Petite de la lune, veux-tu bien m'écouter ? Veux-tu bien jouer avec moi et ne pas me taper (sur les nerfs) ? | ft. Lisou (Euca)

Je ferme les yeux. Le soleil haut s'est faufilé entre mes paupières. Après une longue chasse, commencée avant même que la lune disparaisse, je n'avais plus une once d'énergie. Une bénédiction que de m'allonger sur mon nid, que de me rouler avec contentement donc la mousse légèrement fraîche.

Une courte sieste par rapport à mon chemin ce matin. Enfin je trouve. Et de loin. Crotte de bouse, j'aurais bien aimé dormir plus !

J'ouvre à contre-cœur les paupières. Argh, la lumière du jour ! Je m'étire après m'être levé. Ça, ça fait du bien. Un frisson qui parcourt tout mon corps, délie mes muscles. Ma colonne vertébrale vibre un peu, ma patte blessée manque de se dérober sous mon poids, mais c'est la routine matinale, ça.

Un regard circulaire me rappelle qu'il est tard : bah ouais, y'a pas un chat dans la tanière, mise à part Charbon Ardent, qui chassait avec moi. Je le laisse dormir. Dix minutes de plus ou de moins, ça fait quoi pour le clan ? Alors que pour lui, c'est dix minutes feront du repos en plus.

Je sors par l'entrée -ou plutôt la sortie du coup. Le camp est en effervescence, comme toujours à cette heure là. L'heure est à la sortie des chatons, je les vois jouer ensemble, comme les petits diables qu'ils sont. Ils sont vraiment mignons. Même insupportable un petit est toujours mignon.

Et en parlant de chaton, je lève les yeux vers la pouponnière. Comme chaque jour, la jeune Petit Eucalyptus fait tourner en bourrique les reines. La pauvre petite. Elle est née il y a peu, deux ou trois semaines je crois, mais je me rappelle parfaitement de sa première sortie. Le soleil l'a brûlée. Fortement. C'est à peine si on n'a pas senti l'odeur de la chair cuite. Comme quand les proies sont atteintes par un incendie.

La pauvre. Je me rappelle parfaitement de quand elle est rentrée, criant et pleurant. Sa mère, Bourrasque Hivernale, l'a suivie. C'était la pagaille. Ses deux frères, à Petit Eucalyptus, Petit Tyran et Patte Fatale, on n'a pas fait attention à eux. Du grand n'importe quoi.

M'enfin.

Je n'ai pas l'énergie pour chasser, encore moins pour potentiellement me battre sur une frontière. Autant aller délester un peu du poids que doivent supporter les reines. C'est vrai maîtriser cette petite furie, ça doit pas être de la mousse.

Je traverse le camp et fais une légère pause à l'entrée de la pouponnière. J'espère ne pas me faire jeter par Bourrasque Hivernale. Ça serait un peu gênant.

Reprenant un peu de courage, je passe le trou dans la barrière et arrive dans la tanière ombragée.

Alors que je passe l'entrée, mes yeux ont du mal à s'habituer à cette pénombre. Je sais pourtant qu'elle est presque trop faible pour Petit Eucalyptus. J'attends un instant. Mes pupilles finissent enfin par rétrécirent un peu, et je vois mieux. Un peu.

J'avance de quelques pas, manque de tomber sur Patte Fatale. Bah quoi ? Il court entre mes pattes, j'y peux rien ! Je le suis du regard, il repart déjà jouer avec son frère et les autres chatons. Relevant la tête vers Petit Eucalyptus, je remarque (enfin) qu'elle me fixe. Ses yeux sont pleins de questions.

Je continue de m'approcher, mais un peu plus doucement, Bourrasque Hivernale m'a toujours un peu fait peur. Et là son regard est presque menaçant. Peut-être a t elle peur que je vienne me moquer de sa fille ? Je ne sais pas trop, mais je déglutis un peu difficilement tant son regard est froid.

Arrivé à leur niveau, juste en face de la mère et de la fille, je décide d'enfin soutenir les yeux de la première.

- Je me suis dit que tu aurais aimé revoir un peu la lumière du jour. Enfin... si tu veux, je peux l'occuper...

Je désigne Petit Eucalyptus de la queue. Ses yeux toujours posés sur moi me font frissonner. J'ai l'impression d'être tout balaud en prononçant mes phrases. Maladroit. Je me dis que je ne vais sûrement pas ressortir vivant vivant de la pouponnière. Bourrasque Hivernale va sûrement me tuer avant.

- Enfin, tu vois, je... ferai attention à ce que Petit Eucalyptus n'aille pas au soleil, et ça lui changera un peu des chats qu'elle connait déjà... non ?

Tout seul, comme un grand, je me rends bien compte que je m'enfonce. Bah tant pis.

J'ouvre les yeux de surprise. Elle a cru que je lui parlais la petite ? Mais je regardais la mère ! Je grimace intérieurement : ouais, elle a dû croire que je me moquais d'elle ! Argh, la pauvre. Si ça se trouve, je lui ai presque fait une fausse joie ?Enfin non, je ne suis quand même pas naïf à ce point, elle doit très bien savoir et se rappeler tout le temps de sa condition.

Je me mords la joue avant de reprendre, mon regard gêné passant alternativement sur la fille et la mère.

- Enfin... En réalité, Petit Eucalyptus, je parlais à ta mère. Je sais qu'elle s'occupe de toi, le jour, et... enfin... Comment dire ? Je me suis dis que je pourrais venir aider, aujourd'hui. Pour que ta mère aille voir un peu le soleil... et comme ça toi, tu auras de la compagnie, quelqu'un que tu ne connais pas... C'est à ton âge, quand les chatons comment à sortir, qu'ils commencent à découvrir leurs compagnons, leurs futurs camarades de clans. Je me suis dis que, comme tu ne peux pas sortir, l'inconnu que je suis viendrais vers toi pour que toi aussi tu apprennes à faire des rencontres...

Ouais, je ne sais vraiment pas parler avec subtilité. Je suis une sorte de... monstre des bipèdes. Bruyant, qui fonce dans le tas sans distinction. Une nouvelle grimace vient orner ma tête. Mes yeux glissent de Petit Eucalyptus à Bourrasque Hivernale, de Bourrasque Hivernal à Petit Eucalyptus. Je ne sais pas trop laquelle je dois le plus regarder. La mère ou celle que je voudrais aider ?Enfin, je veux aider les deux. Je pense que même si elle est une mère aimante et totalement dévouée, Bourrasque Hivernale doit finir par être en manque du soleil. Non ?

Petit Eucalyptus a l'air heureux forcé quand elle répond à sa mère. Je trouve ça un peu triste. Qu'elle se sente obligée d'accepter. Sa mère continue pendant un instant de me dévisager, toujours silencieusement. Puis son regard part vers sa fille, et reste ainsi. Et enfin elle part, Bourrasque Hivernale, mais ses yeux sont toujours sur Petit Eucalyptus.

J'ai l'impression de leur avoir forcé la patte.

Je cligne des yeux avant de m'accroupir. Je réfléchis un peu à ma réponse. Les petits sont toujours tellement... réceptifs au moindre mot ! J'ai pas assez l'habitude pour trouver les bons mots dès le début. Ca doit être quelque chose qu'on apprend en devenant parent. Peut-être faut-il avoir des petits pour bien savoir leur parler.

Je crois que j'ai presque répété ce que j'ai dit juste avant, mais bon, pas grave. La chatonne me fixe toujours. C'est vrai qu'elle a du rencontrer pleins de chats déjà, mais pas dans un contexte... plus normal ? Peut-être des chats qui la trouvaient bizarre. Je sais qu'il y en a beaucoup ici. Qui veulent s'assurer qu'elle existe vraiment. Ca doit être pesant pour elle. Et quand on sait ça, on comprend facilement l'accueil froid. J'espère qu'elle finira par comprendre que non, pour moi ce n'est pas une bête de foire, mais une petite qui a le malheur d'avoir une maladie très particulière.

Elle a pas l'air convaincu, la petite. Se levant, elle fait signe à son frère de s'approcher. Un geste autoritaire, et le chaton s'approche docilement. Elle le prend à témoin :

Patte Fatale hoche la tête doucement, presque timidement. Sa soeur l'intimide autant ? Je me rappelle que mon frère et ma soeur était souvent comme ça, qu'ils s'amusaient souvent à s'imposer en maître de l'autre avant que ce dernier ne renverse les rôles, et ainsi de suite. C'était... instructif de les regarder faire, mais je n'y prenais pas vraiment un rôle. Je regardais, c'était tout. Petit Eucalyptus se retourne vers moi pour continuer son espèce de démonstration :

Je reste un instant stupéfait par sa réponse. Il me faut un moment avant de retrouver l'usage de ma langue. Une sacrée réponse pour un si petit chaton. Je ne peux que la respecter, Petit Eucalyptus, pour cette maturité qu'elle a rapidement acquise. Mais il est vrai que sa maladie, sa particularité, son défaut ou je ne sais quoi a dû l'aider dans cette évolution fulgurante. C'est sûr, elle a dû apprendre à espérer moins que les autres, elle qui ne peut même pas sortir au soleil.

Je me lève. Evidemment, je ne vais pas partir. Bourrasque Hivernale m'a confié sa fille, je ferai en sorte qu'elle ne sorte pas avant son retour. Mais je resterai à l'entrée, pas plus proche de Petit Eucalyptus, si elle ne veut vraiment pas de moi. J'étire doucement ma patte blessée (rester assis l'a endormie et la douleur commence à se réveiller) puis je pars d'un pas lent vers la place qui m'attend.

Je suis assis de puis peu quand elle revient, Petit Eucalyptus. Je fixe d'un air légèrement inquiet la limite de la lumière, mais c'est bon, la chatonne est encore loin du soleil.

Lentement mon regard revient sur la petite. Je la fixe un instant. Son pelage lustré est légèrement hérissé, ses épaules frêles sont crispées, ses griffes à moitié sorties. Elle était calme, sereine, juste avant. Maîtresse d'elle même. Qu'est-ce qui a bien pu la mettre en rogne ? Suivant son regard, ce regard brûlant, rempli de ressentiment -de haine ?-, un regard qu'on n'aurait jamais dû trouver chez un chaton comme Petit Eucalyptus, je trouve son frère. Petit Tyran. Elle le regarde... lui ? Pas dans le vague. Non. C'est lui. C'est quoi ce revirement ?! Un chaton de cet âge ne devrait pas avoir ce genre de sentiments, surtout envers son frère... Non ?

J'ouvre la bouche, ravale ma salive et puis continue :

Je cligne des yeux. C'est vrai quoi ?! J'ai le droit de demander non ? J'espère quand même ne pas trop choquer la petite. M'enfin, avec un regard aussi incendiaire, elle doit pas être très vulnérable la gamine. Vous pensez qu'on peut tuer avec les yeux ? Avec ceux de Petit Eucalyptus, je pense oui.