Triste. Désemparée. Furieuse. Effrayante. Nostalgique. Coupable. Stop, stop. Je ne veux plus rien entendre. Je ne veux plus vivre. Je veux partir loin d’ici. Loin de ce Clan que je déteste désormais, et qui pourtant a été mon refuge durant de nombreuses saisons. Loin de ce ramassis d’idiots, loin de cette cheffe, Étoile Orangée, mère elle aussi, mais qui n’a eu aucun scrupule à bannir ma fille. Ma fille chérie. Mon coeur, mon âme, mon amour. Toute seule, dans la forêt, sans personne pour l’aider, livrée à elle même. Je ne veux pas. Je ne veux pas, alors je me bouche les oreilles pour ne plus entendre et je ferme les yeux pour ne plus voir, mais je n’y arrive pas. Ça ne veut pas partir. Stop. J’ai mal, j’ai mal au coeur, j’ai mal à l’âme, ça fait que quelques semaines qu’elle est partie mais il me semble que c’était il y a une vie entière. J’ai mal, j’ai mal, son absence me fait mal.

Je deviens peut-être folle. En tous cas, je vois bien dans les yeux de Flèche de Ronce que je ne suis plus comme avant. Mais je n’ai pas besoin de lui pour le voir. Comment tout pourrait être comme avant alors que ma fille n’est plus là, alors que ma fille est partie ? Comment tout pourrait être comme avant alors qu'il croit, comme tout le clan, que notre fille, le fruit de notre amour, est coupable ? J’ai envie de le griffer jusqu’au sang, de lui faire mal autant que je souffre. J’ai envie de faire mal à mon meilleur ami, la personne qui me connaît mieux que personne. Ouvre les yeux, ouvre les yeux mon amour. Je t’en supplie.

La douleur recommence. Plus forte, cette fois. Je ferme les yeux, je couvre mes oreilles, mais ça ne veut pas partir. Je suis tentée de me rendormir, dans un sommeil sans rêve, pour tout oublier. Ma couche est froide. Glacée. Ça fait plusieurs semaines que Flèche de Ronce ne dort pas avec moi, plusieurs semaines qu’on ne se parle pas, ou alors le strict minimum. Je veux tout oublier.

Je me lève, les muscles endoloris. Je dors, mais je ne recharge pas. Je suis faible, malade peut-être. Les mauvaises langues disent que je devrais aller chez le guérisseur, mais je suis bien trop fière pour cela. Alors je me lève, je chasse, je fais tous mes devoirs mécaniquement, sans rien espérer de l’avenir. Je ne veux plus espérer, plus rien faire, alors que ma fille est partie.

Je cherche dans le camp mon apprenti. Oui, parce que j’ai un apprenti. Cette sale chienne d’ Étoile Orangée n’a rien trouvé de mieux pour se faire pardonner que me donner un apprenti. Je ferais de mon mieux pour qu’il devienne le meilleur guerrier du Clan lui, parce que il n’a pas à bénéficier de ma haine envers notre cheffe. Mais elle, je la déteste, je la déteste de tout mon coeur, et peu importe tout ce qu’elle fera pour se faire pardonner, parce que je ne lui pardonnerai jamais. Il n’est pas là. Nuage de Loir n’est pas là. Je me mets à marcher dans le camp, lentement, comme si j’étais une ancienne, chacun de mes muscles protestent à grands cris, mais j’avance. J’avance.

Je marche sans savoir où je vais, suivant mon instinct, perdue dans mes cauchemars. Et j’arrive. J’arrive devant mon apprenti, qui essaye d’attraper des proies. Mais il n’est pas seul. Il est avec… Je plisse les yeux, pour être sûr de ne pas rêver. Flèche de Ronce ?! Mais il fait quoi ici, lui ? La colère bouillonne, et elle me donne des ailes. Je ne pense plus maintenant. Je suis forte, et j’avance lentement, d’une démarche froide, glacée vers eux.

J’entendis des éclats de voix, des encouragements de mon compagnon, et ma colère redoubla. Il avait une apprentie lui aussi, Nuage de Diamant. Alors pourquoi il voulait s’approprier mon apprenti ? Putain, je peux me débrouiller toute seule ! Je ne suis pas faible, je ne suis pas faible ! Il est à moi ! C’est le mien, alors tu peux te faire voir. J’étais aveuglée. Par la tristesse, par la violence, par toutes ses choses qui me rongeait depuis le départ de ma fille.

Ils avaient l’air tous les deux concentrés sur une quelconque proie, et ils étaient dos à moi. Si j’avais été dans mon état normal, je leur aurait fait une petite blague, leur sauter dessus pour leur faire peur et rire un bon coup après. Comme une chatonne. Mais je n’étais pas dans mon état normal. Je voulais qu’il parte. Je le déteste. Je le déteste. J’aurais fondu en larmes si la colère ne m’avait pas retenue. Partez. Partez. Laissez moi tranquille. Je vous en supplie.

- Je vous dérange, peut-être ? Dis moi, Flèche de Ronce (je prononça son nom avec détachement, sans aucune trace d’amour), tu as une apprentie, n’est-ce-pas ? Alors va t’occuper d’elle et laisse moi avec lui. Mêle toi de ce qui te regarde, okay ?

J’ai mal. J’ai mal de te parler comme ça, mon amour. Tu sais, moi je veux juste partir retrouver notre fille. Je veux juste être heureuse. J’ai mal. J’ai tellement mal, si tu savais. Je veux mourir. Je veux partir loin d’ici. J’ai mal de ton absence, j’ai mal de l’absence de notre fille, j’ai mal de t’entendre dire qu’elle est une traître. J’ai envie de dormir et de me réveiller lorsque tout allait bien. Quand tu m’embrassais et que tu m’appellais Rosie, lorsque nous étions une véritable famille, heureuse et unie, pas craquelée par les mensonges.

Mais parfois, il faut accepter que les choses ne redeviendront jamais ce qu’elles étaient. .