à bien des lunes, et il avait changé depuis. Enfin, il l'espérait.
La femelle grise du Clan de la Rivière semblait le couver du regard. Sans doute était-elle heureuse qu'il ait dit qu'il était son ami ? Il grogna ; la douleur de son épaule l'obligeait à garder la patte au dessus du sol.
Le silence qui régnait maintenant lui était pesant, et il voulut abréger la conversation :

"Ma patte me fait atrocement souffrir. Je pense que je vais aller voir la guérisseuse, qu'elle jette un œil. Tu as toi aussi des plaies qui ne sont pas belles à voir. Tu devrais rentrer à ton camp. "

Puis, avec un dernier salut de la queue, il partit en boitant bas. Il pesta lorsqu'il se souvint qu'il devrait d'abord ramener ses proies au camp. Tant pis pour la partie de chasse ! Il vallait mieux offrir un territoire sûr à ses camarades.

"Je ne laisserai personne mourir si je peut l'en empêcher. Surtout pas une amie. "

Éberluée, la guerrière grise l'observa. Ses moustaches frémirent malgré elle de bonheur.

"Un ami !?"pensa-t-elle.

Bien sûr, ce n'était pas contre le code guerrier d'avoir des amis dans les autres Clans, du moins pas tant que cela n'entravait pas à la loyauté envers son Clan. Alors elle ne commettait pas d'infraction au code guerrier.
Le matou blanc semblait quant à lui gêné d'avoir dit cela, et il se léchait distraitement sa plaie à l'épaule. Ombre d'argent se dandina sur place. Que fallait-il qu'elle dise pour en finir avec ce silence pesant ? C'est avec soulagement qu'elle entendit Pelage de Brouillard coupé court au silence qui s'était installé :

"Ma patte me fait atrocement souffrir. Je pense que je vais aller voir la guérisseuse, qu'elle jette un œil. Tu as toi aussi des plaies qui ne sont pas belles à voir. Tu devrais rentrer à ton camp. "

Elle hocha la tête. Sa queue saignait abondamment, et les écorchures sur son dos la brûlaient. Elle le vit s'en aller, sa patte blessée ne touchant pas le sol, et décida de faire de même.

"Faudra-t-il que je raconte qu'un guerrier rival m'a aidé ? s'inquiéta-t-elle. Sans doute pas. Je n'aurai qu'à dire qu'il est tombé tout seul au fond des gorges..."

Elle ne voulait surtout pas qu'on la soupçonne de traîtrise en ayant fréquenté un guerrier rival. Non, elle dirait juste qu'elle avait affronté un renard, rien de plus. Ainsi, elle passerait même pour une héroïne !