Halloween

Tout aurait dû bien se passer. C’est vrai ça, qu’est-ce qui pourrait mal tourner ? C’était un soir comme un autre, une lune nouvelle qui laisserait place à un soleil nouveau le lendemain. Pourtant, tout ne s’est pas bien passé. Oups. Ai-je dévoilé la chute un peu trop vite ? Ce n’est pas bien important. Après tout, celle qui n’est plus là, elle n’était pas aimée si ? Parce qu’ils ont causé son malheur, ils l’ont humiliée. Alors ils ne devaient pas l’aimer, si ? Et maintenant, elle n’est plus là. Partie, envolée, disparue. Pouf. Comme ça.
Il faisait noir, il faisait froid, c’était la nuit après tout. 
C’était la nuit et Agate Étoilée n’était plus là. L’avait-elle jamais été ? Oui. Mais elle n’était plus là. Disparue. Envolée. Pourquoi ? On ne sait pas. Mais Agate Étoilée n’était plus là, laissant derrière elle ses enfants, ses patients, ses proches. Tout le monde. Certains diront qu’elle les avait abandonnés, qu’elle était partie pour soulager sa conscience de la pression que lui mettait le Clan, certains feront les hypocrites en se lamentant sur son sort comme s’ils ne l’avaient jamais blâmée d’avoir enfreint le code du guérisseur. 
Mais Agate Étoilée avait disparu.
Et personne ne voulait voir la vérité. Personne ne veut jamais voir la vérité, elle n’intéresse personne. Non, ce qui importe c’est que la vie reste la même, que les mensonges l’enveloppe pour que tout soit un peu plus confortable, il ne faudrait pas alarmer les autres, il ne faudrait pas montrer notre faiblesse. Il ne faudrait pas admettre que quelque chose ne tournait pas rond, le déshonneur ! Dès lors que l’on admet que quelque chose ne va pas, la faiblesse nous domine, n’est-ce pas ? Tel est l’enseignement que l’on nous donne depuis la nuit des temps.
Comment ce jugement pourrait-il être erroné ?
Des recherches avaient été organisées, des battues à travers tout le territoire mais sa piste semblait s’être évaporée, comme si Agate Étoilée n’avait, en quelque sorte, jamais existé. Comme si on ne pourrait jamais la retrouver. Comme si son existence n’était rien d’autre qu’un fantôme errant, comme un souvenir qui ne veut pas partir. Un souvenir chéri par certains, méprisé par d’autres. Pourtant, tous ont versé une larme, tous ont veillé, tous ont prononcé des mots soucieux, des mots doux. Des mots que personne ne pensait vraiment. Parce que c’est toujours ainsi que cela se passe. Alors que la mort vous guette à chaque carrefour, ce ne sont pas les morts que l’on regrette mais bien les vivants que l’on pleure. Pauvres vivants. Eux qui mourront un jour prochain, pauvres vivants qui ne verront plus les morts se relever. Pauvres vivants n’ayant aucune idée de ce qui les attend réellement
Pauvres vivants et leurs yeux aveugles à ce danger permanent.
Pauvres vivants et leurs souvenirs erronés.
Mais comme tout souvenir, celui-là finit par s’effacer avec le temps. Et le Clan du Tonnerre oublia la disparition d’Agate Étoilée. Parce que tout est oubliable. Tout s’oublie car rien n’a d’importance lorsque cela ne nous concerne pas, n’est-ce pas ? Parce qu’il faut toujours mettre sa vie sur un piédestal, au-dessus de celles des autres. C’est la loi de la nature n’est-ce pas ? La loi du plus fort et à quoi bon aller à l’encontre de ce principe lorsqu’il représente tout ce qu’on l’on connaît, lorsqu’il représente tout ce qui définit notre vie dans son entièreté ? Pourtant, l’oublie fut effacé rapidement, rappelé à l’ordre par celle qui se tapit dans l’ombre de la vie, par celle qui ne fait aucun bruit et vous accueille avec un doux sourire, un sourire qui vous dit que le temps est venu. L’oubli s’est effacé parce qu’à peine une petite semaine plus tard, ce fut au tour d’Étoile Sanglante qui, seul dans la tanière des anciens, rendit l’âme. Mourir seul avec une telle famille, n’était-ce pas regrettable ? Mais il fallait bien que la vieillesse fasse son oeuvre et, ainsi, l’une des figures les plus emblématiques du Clan du Tonnerre vint à mourir, laissant derrière lui son souvenir. Pourtant, une petite commençait à mettre les pièces du puzzle en place. Une petite qui avait compris qu’Étoile Sanglante n’était pas tombé sous les coups vicieux qu’inflige la vieillesse mais bien sous l’action d’un poison pour le moins foudroyant. Oui, Petite Étoile avait compris. Mais qui était-elle dans ce Clan ? Personne. Elle n’était encore qu’une enfant, son nom commençait par le mot “petit”. Elle n’était encore qu’une enfant et qui s’abaisserait à croire une enfant aux propos délirants ? Personne ne prend les enfants au sérieux, c’est rabaissant. Ils passent la moitié de leur temps à s’inventer des histoires sans queues ni têtes alors à quoi bon les écouter, à quoi bon leur donner cette attention qu’ils cherchent tant, seulement pour jouer les intéressants ? Parce que n’est-ce pas là le but de tout chaton qui se respecte ? Faire l’intéressant et jouer à des jeux. Des jeux que l’on répète, génération après génération sans jamais douter de leur bien-fondé, sans jamais les questionner, sans jamais se dire que peut-être, ils sont erronés. Sans jamais penser au fait que la vie elle-même n’est qu’un grand jeu dont l’issue est mortelle pour tous.
Un poison, et puis quoi encore ? Comment le grand, l’immense, l’unique Étoile Sanglante aurait-il pu ingérer un poison capable de le tuer en l’espace de quelques instants, à peine ? C’était un grand chef après tout et les chefs sont infaillibles, les chefs sont magnifiquement géniaux, ils ont toujours raison, n’ont peur de rien, ne reculent devant aucun danger ! Comment aurait-il pu mourir ainsi, c’est stupide.
Mais l’aveuglement n’est-il pas l’un des grands défauts des Clans ? 
Peut-être est-ce pour cela que, stupidement, tous sont allés veiller leur ancien chef bien-aimé sans se soucier des ténèbres s’abattant sur la forêt, sans se soucier du mal qui rôdait. Sans se soucier de ce regard pesant que la forêt leur lançait, sans se soucier du froid s’insinuant entre eux, anesthésiant leurs corps comme si rien ne pourrait plus jamais les rendre heureux, comme si jamais ils ne pourraient rire à nouveau. (expecto patronum) Peut-être ne le sentaient-ils pas, sûrement. La mort n’a pas d’odeur après tout. Mais le sang, si. Une odeur âcre, une odeur qui persiste, qui reste même quand il n’est plus là, même quand le rouge poisseux s’en est allé. Qui aurait pu reconnaître le corps de Feu Follet ? Personne. Personne à part peut-être Plume de Rouge-Gorge et leurs enfants. Quelle terrible de tragédie que de séparer une famille, quelle terrible drame que d’ainsi humilier un guerrier si imposant, si fier. Ce guerrier au ventre déchiré, aux yeux défoncés, aux crocs arrachés.Quelle terrible vision pour ses enfants que de voir l’honneur de leur père ainsi touché, ainsi taché. Quelle terrible nuit pour cette famille, pour ce Clan se lamentant sur leur sort. Sur le destin de ce guerrier qui ne reviendrait. Non, le guerrier ne reviendrait pas. Difficile de revenir lorsque tu as la tête ouverte et le cerveau en compote.
:)
Aussitôt, le Clan du Tonnerre fit son erreur la plus récurrente : ses membres ont oublié de ravaler leur fierté. Il fallait trouver un coupable mais personne ne l’était, personne n’avait le profil d’un tueur. Personne ? Oh il y avait bien Souffle de Braise. N’était-il pas celui ayant fait tout un scandale lors d’une récente Assemblée ? N’était-il pas celui ayant humilié la guérisseuse d’ailleurs à ce jour disparue ? N’était-il pas lui ayant souhaité la mort à ces enfants illégitimes ? Il avait déjà essayé de briser les liens d’une famille, pourquoi pas infliger le même sort à celle-ci ? Pourquoi ne pas tenter de détruire la vie de ces familles qu’il n’avait pas, de ces familles heureuses que peut-être, il ne supportait pas ? Personne ne le voyait jamais en compagnie de personne après tout. Quel bon coupable il faisait ! Parce que c’est toujours plus simple, plus facile, plus pratique d’accuser les autres plutôt que de se remettre soi-même en question n’est-ce pas ? C’est toujours plus simple de rejeter la faute sur ceux qui nous paraissent avoir une bonne tête de victime (coucou Kirby ) plutôt que d’assumer notre propre faiblesse. Alors il décida de partir, en compagnie de Rayon de Soleil qui le soutenait plus ou moins discrètement. Du moins telle fut la version des faits donnée par le Clan du Tonnerre. 
La réalité, elle, ne dépeignait qu’un nouveau départ. Une nouvelle disparition. Une nouvelle tâche sur ce tableau si parfait du Clan le plus honorable de la forêt. Un tableau qu’il ne fallait pas assombrir, jamais entacher. Ne jamais dire du mal du Clan du Tonnerre, le Clan le plus respectable, le plus compréhensif, sans histoire. Un Clan enveloppé d’hypocrisie.
Peut-être auraient-ils dû interpréter la tempête de neige qui s’abattit sur eux comme l’un de leurs prétendus signes de leur stupide Clan des Étoiles. Mais que peuvent les esprits contre la mort elle-même ? Pas grand chose si ce n’est rien. Une tempête de neige, ce fut aussi simple que cela. Une pluie glaciale. De la grêle, un peu. Et un chaton vaillant, brave, courageux.
Inconscient.
Stupide.
Un peu con sur les bords, sans doute.
Mais il y avait encore plus con, il y a toujours plus con. (Kirby) Là, en l’occurrence, il s’agissait de son Clan tout entier. Un Clan qui ne se souciait pas assez du sort d’un chaton, passez pour organiser des recherches, des battues à travers la forêt. Pas assez pour rechercher le fils d’un meurtrier. Pourquoi prendre la peine d’essayer d’occulter les prétendues erreurs de ses parents ? Pourquoi essayer de le voir tel qu’il était réellement : un chaton innocent, un chaton orphelin ? Pourquoi ne pas plutôt le voir comme le rejeton du mal, l’enfant de Satan ? C’était tellement plus logique !
Petit Ouragan finit par revenir, au bout d’un certain moment. Tout content.
Ou tout con tout court, ça dépend. 

« Regardez ! J’ai ramené Agate Étoilée ! »

Mais on ne ramène pas les morts à la vie. On ne ramène pas les disparus. Ils reviennent seuls, quand ils le veulent, n’ont besoin de personne. N’avait-il pas vu le sourire de la guérisseuse ? N’avait-il pas vu qu’elle se mordait les lèvres à en saigner tant sourire la démangeait ? Ne remarquait-il pas que personne ne bougeait, que personne ne l’acclamait ? Ne voyait-il donc pas ces pelages ternes, ce sang sec formant des flaques dans lesquelles, si elles avaient été faites d’eau, il aurait adoré sauter ? Non. Lui, tout ce qu’il voyait, en bon petit soldat élevé par un Clan aveugle, c’était sa gloire, sa gloire à lui. Pourquoi se rendre compte que Petit Radis ne bougeait plus ? Pourquoi se rendre compte que le corps de sa mère gisait à terre, les orbites vides ? Pourquoi remarquer que Petit Castor, étendu près de la pile de gibier, n’était plus là pour réclamer une énième part de viande ? Et comment ne pas remarquer le grondement sourd derrière lui alors que ses yeux ne pouvaient que constater la destruction de tout son petit monde ? 
Comment ne pas remarquer qu’il avait ramené avec lui un prédateur qui ne voulait absolument pas son bien ? Comment ne pas remarquer les trois guerriers aux babines ensanglantées venant rejoindre une Agate Étoilée dont l’humanité semblait s’être envolée ? Comment ne pas comprendre en voyant les corps de tous ces chatons, de tous ces parents, au sol, ensanglantés, souillés ? Comment ne pas comprendre que rien n’avait été pardonné, que rien n’avait été oublié ? 
Tout aurait dû bien se passer. Tout aurait dû être oublié. C’est vrai, pourquoi faire des vagues ? Souffle de Braise en avait bien assez fait, il ne fallait plus entacher le tableau parfait du Clan du Tonnerre. Il ne fallait plus porter atteinte à son honneur en perdition. Tout aurait dû bien se passer. Personne n’avait jamais pensé qu’une figure aussi bienveillante qu’Agate Étoilée aurait pu chercher à se venger. Et c’est en n’y pensant pas que tout a dégénéré. Alors oui, tout aurait dû bien se passer. Mais s’ils avaient jeté un coup d’oeil à ces quatre figures menaçantes, les membres du Clan du Tonnerre auraient dû comprendre que non, tout ne se passait pas très très bien.