Est-ce qu’on a le droit de chasser aux Quatre Chênes ? C’est un véritable questionnement, pas une simple question à laquelle on répondrait par oui ou par non. Non non, c’est bel et bien une question pertinente. Parce qu’on a pas droit de s’y battre, je le conçois bien, c’est censé être un havre de paix, un endroit pour faire appliquer la trêve. Mais justement, si c’est tellement censé être un endroit calme, paisible, bref, un refuge, pourquoi est-ce qu’on pourrait y chasser ? Ça crisperait pas les défunts aux Étoiles, ça ? De chasser quelque part qu’ils ont eux-mêmes définis comme étant un endroit où on peut croire devoir ne se méfier de rien. Enfin bon, je suis pas un Ancien, c’est pas à moi de poser ces questions. Tout ce que je sais, et ce que j’en déduis, c’est que vu qu’il n’y a pas de clan là-bas, que le territoire n’appartient à personne, il doit bien y avoir de quoi attraper un bon paquet. Si j’étais une souris, c’est sûrement là où je me rendrais en priorité, d’ailleurs. Sachant qu’il n’y a personne… Enfin je sais pas, au fond, les souris c’est vachement con tout de même.

Donc m’y voilà. Certes, j’suis pas un expert en chasse, y’en a des biens meilleurs que moi dans le coin, mais j’suis pas totalement à jeter non plus. J’ai confiance en moi un minimum pour savoir que je rapporterai bien au moins un truc. Un seul truc, c’est pas infaisable. Je souris, confiant, mes muscles roulant sous ma peau. Héhé, si ça pouvait clouer le bec à Grizzli que je rapporte une bonne poignée de proies avant le printemps, ce serait magnifique. J’entends un truc. Quelque chose qui remue, dans les broussailles. Une proie, sûrement. Voilà le début de ma célébrité. Tenez-vous bien, chats du Clan de l’Ombre, car je suis le futur meilleur guerrier que la forêt n’ait jamais connu ! Je m’avance à pas de loup, discret au possible malgré ma carcasse imposante qui prend une place beaucoup trop importante.

Soudainement, mes oreilles se mettent à siffler. “Bordel de merde !! Mais ils vont m’entendre les guerriers du Clan des Étoiles le jour où je les rejoindrai ! Qui est l’abruti qui m’a refilé ce pelage infernal ?!!” Je plisse les yeux, atterré par le bruit que je viens d’entendre. La fameuse proie que je traquais est plutôt bavarde. Comment j’ai fait pour ne même pas remarquer l’odeur d’un chat ? Aucune idée, peut-être que j’étais trop obnubilé par l’idée de rapporter un max de proie au Clan. Enfin bref, elle sait pas que je suis là. Je me relève, regarde au travers des buissons, un pelage noir s’agite dans tous les sens coincé entre quelques branches ou ronces, j’en sais rien j’suis pas guérisseur, les plantes c’est pas pour moi. Je guette, mais n’y discerne pas grand chose. J’arrive même pas à savoir où est sa tête. Je tourne un peu vers la gauche, la contourne, quasi sûr qu’elle ne m’a toujours pas remarqué. Non, c’est certain même, elle est trop occupée à se disputer avec des plantes.

Oh ça y, c’est son cul, je viens de capter dans quel sens elle se trouvait. J’suis encore assez loin, mais j’ai quand même réussi à discerner que c’était une queue qui s’agitait et pas une patte comme je le pensais. Peut-être parce que j’y connais pas assez, en anatomie féminine… J’ai jamais eu de sœur aussi, et puis les filles et moi… La seule à qui je parle, c’est Maman. Et puis Matin aussi, mais bon, hein, elle, voilà quoi. Je sais pas vraiment quoi faire. C’est assez comique, comme situation. Allons bon, je m’avance, doucement. Putain, ça sent la poiscaille. C’est la Rivière, ça, j’en suis sûr. Aaah, ça me dégoûte. Une mine de dégoût apparaît sur ma tête alors que je lui demande, sans trop de ménagement : “Au lieu de chouiner comme un chaton, tu voudrais pas me laisser chasser en paix, dis ?” Mais bon, Maman m’a toujours appris à aimer mon prochain, alors bon, je suis pas un connard quand même. “T’as besoin d’aide ?”

Je ne sais pas si je suis censé proposer mon aide. C’est quand même une ennemie, après tout. Du Clan de la Rivière, en plus. Je sais pas si ce serait vraiment fidèle à mon Clan que de faire ça. Mais bon, si Maman apprenait que je n’avais pas aidé une jeune demoiselle en danger, elle me ferait la peau, et deux fois plutôt qu’une, et vu que je projette pas de mourir tout de suite, je vais m’y plier. On est bien aux Quatre Chênes, en plus, je suis censé me montrer en faveur de la paix, ici, nos ancêtres regardent peut-être. Mon père, aussi, peut-être. Là-haut, quelque part. L’autre a enfin remarqué ma présence. Heureusement que j’ai parlé, sinon elle n’aurait rien vu du tout, dis-donc. Elle a l’air jeune, un peu plus que moi. Elle ne doit pas être guerrière depuis bien longtemps. “Non non, tout est sous contrôle. J’attends que deux trois oiseaux viennent me picorer l’arrière-train pour pouvoir les bouffer. BIEN SUR QUE OUI J’AI BESOIN D’AIDE ABRUTI !” Je fais un pas en arrière, surpris par une telle réaction. En une interaction, j’hésite à tout plaquer et à retourner au camp comme si de rien n’était, la laissant se démerder seule.

“Excuse moi. Je suis un peu à cran, j’imagine que tu comprends pourquoi…” Bon, en vérité, je peux comprendre sa colère et qu’elle soit énervée pour me parler un peu mal, mais bon, j’ai quand même un égo qui me picote, là. Et puis, elle a quand même un certain sens de l’humour. J’ai souris à son histoire d’oiseaux. J’accepte ses excuses. Je crois que j’étais déjà prêt à l’aider avant, en fait. Je sais pas. Ou alors, c’est la vanne qui m’a convaincu. Je m’approche à nouveau après m’être reculé, prêt à l’aider, tout ça pour me prendre un coup de fouet en pleine gueule. J’étais prêt à l’engueuler mais là voilà qui me devance, furieuse : “Nan mais t’es entrain de me mater les fesses ??? Sors moi vite de là que je t’explose la face gros pervers !!!!!”

Je ? Quoi ? Pardon, ahah, c’est le pompon, ça ! Je finis de la contourner – histoire de pas rester à mater son postérieur, comme elle le dit, bien que ça soit totalement faux – pour me retrouver enfin face à elle, les yeux dans les yeux. “Tu veux te battre, vas-y, viens, je t’attends !” Ça y est, tout esprit empathique m’a quitté. “Ah bah non, tu peux pas, parce que t’es coincée, j’oubliais ! Vraiment dommage qu’il n’y ait personne dans le périmètre pour t’aider !” Je suis furieux. Vous avez vu comment elle m’a parlé ?! “Tu vas faire quoi avec ton p’tit corps là, t’es même pas foutue de regarder où tu mets tes pattes !” Je prends une pause, les sourcils froncés, avant de prononcer à demi-voix : “Et puis j’étais même pas en train de te mater les fesses. Y'a rien à mater, oui.” d’un ton à la fois dégoûté et méprisant. J’vous jure, elle est folle.

Mais vraiment, pour qui se prend-t-elle ? C’est moi qui réagit trop ou c’est comment ? J’hésite à lui cracher au visage et à me barrer. Qu’est-ce qu’elle peut faire, de toute façon ? Je la trouve bien prétentieuse dans la position dans laquelle elle se trouve. Et la voilà qui répond pas. Alors, je t’ai médusée ? C’est ça, ouais, dis rien, ça vaut mieux pour toi. Et voilà qu’elle se rend enfin compte de ses conneries. C’est pas trop tôt. Je m’apprêtais à me tailler, là. Je pense pas rester, d’ailleurs. J’ai pas trop d’intérêt à le faire. Surtout maintenant que j’ai vu la façon dont elle peut me parler si l’envie lui vient. J’ai bien envie de lui faire payer son mauvais caractère. Et c’est une guerrière, ça ? C’est ridicule. Elle ne mérite rien du tout, oui. “Excuse-moi beau mâle, est ce que tu aurais l’amabilité d’aider une demoiselle en détresse ?” Je soulève un sourcil. À quoi joue-t-elle ? Elle me pense sérieusement stupide, là ? Je suis qui, moi, en fait ? Un stupide matou en chien ? Je m’en fous complètement des femelles, moi. Et particulièrement d’elle, d‘ailleurs. Je sais vraiment pas ce qu’elle s’imagine. Je crois qu’elle est légèrement folle sur les bords.

“C’est mieux si je te demande comme ça ?” Ah oui, je me disais bien aussi. Elle est assez timbrée celle-là quand même. À la limite de la bipolarité. Mais au moins, on est sur la même longueur d'onde. Par contre, elle pensait vraiment que j’allais tomber dans le panneau ? J’ai l’air aussi stupide que ça ? Je suis un peu vexé, là, mais ça sert à rien de lui montrer ça va juste lui donner raison. Je garde toujours cet air sévère sur le visage, celui qui fait que je ne lui ai encore rien promis. “Dis donc, tu te foutrais pas un peu de ma gueule, là ?” Parce qu’au bout d’un moment, va falloir lui remettre les pendules à l’heure. Je réfléchis deux secondes. “Qu’est-ce que t’as à me proposer en échange ?” C’est vrai, je travaille pas gratuitement. Et encore moins pour un chat qui pue le poisson.

Qu’est-ce que je veux, au fond, hein ? Pas grand chose. En tout cas, rien qu’un poissoneux de son genre pourrait m’apporter. C’est vrai, tout de même, qu’est-ce qu’un guerrier compétent et talentueux comme moi pourrait bien désirer ? J’avoue que si l’on me demandait comme ça, je répondrai sans vraiment attendre que je veux le poste de Coeur de Grizzli… Ou sa chance, à voir. C’est vrai, au final, que je peux l’envier. Parfois. J’ai un demi million de talents mieux que les siens, mais son statut de lieutenant, j’avoue, j’aurais bien aimé l’avoir… Mais je ne suis pas jaloux, ça non. Maman m’a toujours appris à être heureux pour les autres, pour leurs accomplissements, et que si je voulais quelque chose, c’était à moi d’en faire les efforts pour y arriver. Ça, c’est bien resté gravé chez moi, c’est sûr. Aucun doute. De toute façon, est-ce que j’arriverai à me satisfaire de quelque chose que je n’ai pas réussi par moi-même et seulement par moi-même de A à Z ? Non. Alors bon, en vérité, elle-là, elle y peut pas grand chose. Et puis, je vais clairement pas lui demander de m’entraîner avec des techniques spéciales du Clan de la Rivière étant donné qu’elle est même pas foutue de survivre seule. Bah oui quoi, elle est toujours coincée dans son arbre, faut pas l’oublier.

“​​Hum, je ne sais pas, qu’est ce qui te ferait envie ? Commença-t-elle, intriguée. Tu veux que je t'apprennes à nager ? Que je te dévoile les techniques secrètes de la rivière ? Qu’on élabore un plan machiavélique pour te permettre d’accéder au pouvoir ?” Je fais les gros yeux. Pardon ? Quoi ? Bon, nager et les techniques secrètes, j’y avais songé. Mais comment ça un plan pour accéder au pouvoir ? Je ne sais pas trop quoi en penser. Je veux dire, je viens de me prendre à penser à un truc du genre. Sauf que bon, je veux pas le faire dans le chaos, moi, je veux le mériter. Pas renverser Coeur de Grizzli et encore moins Étoile Fragmentée, pardi. Elle est bien bonne, celle-là. Donc sa loyauté envers son clan repose sur son arrière-train coincé entre deux branches ? Elle va pas aller loin. Je pense que le Clan des Étoiles cherche à la punir, en fait, avec ses envies étranges et traîtres.

“Il est beau, le Clan de la Rivière.” Je murmure dans ma barbe. “Tu l’as mérité, finalement, de te retrouver coincée comme ça.” Je ressors mon air méprisant qui chasse mon étonnement. Même si elle ne compte pas du tout m’aider comme ceci, ce que je comprends tout à fait et de toute façon, je ne veux pas de son aide, je suis étonné qu’elle ait tout de même osé la proposer. “OH MAIS JE SAIS ! Toi, tu as besoin que je t’arrange un coup avec la femelle de tes rêves !” Elle lâche subitement, un grand sourire aux lèvres. Je la regarde immédiatement d’un air dégoûté. “T’es de pire en pire, en fait. Je sais pas combien de temps je vais pouvoir t’écouter sortir des conneries du genre. Tu penses que j’ai besoin d’aide pour me trouver une compagne ? Tu m’as pas vu.” C’est vrai quoi, regardez-moi ce corps musclé et cet esprit affûté. “Et puis de toute façon, j’ai d’autres projets. J’ai pas le temps de papillonner. Ça, je te le laisse, t’as l’air bien préparée à ces conneries. T’attendais que ton prince charmant vienne à ta rescousse, dis-moi ? Ce serait pas toi qui aurais besoin que je t’arrange un coup ? Parce que bon, dans la position dans laquelle t’es, t’iras pas très loin.” Je souris narquoisement.

Je connais absolument personne dans le Clan de la Rivière. Pourquoi je connaîtrais des gens, au fait ? Pour faire quoi, taper la discut’ ? Ahah, bien sûr. Et puis bon, entre nous, les autres clans… Je m’en méfie comme la peste. Il n’y a que le Clan de l’Ombre qui soit sûr dans cette forêt, je suis bien content d’y avoir grandi. Et la voilà qui me détaille comme un bout de viande. Pardon ? Bah ça va, elle se gêne pas. “ Ooh, bah si l’envie te prend de devenir mon prince charmant, je ne suis pas contre tu sais.” J’ai compris depuis le début qu’elle est totalement zinzin. J’ai un mouvement de recul. “Je rigole. J’ai d’autres projets, moi aussi, alors m'encombrer d’un compagnon envahissant, non merci. Ceci dit, tu as raison, je suis dans une position de merde.  Et tu as beau râler, tu ne pars pas pour autant. Je sais bien que ma présence est très agréable, mais si tu pouvais, soit m’aider à sortir de là, soit partir pour que je puisse brailler en paix, ce serait sympa.” C’est ça oui, qu’elle essaye un peu de faire semblant qu’il ne s’est rien passé. Elle croit que j’ai pas compris ses allusions ? Et c’est elle qui parle de ne pas s’encombrer d’un compagnon envahissant ? C’est plutôt lui qui devra se faire du souci, oui. Parce que l’avoir dans les pattes elle, c’est un véritable calvaire. Je ne la connais que depuis quelques minutes et c’est déjà bien assez.

Mais je suis assez d’accord avec l’idée de pas avoir à se soucier de quelqu’un d’autre. Enfin, à titre amoureux, le clan c’est à part. Je donnerai tout pour mon clan, de toute façon. Et non, c’est vrai que je ne pars pas. Mais ce n’est pas parce que j’apprécie sa compagnie, sûrement pas. “C’est vrai que ton sens de l’accueil me fait de l’effet… Tu es si… Aimable que bon, je l’avoue, j’ai craqué.” Sarcastique, je laisse mon regard dériver dans le coin de mes yeux, feignant timidité, avant de reprendre mon sourire narquois. Mon préféré. “Je prends le compliment par contre. Et sinon, j’espère que tu trouveras bien quelqu’un pour te descendre de là. J’ai des proies à chasser, moi, au lieu de jouer au chat perché.”

Je commence à m’éloigner, un sourire sur les lèvres. C’est vrai, j’ai pas vraiment l’intention de l’aider, en fait, après la façon dont elle m’a parlé. “Bonne chance pour te décoincer. Au fait, moi c’est Colosse du Désert, et pas Gros Pervers.” Et je m’éloigne, toujours le même sourire aux lèvres. Je ne sais pas pourquoi j’ai eu besoin de préciser ceci. Je joue le justicier, j’ai envie que ça lui serve de leçon. Allez, à la prochaine.