Just let me cry ... Ft Chute d'eau !

Pelage de Lune se leva, d'humeur morose. La veille, Epine et lui avaient commencé à s'inquiéter pour Patte de Pluie, qui tardait à ouvrir les yeux. Parfois, ils apercevaient une iris jaune, bien pâle, mais la chatonne ne voyait toujours rien. Il avait failli pleurer quand la voix de la petite s'était brisée, alors que Petit Ruisseau distinguait tout presque parfaitement. Masque Ebréché leur avait dit d'attendre un peu avant de stresser sur ses yeux, mais il avait senti la guérisseuse peu sûre d'elle en calmant les parents. Elle n'allait pas devenir aveugle, si ? Cette idée lui fit tourner la tête. Comme pour l'enfoncer au plus bas, des gros nuages de pluie masquaient le ciel, et le camp était entouré de brume. Une ambiance plutôt particulière, qui acheva le reste de joie qu'il lui restait. Bien sûr, il restait souriant, toujours à dire un mot aimable à quiconque, sans qu'on ne se doute qu'il allait mal. L'affaire de sa fille n'avait toujours pas le tour du Clan, et il espérait que ce problème serait géré avant que la rumeur ne s'échappe. Dans un tacite accord, le couple avait décidé de ne rien dire à personne, et de masquer les soupçons. Il était hors de question qu'on se moque et qu'on critique la grise, juste pour un minime retard de croissance. Il essayait lui même de se convaincre, c'était pathétique.

Le guerrier s'étira et sortit de l'antre. Il hésita à aller voir la dorée, puis n'eut pas le temps de se décider, puisqu'on lui annonça qu'il devrait accompagner Chute d'Eau, un ancien, lors d'une marche. Le mâle avait, d'après ce qu'il avait compris, des problèmes de patte, et ne devait sortir qu'accompagné. Il fut heureux de cette perspective, et s'élança vers son apprentie, Nuage Marin, que leur entraînement journalier était décalé à l'après-midi. La noiraude parut satisfaite, et retourna, oh surprise, se recoucher. Il remua les moustaches, amusé, puis se décida à passer voir sa compagne. Quand même. Elle lui manquait énormément, à ne jamais pouvoir sortir de la pouponnière sans les deux boules de poil qui passaient leur temps à dormir. Il aperçut un éclair brun clair lui foncer dessus maladroitement, et baissa les yeux sur son fils. Malgré sa course de quelques mètres, Petit Ruisseau semblait épuisé de sa folle épopée. Il s'accrocha à sa patte, en lui disant bonjour, et comment ça va, et tu vas voir maman aujourd'hui ? Elle est fatiguée, maman, hein. Enfin, elle passe sa vie allongée !

Le gris lui lécha affectueusement la tête, et répondit à toutes ses questions joyeusement. Le petit était toujours là pour lui remonter le moral, avec sa bonne humeur à toute épreuve. Au contraire de sa sœur, qui était moins enchantée que lui en voyant des gouttes d'eau tomber du ciel, un papillon qui volait. Il entra dans la pouponnière, et s'attendrit une fois de plus du spectacle de la belle féline, qui lui lança un regard amoureux, et heureux. Patte de Pluie tétait sa mère avec hargne, puis se recroquevilla sur elle-même et s'endormit. Même si elle était petite, cette ignorance pour son propre père attrista Pelage de lune. Il s'assit, et entreprit de toiletter le doré, qui ne cessait de se balader dans ses pattes. Ils discutèrent quelques minutes, puis il s'éclipsa, promettant à Epine qu'il lui apporterait un poisson le soir.

A regret, il s'éloigna, puis débarqua avec entrain dans la tanière des anciens. Le matou roux était allongé mais ne dormait pas. Ses autres compagnons piquaient un somme, alors il s'avança en chuchotant, un léger sourire sur le coin des lèvres :
Bonjour, je suis Pelage de Lune. Je t'accompagne marcher. Ca te va, la rivière ? Je pêcherai peut-être un poisson en chemin ?

Il y en avait qui trouvaient les anciens juste grincheux et inutiles. Pour sa part, le guerrier les respectait énormément, et ne se privait jamais de passer faire un tour chez eux, pour discuter de tout et de rien. Seulement, en ce moment, il n'avait plus le temps. Mais Chute d'Eau restait l'un d'eux, et marcher avec lui risquait de le détendre, lui qui était à nerf.

Je bougonnais silencieusement à l'ombre des roseaux. Je n'en revenais pas que Masque Ébréché n'aie pas voulu me laisser sortir du camp seul ! J'étais peut être vieux, mais pas sénile ! Je pouvais retrouver mon chemin facilement, je connaissais le territoire sur le bout des pattes. Je pourrai retrouver l'entrée du camp les yeux fermés !

En tout cas, j'avais besoin de sortir. Les beaux jours étaient revenus, et mes articulations me faisaient moins mal. Néanmoins, la guérisseuse m'avait dit qu'il fallait que je bouge régulièrement pour éviter d'avoir trop mal. Mon épaule n'était peut être plus aussi vive qu'avant, mais pour sûre que devant une bonne motivation, elle bougera sur commande ! La chatte m'avait dit de patienter. Elle m'enverrait quelqu'un, une escorte semble-t-il, pour faire un petit tour en plein air. J'espérais pouvoir aller à la rivière. Même si on la voyait, de ma tanière, c'était trop loin, une barrière de roseau me séparait de l'eau.

Prenant mon mal en patience, j'entrepris de ne pas perdre de temps, et je commençais ma toilette. J'étais moins souple, me lécher le dos m'arrachait des grognements contre moi même, mais hors de question que quelqu'un d'autre me lèche le dos ! Le ciel était drôlement couvert, aujourd'hui. Il pleuvra avant la fin de la matinée, mais j'espérais pas pendant ma sortie. Masque Ébréché me privera de sortie pendant encore des lunes. Y'en a que ça dérangerait pas. Près de moi, à quelques longueurs de queue, un de mes camarades piquait un somme, alors que le soleil était haut dans le ciel. Il n'avait sûrement pas envie de se balader autant que moi.

Un jeune mâle s'approcha de moi. Je devinais qu'il s'agissait de mon escorte.

« Bonjour, je suis Pelage de Lune. Je t'accompagne marcher. Ca te va, la rivière ? Je pêcherai peut-être un poisson en chemin ? »

Tiens, un guerrier, j'aurai imaginé qu'on m'aurait donné un apprenti, mais soit. Je m'étirai et je me mis sur mes pattes.

« C'est pas trop tôt ! Je dois bien attendre depuis l'aube. Oui, on se dirige vers la rivière, et si tu as de la chance, c'est moi qui te pêcherait un poisson en chemin. »

Il y avait tellement de poissons pendant la saison des feuilles vertes, ils pourraient te sauter dans les pattes ! Droit sur mes pattes, la queue levée, je sortais du camp. Je sentais le vent sur mes moustaches. J'avais envie de m'élancer vers le chemin de la rivière, parsemé de roseaux, mais mon épaule me freina dans mon élan. Bougon, je devais cheminer à une vitesse qui ne me correspondait guère. Au moins, mon épaule se remettait doucement en exercice, et sentir la brise sur les poils de mon dos était mieux que n'importe quel coup de langue.

Je remarquais la légère préoccupation de mon compagnon de balade. Le chat gris semblait aussi morose que la météo. Pourtant, pour un jeune guerrier pas encore sorti de l'enfance, faire une balade sans aucun but ni pression devrait le faire agir comme un chaton !

Nous nous faufilâmes à travers un buisson de roseaux, la rive se présenta à nous. Nous étions près du gué, les rochers du soleil semblaient loin d'ici. Maintenant que j'avais bien marché, mon esprit était prêt à se mettre en route.

« Et bien, Pelage de Lune, pour un vieux chaton tu me sembles bien triste, qu'est ce qui pourrait te rendre aussi morose, la météo, le fait d'accompagner un ancien infirme dans une balade sans but ? »

Je secouais les moustaches. Moi même à son âge, j'aurai sûrement râlé si on m'avait envoyé promener un ancien au lieu de pêcher. Je tenais à être de bonne compagnie pour lui. Et puis si il avait envie de pêcher, pourquoi pas, je l'accompagnerai volontiers. Et entre nous, malgré mon épaule, j'avais bien envie de nager.

« C'est pas trop tôt ! Je dois bien attendre depuis l'aube. Oui, on se dirige vers la rivière, et si tu as de la chance, c'est moi qui te pêcherait un poisson en chemin. »

   L'ancien paraissait plutôt bougon, ce qui inquiéta le gris. Lui qui était si mal en ce moment n'avait pas besoin de se faire rembarrer, alors qu'il ne rendait qu'un service. Mais bien sûr, il ne comptait pas le dire, ça, non, il restait souriant, comme on le connaissait. Trop peur de blesser les autres, et pas dans sa nature. Chute d'Eau quitta la tanière, et il le suivit, un peu en retrait. Son regard s'attarda sur la pouponnière, là où sa fille dormait. Il avait si peur de sa cécité … Pour ne pas céder à la panique, et se mettre à pleurer son désespoir, il accéléra et rejoignit le rouquin. Il se plaça à ses côtés, et ne put qu'observer que sa présence était inutile. Ce vieux félin avait peut-être quelques problèmes aux articulations, mais il n'était pas sans défense. Il avait une carrure musclée, qui aurait pu freiner des guerriers plus expérimentés que lui-même, de peur de se prendre des coups de patte. L'autre reprit, alors que le silence commençait à devenir pesant :
« Et bien, Pelage de Lune, pour un vieux chaton tu me sembles bien triste, qu'est ce qui pourrait te rendre aussi morose, la météo, le fait d'accompagner un ancien infirme dans une balade sans but ? »

   Le jeune guerrier fut une fois de plus surpris par la capacité des autres à lire dans son esprit comme dans un livre ouvert. Il avait longtemps pensé que seul Epine d'Or en était capable, mais plus il parlait aux autres, plus il commençait à douter de son piètre jeu d'acteur. Comme quoi, un sourire ne voulait pas forcément dire joie comme les larmes la tristesse. C'était bien, bien plus profond que tout ça. Et il fallait avouer que marcher la tête basse, la queue nettoyant la poussière n'aidait pas à tenir son secret. Il lâcha un profond soupir, puis se décida à regarder le félin droit dans les yeux. Son regard lui rappelait un peu l'herbe fraîche, parsemée de gouttes d'eau d'une récente averse. Il savait bien qu'il ne devait pas lui dire pour Patte de Pluie, mais il ne pouvait pas garder ça pour lui. Si Epine le savait, ils ne pouvaient en parler, autrement que dans la pouponnière, soit dans un lieu où les discussions devenaient rapidement sujets pour tous. Que leur secret serait plus gardé. Alors que dans ce désert paysage, ils n'étaient que tous les deux.
"Oh, non, ta compagnie ne me gêne absolument pas. Au contraire, elle me permet de quitter un peu le clan. Et c'est ça qui est absolument génial, finalement. "

  Il ne mentait pas. La perspective de s'éloigner de tous ses problèmes l'enchantait. Que ce soit pour partir chasser en solitaire, ou faire une patrouille dans le calme le plus complet, il était d'accord. Seul nuage à l'horizon, il était désormais mentor. Et son devoir était de s'occuper de Nuage Marin, qui était parfois surprenante, voire violente. Il ne pouvait oublier le jour où elle l'avait violemment attaqué alors qu'il avait voulu faire une embuscade surprise, pour évaluer ses capacités d'adaptation. L'apprentie n'avait pas du tout apprécié, et lui non plus. Malgré son tempérament pacifiste, le stress lié à la naissance de ses chatons l'avait rendu plus méchant. Enfin bref. Il reprit, fixant obstinément un roseau au loin :
Mais ma fille de moins d'une lune ne va pas très bien, Nuage Marin, mon apprentie, ne semble pas beaucoup m'apprécier, donc on peut dire que j'ai connu mieux. Et je ne peux pas aller voir mes parents pour savoir ce qu'ils en pensent, à moins d'avoir le don de parler avec les Etoiles …

Le matou peinait à cacher son état. Sa queue traînait au sol, et sa moue était difficilement interprétable différemment. Son esprit semblait ailleurs, dans son regard. Il était préoccupé comme un vétéran qui imaginait une stratégie d'attaque et qui devait protéger sa patrouille. Je soutins son regard, sans aucune manifestation hostile. Après tout, j'avais posé la question par politesse. Si il ne voulait pas me répondre, je n'allais pas insister. A la base, tout ce que je voulais, c'était faire une bonne balade et nager un peu.

Le mâle semblait tergiverser dans sa tête, comme si il hésitait à ouvrir la gueule. Enfin ! Je n'étais pas un chasseur ennemi ! Je tassais de mes pattes la terre meuble, ce qui coinça un petit caillou entre mes coussinets. Pendant que je cherchais la pierre avec mes moustaches afin de la déloger, Pelage de Lune s'ouvrit enfin :

"Oh, non, ta compagnie ne me gêne absolument pas. Au contraire, elle me permet de quitter un peu le clan. Et c'est ça qui est absolument génial, finalement. "

Génial, mh je sais pas. J'essayais de me mettre à la place du chat, c'est à dire au même âge. Lorsque j'étais un tout jeune guerrier. Je n'avais aucune envie de me séparer de mes camarades ! Et surtout de Pelage de Neige, à ce moment là. J'avais toujours ma fourrure collée à la sienne, toute blanche. Je mis de la clarté dans mon esprit, ce n'était pas le moment de penser à des souvenirs. Maintenant, à mon âge avancé, c'est vrai que moi aussi, j'avais envie de m'isoler du Clan, de temps en temps. Être un peu tranquille, dehors, à écouter le flot de la rivière.

« Mais ma fille de moins d'une lune ne va pas très bien, Nuage Marin, mon apprentie, ne semble pas beaucoup m'apprécier, donc on peut dire que j'ai connu mieux. Et je ne peux pas aller voir mes parents pour savoir ce qu'ils en pensent, à moins d'avoir le don de parler avec les Etoiles … »

Je soupirais. Le Clan des Étoiles avait des destins que le mortel ignorait. Tout ce qu'on savait, c'est qu'un jour, nous deviendrons des étoiles aussi, parmi les étoiles. Malgré tout, ce n'était pas une raison de perdre espoir. Tel l'eau, la vie filait sous nos pattes, plus rapidement qu'on pouvait l'estimer.

Je vins poser ma queue sur son épaule.

« La vie d'un guerrier n'est pas facile. Elle est pleine de souffrances, souvent inexpliquées. Malgré tout, il ne faut pas perdre espoir. »

J'agitais les moustaches, un peu amusé par ce que j'allais dire.

« A mon âge avancé, j'ai vécu bien des choses, j'ai vu des morts, et pourtant, je suis toujours là, tel que je suis. De plus, nous avons une très bonne guérisseuse, elle arrivera à soigner ta fille, quoiqu'elle aie. »

Une pensée insidieuse, venue tout droit de mon passée, fit son chemin. Masque Ébréché aurait-elle soigné Pelage de Neige ? Et aurait-elle sauvé les petits également ? Cela me fit remonter le temps contre mon gré, à une époque où la paternité ne me disait guère grand chose. J'accompagnais Pelage de Neige à la pouponnière, après une petite promenade. Son ventre était bien tendu, et elle se déplaçait assez lentement. Ses yeux portaient la trace de la fatigue, mais brillaient de contentement. Son pelage était si brillant, elle était en bonne santé. Encore en bonne santé. Je crois bien que c'était le dernière souvenir d'elle en forme. Après vinrent les journées confinées à la pouponnière, puis les nuits d'angoisse. Finalement, je n'avais pas vu la mort venir. Jeune, inconscient, je n'avais pas été observateur. J'étais confiant, entre notre guérisseur, en Pelage de Neige. Je fermais mes yeux au souvenir de son dernier regard, parmi une odeur de chatons nouveaux né, du sang et de mon cœur qui tambourinait à mes oreilles. L'inquiétude vint trop tard, avant que je puisse faire quoique ce soit.

Je rouvrais les yeux sur la réalité, la tranquillité du moment présent, face au tourbillon de mes pensées, de mes souvenirs qui revenaient.

Il se sentait rassuré à l'idée de s'être confié. Son cœur lui semblait moins lourd, mais dans sa tête, les idées sombres se bousculaient. Cela ne manquait pas, entre la peur, l'inquiétude, le planning des entraînements. Il ne se sentait pas prêt à assumer toutes ces responsabilités, on lui attribuait sans lui demander. C'était leur chef, ou leur lieutenant, il ne savait pas, qui lui avait attribué le mentorat de Nuage Marin. Cela ne l'aurait pas dérangée, mais son apprentie était étrange, craignant le moindre contact, chose qu'il n'avait pas su. Malgré ses excuses, la gêne était restée, et il craignait que leur relation en pâtisse encore. La naissance de leurs chatons, il l'avait souhaité du plus profond de son cœur. Mais pourquoi c'était à eux qu'arrivait le malheur d'une quelconque maladie ? Patte de Pluie n'avait aucune raison d'avoir un problème de croissance ! Petit Ruisseau n'avait rien du tout, lui, mais elle, si. Cela perturbait aussi Epine d'Or, qui essayait pourtant de tout voir en rose. Alors lui qui était pessimiste de base, était au fond du trou. Et si une patte ne se tendait pas, il y resterait, cohabitant avec ses démons.

 Le gris sentit le contact rassurant et amical de Chute d'Eau. Ses yeux brillaient d'un air compatissant, et il essaya de sourire, pour la forme. Il n'était pourtant pas question pour lui que de gâcher sa promenade, mais c'était plus fort que lui. Il n'avait jamais réussi à être bon acteur. Et ce n'était pas aujourd'hui qu'il y arriverait.
« La vie d'un guerrier n'est pas facile. Elle est pleine de souffrances, souvent inexpliquées. Malgré tout, il ne faut pas perdre espoir. »

 Sa voix calme et posée émut Pelage de Lune. Il réfléchit à ses paroles, et hocha la tête, d'accord avec le matou. Il fallait toujours s'accrocher à un infime espoir, celui que sa fille grandirait comme les autres, qu'elle soit un chat lambda, une merveilleuse guerrière pour le futur de leur clan. Oui, elle y arriverait, c'était une battante. Comme ses parents. L'autre eut un petit rire, et reprit :
« A mon âge avancé, j'ai vécu bien des choses, j'ai vu des morts, et pourtant, je suis toujours là, tel que je suis. De plus, nous avons une très bonne guérisseuse, elle arrivera à soigner ta fille, quoiqu'elle aie. »

  Le jeune guerrier ne put qu'approuver. Cependant, il avait été l'innocent chaton, quand ses parents étaient encore sur terre. Et là, ils n'étaient plus là, et il n'avait, pendant longtemps, plus éprouvé ce sentiment de béatitude qu'était la joie. Et encore aujourd'hui, il lui arrivait de replonger dans ses souvenirs, et de se sentir mal. Il avait eu beaucoup de mal à revenir, et sa compagne l'avait aidée à devenir ce qu'il avait autrefois été. Mais les cicatrices persistaient, encore et encore. Il était impossible d'oublier leur mort, n'importe quelle mort. D'un ennemi, d'un camarade de tanière, d'un chaton ou d'un ancien. On ne pouvait pas rester de marbre, et il y avait forcément un changement, de comportement. Et ses pensées retournèrent sur Masque Ebréché. La guérisseuse portait sur ses épaules le lourd poids, la peur d'une famille. Il ne savait pas ce qu'elle pourrait soigner, mais elle n'avait d'autre choix que de la guérir.

"On ne peut complètement se remettre d'une mort ! De qui que ce soit. On ne peut pas. Ce serait monstrueux !", s'écria-t-il. Il avait l'impression de redevenir l'apprenti écoutant Ruisseau Silencieux, mais ce n'était pas un problème. Récupérer le savoir des autres l'intéressait. Cela ne pouvait être qu'enrichissant. Il secoua la tête, et aperçut la rivière. Il s'arrêta à la rive, et jeta un coup d'œil au rouquin :
"Tu viens pêcher avec moi ?"

L'eau grouillait de poissons, il percevait leurs écailles luire au soleil. Et l'idée d'un bain, malgré la fraîcheur, l'enchantait. Se baigner était pour lui un moyen de tout oublier, de faire le vide dans sa tête. Et accompagné, c'était encore plus agréable ! Même s'il ne savait pas si l'ancien avait le droit. C'était à lui de voir s'il s'en sentait capable. Et malgré sa raideur, il paraissait plutôt en forme. Le guerrier redoutait le moment où il serait obligé d'être accompagné pour sortir. Mais il n'était pas venu, ce jour.

Le matou gris hocha la tête, résigné, pour souligner mes paroles. Je ne pouvais rien faire de plus. En tant que guerrier, nous ne pouvions pas mener tout les combats de notre Clan. Les maladies, les mises bas, même les batailles avec les crocs et les griffes, pour peu que nous étions cantonné au camp. Lorsqu'on était jeune, cette frustration pouvait décevoir, voir énerver.

Soudain, le jeune chat s'écria :

"On ne peut complètement se remettre d'une mort ! De qui que ce soit. On ne peut pas. Ce serait monstrueux !"

Revenant malgré moi dans mes souvenirs, je revivais la mort de mon ancienne compagne, Rivière d'Ombre. C'était il y a tellement longtemps, pourtant, l'avais-je oublié ? Et je n'avais pas oublié Pelage de Neige, pourtant j'avais aimé Rivière d'Ombre aussi. La vie continuait. Il ne fallait pas rester bloqué dans le passé, même si c'est tentant. Du haut du Clan des Étoiles, elles devaient se réjouir que je veille toujours sur mes petits, d'un œil fatigué. Pelage d'Orage me fit un signe vers l'eau.

"Tu viens pêcher avec moi ?"

Je secouais la tête, un peu mécontent de ne pas avoir appris quelque chose d'intéressant à ce jeune chat. Ils pensaient tout savoir ! Malgré tout, j'avançais, la queue qui s'agitait. Je ne m'étais pas baigné depuis si longtemps. Enfin, peut être quelques levers de soleil, mais un matou du Clan de la Rivière devait prendre un bain quotidien ! Masque Ébréché m'avait dit que nager doucement, dans une eau calme, me ferait du bien. Je n'hésitais plus, et je plongeais rapidement, avant de secouer la tête. De mouvements amples, je nageais tranquillement vers la rive opposée, sans toutefois y aller. Je jetais un coup d’œil vers les Rochers du Soleil. Jadis, il y a bien des saisons, ils nous appartenaient. Je voudrai bien qu’Étoile d’Équinoxe les reprennent, pour se chauffer les os ! Malheureusement, il était peu probable que ça arrive. Nous avions déjà trop à faire avec les bipèdes, pendant les belles saisons, et la faim pendant les mauvaises.

Je scrutais le fond de l'eau. Et si j'essayais d'attraper quelque chose ? Hésitant, je plongeais la tête, à la recherche d'un poisson. Ici, une petite carpe ! Triomphant, je la sortis de l'eau avec un coup de patte, mais au moment où le poisson voltigeait dans les airs, ma douleur à l'épaule me crispa. Je tendis tout de même le cou, avec le grimace au bout de mon museau. La carpe glissa sur ma gueule, et ondula afin de revenir dans la rivière. Surpris, je restais gueule bée.

Pelage de Lune observa le rouquin qui sembla revivre à l'idée de piquer une tête. Il s'élançait plutôt vivement dans l'eau, pour un chat de son âge. Il était toujours ébahi, admiratif par la force mentale qui s'émanait des anciens, qui, malgré les tempêtes, les guerres, les disputes, restaient semblables à eux-mêmes. Et c'était pour cette raison qu'il aimait aller les voir, discuter de tout et de rien, pour se changer la tête. L'autre s'enfonça dans le liquide translucide, qui était plutôt clément aujourd'hui. Oh, il y avait toujours du courant, mais la rivière était plutôt paisible. Chute d'Eau se baladait tranquillement, et le gris trempa sa patte pour tester la chaleur de l'eau, pour se jeta lui aussi dans le grand ruisseau, qui poursuivait sa route, insensible aux félins qui se baignaient et à leurs états de santé.

L'écaille lumineuse d'une carpe interpella le guerrier, et le roux aussi visiblement. Qui se précipita sur le poisson, qui, innocemment, fonçait dans la gueule du loup. D'un puissant coup de patte, il l'envoya en l'air, et s'avança pour la choper rapidement, pour la ramener sûrement à la rive en un rien de temps. Mais pour une raison inexplicable, il se bloqua en plein mouvement, et la proie refila en un rien de temps dans l'eau sûre. Le jeune père fut outré pour l'autre, et se précipita à la poursuite de la fautive, complètement à l'aise dans l'eau. En combat, il n'était pas le meilleur, mais il se débrouillait bien mieux en pêche. Filant tel une anguille, il ne quittait pas des yeux le reflet argenté de la carpe. Le remoud le ballotait dans tous les sens, mais il ne se déconcentrait pas. Il avait un objectif, et ne le lâchait pas.

  Malheureusement, le gris n'était pas un poisson, alors que sa proie, si. Elle prenait de la vitesse, il s'éloignait du rouquin, son souffle devenait court. Il fallait abandonner, mais il n'y parvenait pas. Agacé, il se résolut à faire demi-tour, et revint, bien plus lentement qu'à l'aller. Ses muscles s'étaient échauffé bien rapidement, et il ressentait une petite douleur au niveau des pattes. Mais qu'importait, seul le goût de l'échec comptait. Les iris bleutées brillant de colère envers lui-même, il se força à croiser le regard de Chute d'Eau.
"Encore raté. Je suis si nul …"

  L'eau formant un halo de glace autour de lui, il se résigna à sortir de la rivière, lassé de tout. De se battre pour sa famille, alors qu'il n'y avait aucune chance qu'elle soit soudée, avec l'absence de vue de Patte de Pluie. De chercher des poissons, alors qu'il n'était pas talentueux, que même des apprentis savaient mieux chasser que lui. Il n'était qu'un boulet, un poids à porter, pour Epine d'Or qui avait déjà beaucoup à penser. Que feraient ses enfants avec un père incapable comme lui, qui était plus démuni face à la vie que eux ? Avec une mère pareille, ils y arriveraient, poussés par sa force mentale et maternelle, qui pouvait soulever des montagnes.  

  Ses yeux se fermèrent, pour que les larmes ne coulent pas. Et il soupira, se coucha, ruisselant, posant sa tête sur ses pattes avant.

hrp : chui désolée de la longueur de mon rp, c'est pathétique

Une éclaboussure me fit comprendre que le mâle m'avait suivi dans l'eau. Pas pour me repêcher j'espère. Un matou du Clan de la Rivière, aussi vieux qu'il était, n'allait pas se noyer dans une eau aussi paisible ! Je compris bien vite que Pelage de Lune venait en fait m'épauler, poursuivant la carpe d'une nage fluide et rapide. Je me donnais un coup de langue sur mon épaule douloureuse, avant de revenir dans l'eau. Je la sentais encore raide, mais Agathe Etoilée disait que nager régulièrement dans la rivière me permettrait d'avoir moins mal. J'allais donc rejoindre calmement le mâle gris, prenant appui sur les galets grâce à mes pattes arrières.

Pelage de Lune revint lentement, rien dans la gueule. Son regard aussi bleu que le ciel reflétait la frustration de ne pas avoir réussi à attraper la carpe.

"Encore raté. Je suis si nul …"

Avant que je puisse faire quoique ce soit, le matou nagea lentement vers la berge, et s'allongea parmi les roseaux sans même se donner un coup de langue. La fureur se disputait à mon inquiétude. Un jeune guerrier ne pouvait se laisser abattre par l'échec, et par la vie ! Je ne pouvais pas le tolérer, déjà par principe, car c'était par la douleur et la souffrance que les chats deviennent des guerriers courageux, forts. Un ramollo de chat domestique ne comprendrait jamais ça ! Et à cet instant, Pelage de Lune me semblait aussi ramollo qu'un chat de bipède.

De quelques coups de patte vigoureux, j'atteignais la berge. Je m'ébrouais, laissant l'eau couler à la surface de mon pelage terne, avant de me placer devant le mâle. Je lui donnais un léger coup de patte sur la nuque. Il fallait lui secouer les puces !

« Hého, qu'est donc que ce comportement, jeunot ! Un guerrier ne se comporte pas ainsi ! L'échec ou la souffrance d'un de ses petits ne justifie en rien que tu restes prostré à t'inquiéter. »

Les pattes enfoncées dans la terre humide, parsemées de roseaux, je sortais les griffes.

« Tu n'as pas connu les combats de Clan, des détachements de guerriers à l'assaut, l'odeur de la mort des tiens, qu'ils soient de ta famille ou non ! »

Je me penchais sur lui afin de conclure ma tirade.

« Le Clan des Étoiles te réservera des choses bien pires que ce que tu vis. Tu peux décider de l'affronter comme un guerrier, ou t'allonger comme un chat domestique. »

Sur ces dernières paroles, je tournais les talons, et je partais d'un pas mesuré me plonger dans la rivière, afin de nager encore un peu. Je n'allais pas gâcher une petite balade ensoleillée par une boule de poils aussi grincheuse qu'un ancien !

[ Pas de soucis pour la longueur, les rps courts ne me dérangent pas!]

On aurait dit une pauvre boule de poil trempée qui venait de se noyer. Un petit chaton qui se faisait réprimandé pour avoir voulu tenter l'aventure auprès de l'eau. Néanmoins, cette image ne devait pas me distraire, et distraire mes émotions. Je ne devais pas me relâcher d'une seule seconde. Je tenais son regard furieux. Je l'avais piqué au vif ! Tant mieux, c'était le but. Je n'étais pas là pour me faire aimer, mais pour que les choses tournent correctement. Si tout le monde décidait de penser à ses problèmes, le tas de poissons ne serait jamais regarni, les patrouilles jamais faites. Le Clan passait avant notre souffrance personnelle, bien que le Clan permettait aussi à cette souffrance d'exister.

Sans aucune intention, je plongeais la tête sous l'eau pour observer le curieux ballet des poissons de la rivière. Tant de couleurs ! Les proies n'avaient pas leur pareil, sous l'eau, avec la lumière qui se reflétait étrangement sur leurs écailles colorées. En dehors de l'eau, ils étaient plutôt ternes, ils luisaient, sans plus. Un coup de patte et ils partaient. Je reprenais fréquemment ma respiration, n'étant pas le plus doué des chats pour cela, lorsque le matou revint, la fourrure un peu ébouriffé par l'émotion.

"Je suis désolé. Je ne voulais pas gâcher ta balade. J'ai tendance à paniquer pour rien." J'arrête de me morfondre."

Tant mieux, les choses ne pouvaient pas mieux se dénouer, si toutefois il joignait les actes à la parole. Mais je souriais, pour l'encourager.

"Tu veux chasser le poisson ou juste nager ?"

Je restais à flotter près de la rive.

« Allons pêcher, à deux. Place toi de ce coté, je vais rabattre les poissons en amont, ils seront dans le sens du courant. A toi d'en attraper un dans la gueule ! »

Je mettais des coups de patte vigoureux pour me mettre à une distance suffisante. Ce n'était pas la période des saumons, mais il y avait sûrement des grosses carpes à se mettre sous la dent. Après m'être immobilisé afin de laisser les poissons s'approcher, je regardais le cours d'eau. Il fallait que je choisisse ma proie à effrayer. Un petit temps d'attente, je jetais un coup d'oeil à Pelage de Lune, toujours prêt. Une perche plutôt ronde passait sous mon corps, je voyais son ombre et ses rayures. Immédiatement je me précipitais, les pattes encadrant son corps qui s'agitait et qui fonçait droit devant.

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