Cette histoire que je vais vous conter n'a rien d'unique. Comme tant d'autres, elle se révèlera comme telle de par les âmes qui la peuple. Je m'excuse si cela est quelque peu cryptique, très chers. Néanmoins, l'essence lieuse de toute vie et chaque chose renferme, toujours et encore, des secrets qu'elle garde pour offrir à ceux qui ont le courage de la poursuivre. La mort ne m'a certainement pas révélé les méandres de l'existence, et je lui en suis reconnaissante. D'autres, en revanche, ne sont pas aussi clément à la contemplation de cette idée. Je m'éloigne de la source de mon sujet.
Bien que la vie regorge de mystères et beautés à découvrir, nous ne savons tous que trop bien les dangers qui rôdent à la lisière de la forêt. Prenez garde, car dans la pénombre se dissimule l'inévitable, l'inattendu. Tout un chacun se doit de les recevoir un jour. Ce moment arrivé les questions se poseront, naturellement. Malheureusement, comme dans pléthore de mythes, l'oubli s'est immiscé dans nos esprits. Notre lignée a perdu de vue les légendes anciennes, et des savoirs immémoriaux ont sombré dans les tréfonds des souvenirs. Sans son héritage, un être n'est plus qu'océan déchaîné, qui ne connait que la tourmente des erreurs du passé.
La question qui s'élève le plus dans la cacophonie du doute ne doit pas être ignorée, ainsi retrouveras-tu la voie de ce qui a été dérobé. Néanmoins, sur ton chemin, des âmes en peine essaieront de t'en dissuader. Elles s'affaireront à limiter le potentiel de toute choses et tâcheront de semer le doute souverain dans les esprits. Fais ce qui doit être fait pour leur survivre, les risques de l'inaction sont bien trop grands pour ne pas se muer en complaisance, et, dans l'ultime, à la perte de ce voyage inestimable qu'il t'est donné de réaliser. Du moins, si parcourir la vie est votre désir. C'est, en partie, dans la liberté que réside la force de cette existence, le jugement qu'une âme porte, quant à lui, est relatif à sa singularité. Du moins, c'est ainsi qu'il s'est présenté à moi. S'il est bien vrai que nous portons tous en nous un potentiel exceptionnel, comprenez, mes chers, qu'exceptionnel n'est pas exception.
J'ai peur de ne plus avoir le temps pour [...] mais [...] la vie [...]
Vois-tu, la question qui s'élève parmi les nôtres n'a jamais été pourquoi [...]
Par l'essence de ton héritage,  la question [...]
 

Le royaume onirique n'avait de cesse de me laisser perplexe. Multiples fois j'avais rêvé de cette voix. Elle me semblait familière autant qu'elle m'était étrangère. Comme à cette nouvelle habitude, le songe se retrouvait déchiré avant de sombrer dans le réveil sans jamais donner accès à la fameuse question. Je ne déterminais que dans des hypothèses le destinataire du message qu'il renfermait. Pourtant, si j'osais m'abandonner à l'égocentrisme, comme d'autres fois, je jurerais qu'elle se penchait sur mon cas. M'avertissait - mais peu importe.

Aujourd'hui, il me fallait trouver de quoi survivre un nouveau levé de soleil. L'astre était une constante rassurante dans ce nouveau chapitre. Depuis mon départ, j'ouvrais souvent les yeux avant les lueurs de l'aube, ce qui me permettait d'assister à son ascension. Je m'émerveillais des couleurs qui envahissaient alors les cieux, souhaitant le bonjour à la toison argentée. Je laissais mes yeux pointé sur l'horizon pour assouvir mon âme. Lorsque l'azur ne laissais plus de traces orangées, je m'en allais sur mon chemin en quête de nourriture. Malgré ma confusion intense, je trouvais refuge en ce spectacle. La routine est un outil sous-estimé. Je m'étais enfoncé dans ces terres nouvelles avec pour conséquence une perte de repères. Bien entendu, voilà un moment que je me reconstruisais de nouveaux repères toutes les lunes environ, parfois moins. Ceci dit, une présence féline forte rôdait dans les parages. L'odeur était plus forte de l'autre côté de la rivière qui semblait diviser ce lieu. Une pensée inquiétante.

Le plus sage serait de rebrousser chemin. Je n'ai aucune idée de qui se cache à l'autre rive ni jusqu'où le territoire de ces chats s'étend. J'ai outrepassé la chance à ce stade. A moins que je ne sois devenu doué dans l'exercice du camouflage. Qui s'en soucis ceci dit. Personne ne m'a trouvé, mais où est la ligne entre une confiance en ces capacités et le simple orgueil? Avançons, avant que je ne me retrouve piégé par le doute. Encore une fois.

Les deux rives du cours d'eau n'offrait pas les mêmes opportunités. Les bois à l'opposé était bien plus denses que que les rares arbres de ce côté. Ils offraient une cape, telle la nuit, protecteurs des secrets dont ils regorgeaient. Les regards indiscrets devaient être à l'écoute pour ne pas se laisser surprendre. Je plongeais pour rejoindre l'orée de la forêt qui rendait la dissimulation plus aisée. Le contact de l'eau glaciale me combla de joie, tout autant qu'il éveilla mon esprit sarcastique. Sur l'allée j'avais pu entrevoir une sorte de clairière délimité par de grands chênes. L'odeur des proies y était plus forte que celles d'autres formes de vies. Ceci n'était qu'un souvenir néanmoins. En ma qualité d'étranger en cette région éloignée, je n'étais pas familier avec les coutumes des créatures des alentours. La sensation persistante de la faim me tenaillait, couplée à la peur née des échos du passé.

Ils avaient peut-être raison. Je suis un bon à rien, une vict - non. Ne t'engages pas sur ce sentier. Tu viens de trop loin pour continuer à penser ainsi.
 

Un endroit bien curieux. La brise qui soufflait à travers les feuilles de ces quatre chênes murmurait d'infimes fragments du savoir et de la sagesse acquise au cours des âges. Du moins, mon esprit le ressentait. La fascination s'emparai de mon être. Je brûlais de connaitre les histoires dont ces anciens de la nature avaient été témoins. Le rocher au centre de la clairière ne manquait pas d'exsuder de mystères, lui aussi. De ce promontoire émanait une force captivante, une présence ancestrale, orateur de la forêt. J'eus l'intime conviction qu'il s'agissait là du cœur de la forêt. Le sentiment de connaître cet endroit ne fit que la renforcer. C'était impossible, bien entendu.

Un couinement attira mon attention. La faim avait reprit ses droits.  Les fantômes du passé, profiteurs acharnées de ma fatigue, m'assaillirent alors, l'occasion était trop belle.

A quoi bon?

Je restai là, harcelé par le vide. Incapable d'exister.

Le vide est irrémédiablement connecté. Comment? Au premier regard l'idée semble ridicule. Un jugement hâtif sans doute. Les apparences dissimulent des secrets, au profit de notre ignorance. J'ai passé bien des âges inconsciente que la relation exclusive des choses n'était pas ce que nous avions appris. Elle n'est qu'une facette, un potentiel. Le binaire est une option, bien entendu, cependant il asséchera l'essence lieuse, sa vitalité, sa créativité. Pourtant, mon intuition me souffle que chaque chose trouve aussi son potentiel paradoxe. Ou bien les liens de la familiarité sont de ceux qu'il est ardu de briser. La théorie connait ses propres limites dans la réalité. Alors si le vide est connecté, qu'apporte-t-il? Quels sont les mensonges auxquels nous avons été subjugué? Lorsque le désespoir entraîne les âmes dans la bouche béante du néant, peut-on dissiper le brouillard insidieux du doute souverain? A moins que l'arrogance ne guète cet allié particulier pour s'élever à son tour.

Une sensation étrange s'empara de mon corps. Un poids coupa mon souffle, raidit mes muscles, telle une menace que jamais plus l'air ne répondrait à mon appel. Les couleurs me fuirent. Les murmures des chênes quittèrent mon âme. Le vide resserrait son étau quand le son soudain d'une voix vint briser son emprise.

- Ce n’est pas commun de voir un solitaire ici. [...]

Qui? Quoi? Comment? Pourquoi? Peu importe, ce félin ne te causera que des ennuis. Fuis.

Alors que je m'apprêtais à détaler,  mes muscles ne réagirent pas. Ma conscience prenait la mesure de la réalité: je ne respirais plus. Littéralement.

- [...] Tu sais que c’est un endroit culte pour les quatre Clans ? Je venais justement pour m’y… questionner, on va dire.

Les clans?

Je m'éveillais à nouveau. L'inconnue me souriait. Je l'observais en silence. L'air traversait mon être librement désormais.

Audace aurait pu montrer son visage, mais elle n'en fit rien. Le silence régnait, la curiosité piquait. La forêt semblait se tenir aux aguets. Quel spectacle macabre pourrait-on être témoin aujourd'hui? Mes poils étaient dressés et rarement mon apparence fut aussi imposante. D'autres avaient employé la duplicité pour berner la réalité. La méfiance que me partageait ma vigilance était, peut-être, justifiable, était-elle juste néanmoins? La promesse de satisfaction de mes questions nouvellement nées me plongeait dans un déchirement interne. Cet être confirmait que j'avais bel et bien senti une présence importante de félins dans cette forêt depuis mon arrivé. Ce qui était le deuxième groupement de ce genre depuis le début de mon chemin. Ces clans semblaient moins hostiles que les autres. Du moins si l'on s'arrête à cet individu. Les mois d'isolation eurent raison de moi:

- Qui es tu, étrangère?  

Mes forces faiblissaient déjà. Je ressentais l'effort mental jusque dans mes os. La fatigue chanta des berceuses à mon être, mais je résistai. Je ne savais plus discerner grand chose. Qu'est-ce qui causait tous ces troubles? Je me refusais à trouver réponse pour mes interrogations. Ma concentration se porta sur le chat qui me faisait face.

- Qui sont ces clans dont tu parles?

  - Allez, stop, c’est à moi de te harceler de questions ! Qui es-tu ? Pourquoi es-tu si intéressé par les Clans ?

Qui suis-je? Une question plus complexe que ses trois mots ne laisse paraître. Qui suis-je? La réponse que cette âme attendait ne s'exigeait pas aussi longue que le mutisme qui m'envahit. L'air autant que mon corps se refusaient à coopérer pour émettre quelconque son.
Harceler? Je ne l'ai pas harcelée. Si?
J'observais, en silence. Je me détournais de ce que ces questions impliquaient. Pendant des mois, je ne m''étais pas retrouvé en la présence d'un autre félin bavard à mon égard. Je ne me souvenais plus de ce à quoi la réciprocité ressemblait, une gêne honteuse me grimpa sur la tête. Je senti sa brûlure sur les épaules alors que les papillons assaillirent mon ventre.

-Ils m'appelaient Poros, finis-je par sortir au prix d'un gros effort. La surprise que procura le son de ma voix me propulsa vers une vérité lourde: j'avais vécu dans ma tête pour ce qui semblait être une éternité.  J'ai rencontré d'autres attroupement de chats plus à l'est? Je crois. Au delà des terres marécageuses. Ils sont plus - hostiles.
Suis-je loin de tout espoir de guérison? L'égocentrisme pourrait se révéler un ami traitre dans tous ces mois de survie.

- Cool, Poros, alors à quoi ressemble la vie d'un solitaire? demanda-t-elle. Est-ce que tu vis avec d'autres personnes ou tu es vraiment seul ?

Si les longs silences la gênaient Feuille de Clémentine ne laissait rien paraître en l'instant.

- Solitaire, en général, tentai-je comme plaisanterie. Je crois que c'est -

Il apparaissait clair que cette question était intimement liée à plus qu'un simple mode de vie.  Révéler toute une histoire selon les exigences de la solitude prenait des airs dangereux et désespéré. Malgré l'aura sympathique qui émanait de cet être, une intention ne fait pas le tout. Ou quelque chose du genre.

- C'est un voyage de tout les jours, je présume, repris-je. On ne peut pas rester sur place trop de temps. Tu es la première à entendre ma voix depuis - non je n'ai personne qui vit avec moi.

La membre du clan du Tonnerre, vive, enchaina d'un ton enjoué:

- Oooh, et tu as beaucoup voyagé? Je t'envie tellement si c'est le cas ! J'adorais voyager !

- Je viens d'assez loin, dis-je, ça fait des lunes que je suis parti.

Mes réponses courtes, fruits de mon incertitude mariée à une méfiance de soi, auraient pu être perçues comme malpolie, mais je ne cru pas voir des signes apparents d'inconfort chez mon interlocutrice. Un petit silence s'installa et pendant un instant Feuille de Clémentine me donna l'impression d'être plongé dans une petite réflexion, quel qu'elle fut, elle suscita curiosité en moi. Elle m'interrogea :

- Tu as mentionné ne vivre que par toi-même. Tu ne te sens pas trop seul, parfois ?

Les limites à ne pas franchir sont floues aujourd'hui. Le temps connait des aspects différents, mais la mémoire lui partage une relation dans chaque. Je comprenais que j'appréciais cet échange, néanmoins traverser les ponts n'est pas les brûler par la vélocité de notre passage. La réponse à sa dernière question se mêlait à ce sens des limites qui avait échappé à ma mémoire. J'aurais souhaité que la douleur de ma solitude me laisse la lucidité nécessaire pour naviguer cette rencontre. Le silence en disait long, quoi qu'il arrive.

- Ca fait quoi d'être libre comme l'air, sans aucune règle à respecter ? s'écria-t-elle, comme pour oublier l'information énoncé sous le radar.

- Ca fait mouvoir comme une étendue d'eau infinie,  ça s'infiltre comme les odeurs de la forêt dans ton museau. L'air te pousse vers des paysages, le voyage te rappelle que tu es petit dans un monde immense. Être libre, c'est appartenir.  

Je fus surpris par cet audace. J'étais plutôt habitué aux silences dans la réalité et aux longs soliloques dans mon esprit qu'à une petite réplique de ce genre à voix haute.

- Tu - commençai-je, lorsque le fumet d'une souris me ramena à ma faim tenaillante. J'eus du mal à retenir ma mise en chasse, mais la proie par inadvertance et de manière inouï se présenta non loin de la roche au centre. Je ne pouvais détourner mon regard ...