La vantardise, même vouée à l'échec, est dure à surpasser. ft tempête de silence

Le chagrin, vous qui le connaissez si bien, vous savez le ravage qu’il constitue. Le chagrin, quand il est intense, peut même mener à la fin d’une vie. Et pourtant, il est sournois avec certain, comme avec cette chatte étendue là, près de quatre hauts chênes imposants. Elle dormait. Cela se voyait clairement, mais elle ne dormait pas paisiblement. Ô, les cauchemars! Ennemis des chats le plus torturés! Ils hantaient le sommeil de cette douce chatte qui ne demandait rien d’autre que de vivre paisiblement. Et soudain, ses paupières tentèrent de s’ouvrir. Elle fut obligée de s’y reprendre à plusieurs reprises avec de réussir, mais l’essentiel était là, le monde s’ouvrait à elle. Toutes les connaissances étaient à portées de la patte, là, autour d’elle, avec tous ces chats qui allaient et venaient. L’endroit était étrangement bondé : un feu. Voilà la raison de cet étrange attroupement de quelques jours. Un incendie ayant ravagé toute la forêt presque en entier, du moins, les territoires qui étaient leur maison en quelque sorte. Pas comme les tanières de bois et d’étranges matières bien trop imposantes des Bipèdes non, mais leur maison douillette, en lit de mousse, dans les trous de la nature. Cette chatte s’assit un instant, contemplant le résultat de ce malheur peut-être envoyé par le Clan des Étoiles et soupira. Un manque. Elle ressentait un manque effroyable sans pour autant savoir pourquoi. Tout allait bien, les chefs allaient bientôt donnés leur verdict, alors pourquoi cette douleur, cette souffrance intense en elle, qui creuse et creuse encore une saillie profonde dans son âme, dans son cœur? Et alors une vague plus intense de souffrance la fit se raidir tandis que sa conscience lui revint. Ce manque n’était autre que son compagnon défunt. Le chat le plus vantard de la forêt, du Clan du Vent, mais surtout un des meilleurs guerriers qui n’auraient pas dû mourir dans cet incendie. Et pourtant, il était mort dans les flammes, par sa faute à elle. Parce qu’il l’aimait et que jamais il n’aurait pu la laisser elle être dévorée par les flammes. Il avait perdu pied, elle ne l’avait pas remarqué. Et il était mort. C’était sa faute. Faute de vigilance, faute d’existence.

Le regard vide, fixant un point inexistant au loin, elle se leva, ne faisant désormais plus attention à ce qui l’entourait. Cette chatte si triste, si faible, se nommait Tempête de Silence. Guerrière du Clan du Vent, elle était souvent rejetée par ses compères. Borgne, ses yeux avaient une teinte que l’on qualifiait comme celle des traîtres, du diable en personne. La chatte aux milles nuances de roux s’étira, pour détendre ses muscles crispés par la douleur intense qui s’était réveillée en elle. Elle souffrait. C’était si simple à dire, à voir. Elle avait si mal qu’elle craignait que ça n’affecte ses capacités de guerrière, mais ce n’était pas le plus important pour le moment. Non, parce que chasser et patrouiller n’était pas nécessaire alors que le camp, les territoires avaient été décimés par les flammes. Un gémissement sourd fut produit par la chatte rousse. Si peu fort que personne ne put l’entendre et se retourner. Personne ne put remarquer la faiblesse apparente de la chatte. Et soudain, un autre éclair de conscience. Patte Astrale. Son petit. Il était où? Elle huma l’air. Paniquée. Rien. Pas de trace de son petit enfant qu’elle chérira toujours malgré tout. Elle ne pouvait pas l’avoir perdu lui aussi, ce n’était pas possible, pas acceptable tout simplement. Si son chaton était mort, alors elle ne savait pas ce qu’elle adviendrait. Parce qu’elle aurait perdu les deux chats les plus importants pour lui. Et boum. Encore un ébranlement. Son apprenti était où? Elle ne le sentait pas. Et Nuage de Saphir? Les trois chats encore en vie qui la faisaient tenir étaient où? Parce que s’ils étaient finalement morts dans le feu, elle en décèdera de souffrance et de tristesse. La tristesse…une vague intense qui l’envahissait, ne la laissant point gagnante. La tristesse qui l’accablait. La tristesse qui ne lui laissait point de répit, la détruisant. L’anéantissait. Tout la détruisait. La simple idée qu’ils étaient peut-être morts la faisait vaciller. Le fait de ne pas les sentir la faisait tituber. Elle avait presque l’impression qu’elle était morte en même temps que son compagnon. Presque. Mais pourtant, elle était bien vivante et ça, la douleur ne se gênait nullement pour le lui faire remarquer, l’envahissant à toutes les secondes. Ce n’était pas par vague, non, c’était quelque chose de constant, de lourd à endurer, qui l’abaissait au sol, la faisait ramper. C’était une image, bien sûr, parce que Tempête de Silence était toujours debout, tentant tant bien que de mal de ne pas pleurer, de ne pas flancher et elle avançait, jusqu’à ce qu’elle voit son chaton aux côtés de son apprenti. Soulagement total. Ils étaient sains et saufs. Vivants. Ils n’étaient pas morts dans l’incendie qui venait de ravager leur camp. Leurs terres. Elle ferma brièvement les yeux et sentit l’odeur de Nuage de Saphir. Ils allaient bien. Elle pouvait être soulagée maintenant, elle pouvait s’éloigner à présent. Pour laisser le chagrin l’accabler. Pour laisser son humeur se détériorer. Elle souffrait. C’était simple, clair, net et précis. Et présentement, pas après pas, elle avait l’impression de se jeter dans la gueule du loup. Et c’était sûrement le cas, mais et alors? Ça ne lui importait que très peu, à elle. Plus loin. Elle avait quitté la panique des Quatre-Chênes en s’isolant plus loin, pour être calme. Pour avoir mal en silence. Et surtout seule. Pour être seule et réfléchir. Elle l’avait tué. Voilà ce qui lui revenait en tête. Si elle n’avait pas été là à cet instant, la vue complètement enlevée par les flammes, il n’aurait pas été enlevé par les flammes destructrices. C’était de sa faute à elle uniquement, selon son avis. Elle l’avait tué. Comment vivre avec cette évidence? Elle soupira. La douleur lui vrillait le crâne à nouveau. Et le guérisseur n’était pas près d’elle, pour apaiser la douleur physique. De toute évidence, il n’aurait rien pu faire, car le mental n’était pas guérissable. Dommage. Elle aurait bien eu besoin d’un remède. Et s’il avait des graines de pavots avec lui? Elle pourrait en prendre suffisamment pour ne plus souffrir. Mais elle s’effondra soudainement. Et en tentant de se relever, elle tomba. Plus de force, d’énergie. Tout lui était enlevé. Et les larmes commencèrent à couler. Sans s’arrêter. Comme une chute. Elle sanglotait puis de plus en plus violemment. Elle pleurait. Elle avait mal. Elle réalisait que Plume d’Ajoncs ne reviendrait plus jamais. Jamais. Et soudainement, une question lui fit relever la tête. Ombre de la Nuit était devant elle. C’était un guerrier de son Clan. Qui lui demandait si elle allait. Si elle allait. Allait-elle? Non. Évidemment que non.

-Je l’ai tué…. C’est ma faute.. Je l’ai tué..